Intervention de Jean-Marie Delarue

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 juin 2012 : 1ère réunion
Application de la loi pénitentiaire — Audition de M. Jean-Marie delaRue contrôleur général des lieux de privation de liberté

Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté :

Je me réjouis qu'un bilan soit fait de la loi du 24 novembre 2009 ; je ne suis pas sûr que, du côté de l'exécutif, une telle démarche ait été entreprise. Je me suis demandé quelle avait été l'appréciation de l'administration pénitentiaire, qui n'était pas forcément demanderesse d'un texte législatif et qui ne s'est pas véritablement approprié la loi pénitentiaire. Après 2006, elle s'était faite le champion de la réglementation européenne. Elle aurait pu faire de même avec la loi de 2009 ; cela n'a pas été le cas.

Nous sommes devant un service public dans lequel les agents d'exécution ont d'énormes possibilités. Ce n'est pas seulement la loi qui conditionne les pratiques, mais d'autres choses comme les effets de la formation sur le tas, le fait que beaucoup de choses se font de façon individuelle, les préoccupations de sécurité, qui l'emportent sur ce qui apparaît comme des notions abstraites.

Parmi les éléments qui modifient le contexte, je citerai aussi le facteur temps, sur lequel il faut évidemment compter. Le temps, en la matière est souvent long. L'appropriation des normes par le juge administratif ne se fait pas très vite.

Ne négligeons pas non plus d'autres facteurs de modification de l'environnement des prisons, comme la loi sur l'exécution des peines du 27 mars 2012 ou l'évolution du droit pénal avec le concept de dangerosité. L'évolution des procédures pénales explique largement l'actuelle surpopulation carcérale.

Je pense aussi aux conséquences d'évolutions administratives comme le changement de compétences intervenu entre la police et la gendarmerie d'une part, et l'administration pénitentiaire d'autre part, pour ce qui concerne les extractions. Enfin, j'observe que les nouvelles constructions pénitentiaires échappent à tout contrôle législatif et que nous en subissons, si je puis dire, la loi.

Parmi les dispositions législatives, certaines n'ont pas fait problème. Ce sont en particulier toutes celles qui ont rencontré des pratiques déjà en germe. Je pense ainsi à l'article 60 qui prévoit de donner une activité éducative aux mineurs ayant dépassé l'âge de l'obligation scolaire.

Certaines dispositions ont été suivies avec réticence. Celle qui prévoit un salaire minimal pour les détenus, lui-même indexé sur le smic, n'est pas appliquée. Les minimaux fixés par la loi sont en réalité considérés par l'administration pénitentiaire comme des objectifs et non des planchers. La loi avait également prévu que le détenu au travail devait signer un engagement fixant notamment les missions qui lui sont confiées. Or j'ai constaté qu'à cet engagement on pouvait ajouter ou retrancher beaucoup d'activités. Je me trouvais un jour dans le couloir d'une prison dont quelques détenus nettoyaient les murs à grande eau. Cette tâche, qu'ils réalisaient sans doute en raison de notre visite, ne figurait pas dans leur engagement de travail. Et, bien évidemment, ils n'osent pas protester.

Parfois, la loi a donné lieu à une lecture minimaliste. L'article 22 prévoit que le respect de la dignité des détenus ne peut être mis en cause que pour des raisons de sécurité. Cette disposition a caractère général doit être interprétée à la lumière des articles suivants qui en précisent la portée pour les différents droits reconnus aux personnes détenues. Ainsi l'article 43 prévoit que l'accès aux publications est libre, à moins que celles-ci comportent des imputations injurieuses pour le personnel. Un détenu s'était abonné à une revue licencieuse ; l'administration l'a bloquée au nom de l'article 22, sans considération des dispositions de l'article 43. Cette lecture minimaliste, qui justifie toutes les restrictions, ne me paraît pas conforme à l'intention du législateur.

Certains interprétations sont clairement contra legem. Le droit à l'image des personnes détenues n'est pas respecté, non plus que le secret médical. La plupart des consultations hospitalières se font en présence de surveillants, y compris dans le bloc opératoire, sans qu'aucune nécessité le justifie. La commission de prévention de la torture du Conseil de l'Europe s'en est récemment émue et nous-mêmes avons multiplié les recommandations au ministre. Les choses n'ont pas avancé d'un iota...

Certains dispositions restent lettre morte, comme celles sur les fouilles à corps. Vous aviez bien précisé que ces fouilles devaient être sélectives : les surveillants estiment qu'elles doivent être systématiques. Les quelques directeurs d'établissement qui ont tenté de mettre en place des fouilles sélectives se sont heurtés à leur résistance. L'administration pénitentiaire a réfléchi pendant dix-huit mois à l'application de la loi et, le 14 avril 2011, elle a autorisé les fouilles sélectives au sortir du parloir dès lors qu'un risque est avéré. Il suffit donc au directeur d'établissement de dire tous les trois mois qu'on a trouvé deux grammes de haschich ou un téléphone portable, pour rédiger une note de service autorisant les fouilles. Cela signifie qu'en pratique elles sont systématiques. Ce n'est respecter ni la lettre ni l'esprit de la loi.

Je crois d'ailleurs que dans la situation actuelle l'administration pénitentiaire est fondée à le faire. N'importe quelle personne insoupçonnable peut transporter une puce de téléphone parce qu'un codétenu le lui aura imposé. Ces fouilles sont nécessaires dans la mesure où l'administration pénitentiaire ne peut faire régner l'ordre dans l'établissement, étant incapable d'empêcher que des détenus qui ont les moyens imposent leur loi aux plus faibles. C'est ce problème-là qui est à résoudre si on veut régler celui des fouilles.

La loi a peut-être mésestimé le bénéfice que l'on pourrait tirer de l'expression collective et individuelle des détenus. Je pense notamment au traitement réservé aux requêtes et réclamations dans les établissements pénitentiaires. Beaucoup peut être fait en matière de liberté de communication, en particulier du côté informatique : à mon sens, les communications électroniques pourraient être traitées de la même façon que la correspondance manuscrite. Je visitais récemment un établissement de haute sécurité aux États-Unis : une demi-douzaine de claviers étaient mis à la disposition de la quarantaine de détenus dans une salle commune.

On peut également aller plus loin dans l'application de la réglementation du travail en détention, ainsi que pour les soins psychiatriques. Il n'est pas normal que plus de 16.000 détenus soient en souffrance mentale en détention. Le tiers d'entre eux devraient relever d'autres structures.

Avec l'hypertrophie des fichiers électroniques, nous devons nous préoccuper d'une bonne application en prison de la loi Informatique et libertés. Je voudrais aussi évoquer le malaise concernant le titre de séjour des étrangers en prison. Ces derniers ont les plus grandes difficultés à en obtenir le renouvellement pendant leur détention. Je subodore que l'administration estime qu'il sera plus facile d'obtenir des reconduites à la frontière à l'égard d'étrangers démunis de titres de séjour. Il convient de faciliter les conditions de renouvellement des titres de séjour pour les étrangers détenus.

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