Intervention de Michel Aglietta

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 5 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Aglietta professeur d'économie à paris x-nanterre et membre de l'institut universitaire de france

Michel Aglietta, professeur d'économie, membre de l'Institut universitaire de France :

C'est dans ce domaine que le conflit d'intérêts est le plus fort. Une entreprise existe indépendamment d'une agence de notation. La qualité de la dette qu'émet l'entreprise dépend d'une information objective sous-jacente, exogène, que l'agence récolte. C'est pour cela qu'il peut y avoir validation statistique. En revanche, les produits structurés n'existent pas sans la notation. On met en pool un ensemble de crédits ; pas facile d'évaluer le profil de risque, l'évolution aléatoire de ce panier.

Les crédits subprimes venaient des quatre coins des Etats-Unis, de ménages aux revenus différents. Une banque d'affaires, Morgan Stanley ou Goldman Sachs par exemple, achète ces crédits à ceux qui ont démarché les ménages et elle émet des obligations qu'elle structure par catégorie de risque. Le risque se déplace donc de la banque vers l'investisseur. Cela suppose d'évaluer d'abord le pool, puis la stratification des obligations. Les banques d'affaires et les agences de notation mènent cette évaluation ensemble, en symbiose. La rémunération, à la commission, est fonction du volume titrisé. Le système étant capitaliste, il s'agit de dégager une marge en vendant le plus possible d'obligations bon marché, dites senior, qui sont achetées par les investisseurs institutionnels. Les obligations risquées, dites junior, sont achetées par les hedge funds. Or les obligations senior sont théoriquement garanties par les obligations junior : c'est l'intérêt de la titrisation. Qui va subir le risque ? En cas de défaut, on efface d'abord la tranche junior, puis les tranches intermédiaires, de sorte que les tranches senior soient protégées par les autres. Pour faire un profit, les banques d'affaires et les agences ont intérêt à faire des tranches junior très fines et à dire que 80 % ou 85 % des tranches sont senior.

Les agences qui se sont livrées à ce bricolage sont impliquées dans la crise. Elles n'ont pas anticipé la corrélation entre les différents crédits quand les prix immobiliers baisseraient. Le principe du pool est de diversifier les risques mais les agences n'ont pas envisagé la possibilité que les prix de l'immobilier baissent partout. Dès que les prix ont baissé, dès que les investisseurs se sont détournés des produits structurés, leur évaluation s'est effondrée. Les agences se sont mises, après coup, à dégrader des CDO qu'elles avaient volontairement survalorisées ! Ce sont des fautes lourdes. Les banques d'affaires, à commencer par Goldman Sachs, qui vendaient à des investisseurs des crédits qu'elles savaient pourris sont aujourd'hui devant la justice. Mais les agences n'ont jamais été mises en cause, alors qu'elles notaient ces produits en même temps que les banques !

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