Intervention de Charles-Henri Filippi

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Charles-Henri Filippi président de citigroup

Charles-Henri Filippi, président de Citigroup :

Il y a deux dérives idéologiques : la grande et la petite.

La grande vient des grands économistes autrichiens ou allemands de l'après-guerre, Hayek, par exemple, qui défendaient une bonne cause, considérant que les pays à peine sortis du nazisme et du totalitarisme ne pouvaient pas faire confiance à leurs gouvernements pour gérer leurs affaires. Les économistes de cette école recherchaient des mécanismes automatiques pour les y aider. La théorie de Hayek et du courant qu'il représente, c'est la théorie du gouvernement minimum. Moins on a de gouvernement, plus on peut estimer que les règles libres du marché vont pouvoir nous gouverner de façon efficace, mieux on se portera. J'y vois, pour ma part, un détournement profond du libéralisme historique du Siècle des Lumières, qui voulait, au contraire, un libéralisme équilibré, maîtrisé par le politique. Dans les années soixante-dix, quand le keynésianisme de l'après-guerre a semblé échouer, sanctionné par l'inflation et les budgets très lourds, cette école-là est venue prôner un changement complet. Et le système de dérégulation a commencé. C'est ce que j'appelle la grande idéologie.

J'en viens à la petite idéologie, qui est celle de la liquidité. Plus le commerce se développe, plus on a besoin d'argent à échanger et plus tout le monde - régulateurs, banquiers - se dit qu'il faut avoir des marchés parfaits, des marchés financiers qui tournent, qui puissent faire tout et n'importe quoi. Et cela s'est produit. Pour en avoir parlé avec certains régulateurs, je crois qu'ils sont d'accord pour convenir qu'ils se sont, en quelque sorte, laissés embarquer dans l'idée que tout marché pouvait être parfaitement liquide. Je crois que cela a conduit à une série de dérives et, surtout, à une perte de maîtrise complète de la création monétaire. Dans le passé, la création monétaire était du ressort des banques, qui, sous le contrôle de banques centrales, ne pouvaient créer que la monnaie que les gouvernements voulaient bien qu'elles créent.

Ensuite, on a permis aux marchés financiers de faire la même chose. Créer de la monnaie, c'est permettre à chacun d'entre nous de garder ses dépôts liquides à la banque et, en même temps, à la banque ou aux marchés financiers d'utiliser cet argent pour faire des prêts à long terme. Donc, c'est une multiplication de l'argent et une multiplication des créances et des dettes que les régulateurs ont favorisée par cette idéologie de la liquidité.

L'évolution des règles comptables, c'est exactement la même chose. Pourquoi a-t-on mis en place ces règles comptables anglo-saxonnes ? Parce qu'on a considéré que si on voulait avoir un marché liquide tous les jours, il fallait que chaque objet ait un prix tous les jours. Pour la même raison, il fallait passer de la comptabilité au prix de revient à la comptabilité en valeur immédiate. Par conséquent, la seule valeur qui compte, c'est le prix. C'est donc la confusion entre le prix et la valeur qui est, à mon avis, théoriquement un énorme problème.

Ensuite, il y a la cupidité des hommes. Si on dit à quelqu'un qu'il peut gagner de mieux en mieux sa vie, il va se mobiliser, il va aller dans le système. Je dois dire aussi que la façon dont il sera impliqué dépendra des tempéraments et des comportements personnels. Comparés à certains de leurs homologues anglo-saxons, les banquiers français ont, pour l'essentiel, géré un marché bancaire et des marchés de façon plutôt conservatrice.

Je considère que HSBC a respecté les bonnes pratiques. Cette banque était présidée par un diacre, un homme de religion qui s'appliquait certaines règles. C'est un constat humain ! Je me rappelle avoir discuté avec lui de la question des capitaux propres : à l'époque, pour faire une même opération, nous utilisions deux fois plus de capitaux propres que la banque qui s'appelait Royal Bank of Scotland, dont vous avez connu le sort. Bien avant la crise, chez HSBC, on en parlait. J'ai, pour ma part, discuté avec Stephen Green, alors président de HSBC et désormais ministre britannique du commerce. Il exposait les différentes manières de remplir la mission de banquier en soulignant que HSBC est une banque commerciale. Grace à l'expérience de leur longue implantation en Asie, de tels dirigeants ont compris ce que peut être une crise bancaire ou financière et, dès lors, ils préfèrent rester prudents. Il ne rentrait pas dans des considérations principalement éthiques : c'était la réflexion pratique d'un banquier consciente que les choses peuvent toujours mal tourner et qu'il faut faire attention. Et puis, il y aussi ceux qui se disent que les choses peuvent mal tourner, mais qu'au fond, on pourrait quand même y aller : vous le voyez, un même terreau peut produire des comportements différents !

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