Intervention de Charles-Henri Filippi

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Charles-Henri Filippi président de citigroup

Charles-Henri Filippi, président de Citigroup :

Ces trois questions sont toutes difficiles ! En ce qui concerne le rôle joué par la fin de la convertibilité du dollar en or, je partage votre point de vue. L'argent est un bien privé, mais la monnaie est un bien public. La monnaie doit toujours être ancrée dans une forme de contrôle, sinon il n'y a pas de limite à sa création. Cette limite peut être physique ou para-physique, comme l'était la convertibilité du dollar en or avant 1971. Elle peut être basée sur une logique abstraite, mais exercer des effets bien réels, avec le circuit formé par les banques centrales et les banques. En tout cas, son existence est nécessaire.

C'est quand on desserre la prise sur ce contrôle de la monnaie que les problèmes commencent. L'abandon de la convertibilité du dollar en or a été le premier d'une série d'événements qui ont débouché sur le renoncement à tout contrôle réel sur la création monétaire. D'ailleurs, Alan Greenspan l'a reconnu dans son livre Le Temps des turbulences, écrit peu avant la crise - au début de 2008, me semble-t-il -, dans lequel il affirme ne plus savoir maîtriser les taux, car, s'il a le sentiment de pouvoir fixer les taux courts, les taux longs dépendent de flux financier qu'il ne maîtrise absolument plus.

Il y a là un véritable problème, qui n'est pas résolu et qui est préoccupant. On a beaucoup parlé du monde de la finance, mais il faut tout de même opérer une distinction : l'évolution vers une mise sous contrôle plus stricte des banques est une réalité, il n'y a aucun doute sur ce point. Cependant, dans le même temps, le marché financier, lui, continue d'exister. Il y a des flux de capitaux, d'immenses dettes et d'immenses créances, et nous vivons dans un monde ouvert. Il n'y a donc absolument aucune raison pour que le marché financier n'existe plus. Et s'il est moins présent dans les banques, c'est qu'il l'est davantage ailleurs. Or cet ailleurs est moins bien contrôlé.

Nous vivons donc, à mon avis, deux évolutions simultanées. D'une part, la mise sous contrôle des banques est substantielle. On peut toujours, bien entendu, discuter du degré de surveillance ainsi mis en place, mais la comparaison avec ce qui existait auparavant est claire. Je ne veux pas m'exprimer à la place des représentants de BNP Paribas, mais il suffit d'observer l'augmentation des fonds propres et la réduction de la rentabilité de cette banque pour se convaincre que des évolutions extrêmement importantes ont eu lieu.

D'autre part, la capacité de déstabilisation des marchés, elle, a augmenté. Pis, elle s'est accrue à l'égard des banques elles-mêmes. Souvenons-nous de ce qui s'est passé lors du sommet européen du 26 octobre 2011, où l'on a voulu résoudre la crise et où l'on a prévu la recapitalisation des banques. Le même jour, la nouvelle Autorité bancaire européenne - désormais, bien des autorités interviennent dans ce domaine - a décidé que les dettes souveraines devraient dorénavant être inscrites dans les bilans des banques à leur valeur de marché, une mesure qui, aux termes des accords de Bâle III, devait intervenir seulement beaucoup plus tard. Par conséquent, le surlendemain, BNP Paribas a vendu, me semble-t-il, 11 milliards d'euros d'obligations italiennes, ce qui a accentué la crise. Si nous ne faisons pas très attention, nous risquons donc tout à la fois de mieux contrôler les banques et d'être davantage soumis au marché.

De mon point de vue, la seule solution est européenne. Si une règle est appliquée sur un territoire suffisamment vaste et puissant, les marchés s'alignent. Si les Français affirment que certaines normes comptables ne sont pas bonnes, les entreprises s'interrogeront sur ce peuple qui ne comprend rien à rien et elles choisiront d'aller investir ailleurs ! Vous aurez remarqué que, en Chine, les règles comptables ne sont pas extraordinaires... Les investisseurs anglo-saxons refusent-ils pour autant d'y investir ? Non, bien sûr, car tout le monde veut être présent dans ce pays.

Je crois que la relation entre la collectivité et le marché est simplement un rapport de force. Nous n'avons plus la puissance nécessaire en tant qu'entité nationale, mais nous l'avons à l'échelle européenne. Si nous sommes capables de fixer des règles pour l'ensemble de l'eurozone - j'emploie ce terme à dessein, car nous disposons tout de même d'une monnaie unique et d'une culture financière qui, si elle n'est pas exactement la même dans tous les pays, peut nous rassembler -, alors les marchés s'aligneront, parce que la zone euro est un territoire si riche et si puissant économiquement que tout le monde souhaite investir sur ses marchés.

J'en viens à la question relative au secret bancaire. Le problème, me semble-t-il, est de savoir envers qui ce principe s'applique. A l'égard de la puissance publique exerçant son contrôle, il a quasiment disparu, me semble-t-il. Je ne suis plus un spécialiste de ces questions, mais je ne crois pas qu'une banque en France puisse opposer le secret bancaire aux autorités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion