c'est très dur. On ajuste assez vite et on repart. Au fond, c'est ce que nous observons aujourd'hui. Ce qui est un peu inquiétant dans la situation actuelle, c'est que les Etats-Unis redémarrent mais pas l'Europe, alors que la crise des subprimes vient tout de même de là-bas... La contagion s'est produite, mais de notre côté de l'Atlantique nous n'avons pas trouvé de solution.
Ensuite, M. Beffa évoque le modèle que, pour ma part, j'ai qualifié dans l'un de mes livres de « mercantile » - mais l'expression est peut-être un peu vulgaire - et que lui appelle « commercialo-industriel ». Dans ce modèle, la règle du « tout actionnaire » ne prévaut pas et il y a bien plus de coopération au sein de la nation. D'ailleurs, les rapports dans l'entreprise n'y sont pas du tout construits comme chez nous. J'ajoute que le souci de produire des excédents commerciaux y est fort, dans un monde plus tenu, ce qui permet la conclusion d'un pacte social solide et durable.
Pour M. Beffa la France se trouve en quelque sorte entre les deux : elle a souhaité adopter le modèle libéral sans vouloir ou sans pouvoir appliquer le remède qui lui est lié et qui, il est vrai, n'est guère agréable à avaler et ne correspond pas vraiment à l'histoire du pays.
Par conséquent, il est pour moi tout à fait clair que la zone euro et le monde anglo-saxon devraient normalement développer des solutions différentes pour sortir de la crise. Nous connaissons le modèle anglo-saxon d'ajustement brutal. Le modèle européen n'existe pas vraiment, mais les pays du continent pourraient converger vers quelque chose qui serait à mi-chemin entre le modèle de l'Allemagne et celui de la France : nous accomplirions à la fois un véritable effort de rigueur et un effort de croissance plus solidaire, comme on dit, avec des politiques qui soient moins uniquement tournées vers la concurrence et plus vers le développement, la recherche et l'éducation.
Voilà ce que je crois. Pour cette raison, je suis profondément européen. La crise nous met en cause dans la zone euro, ce qui nous offre l'occasion de nous recentrer sur ce périmètre. Là est la solution, et bien des gens disent la même chose que moi, mais comment faire ? Malheureusement, il est très difficile d'agir dans l'Europe telle qu'on la connaît aujourd'hui, qui n'est pas démocratique, au sens où chaque citoyen pourrait exprimer sa voix sur un projet commun.
L'Europe est trop « intermédiée ». J'ai été très frappé d'entendre hier Mme Merkel demander aux Grecs de faire preuve d'un peu de rigueur et de sens des responsabilités. On peut tenir de tels propos en tant que Premier ministre élu démocratiquement et disposant ainsi de la légitimité nécessaire pour appeler à la retenue. Mais quand le système de Gouvernement lui-même a sauté et que l'on s'adresse directement aux gens, de tels propos n'ont plus beaucoup de sens. C'est comme quand on s'adresse aux marchés pour leur demander d'alimenter la hausse. Ils s'en fichent, ils vivent leur vie !
Il n'existe pas de structure institutionnelle susceptible de servir d'intermédiaire. Ce qui me préoccupe énormément dans le cas de la Grèce, ce n'est pas de savoir si ce pays doit sortir, ou non, de la zone euro : si le système démocratique grec ne fonctionne pas, il devra le faire, ce sera une conséquence presque mécanique de la situation. Mais pardonnez-moi : je suis allé très au-delà de ma compétence...
J'en viens à la question de la territorialité ou de la nationalité de l'impôt. Tout d'abord, je préférerais que se dégage une solution européenne. Ensuite, si tel n'est pas le cas, il convient de rappeler que la France est en quelque sorte une grande holding, les citoyens français étant les copropriétaires d'une vaste entreprise qui, inévitablement, a des activités sur son territoire et à l'étranger, avec de très grandes et belles sociétés. Dans le classement Fortune 500, qui regroupe les cinq cents premières entreprises mondiales, les sociétés françaises sont plus nombreuses que les allemandes ou les anglaises. Notre patrimoine économique, en ce qui concerne les entreprises, est donc extrêmement important. A mon sens, il doit y avoir une coopération solide, sur la base de la création de richesses et d'emplois, entre les grandes entreprises françaises et la puissance publique. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que toutes ces grandes entreprises travaillent avec de nombreux sous-traitants. Il est très positif d'encourager le développement de nouvelles PME, mais il faut aussi s'appuyer sur le socle dont nous disposons. Nous devons partir de ce concept : notre « patrimoine France », au fond, se constitue sur notre territoire et à l'international. Dès lors, sauf à développer une approche européenne, il sera impératif de réaménager le système fiscal français. Pour ma part, et sous réserve d'un projet européen, je suis favorable à une fiscalité qui impose aux citoyens français, où qu'ils se trouvent, de payer une contribution dans leur pays. Cette analyse est plus citoyenne qu'économique, mais les deux aspects ne s'opposent pas forcément. Pour autant, je ne suis pas partisan d'une fiscalité confiscatoire. Ce serait une façon dire aux gens qui veulent fuir les taux d'imposition élevés qu'ils les retrouveront partout ! Toutefois, si le système est suffisamment modéré et équilibré, même les résidents français à l'étranger accepteront - c'est un signe psychologique fort - de payer un impôt que je qualifierai pour ma part de « citoyen ». Cela dit, il est plus compliqué de définir sa mise oeuvre.