Une définition de l'évasion fiscale comme une optimisation dont le but serait illicite me conviendrait-elle ? Toute définition mérite qu'on l'examine de près. Toutefois, je ne suis pas sûr que celle-là apporte beaucoup plus que l'article 1741 du code général des impôts, qui définit la fraude fiscale comme le fait de chercher sciemment à se soustraire à la charge d'impôt normalement dû.
Je ne suis pas convaincu qu'on ait besoin d'inventer un nouveau concept pour lutter contre des activités illicites, c'est-à-dire contraires à un texte de droit positif qui pose une norme de comportement à laquelle tout un chacun doit se conformer. Le fait de se soustraire sciemment à l'impôt me semble être une définition précise suffisante de la fraude fiscale.
De plus, nous avons déjà - j'imagine que votre commission s'est d'ores et déjà penchée sur le sujet - un dispositif extrêmement sophistiqué en France avec la procédure de répression des abus de droit à l'article L64 du Livre des procédures fiscales. Même si la situation dans laquelle on est n'est pas explicitement contraire à un texte de valeur de droit positif, cela permet de contrecarrer une intention fiscale maligne, dès lors qu'elle est contraire à l'objet que recherchait le législateur quand il a posé le texte de loi.
C'est le Conseil d'Etat qui a précisé la définition jurisprudentielle de l'abus de droit avec l'arrêt Janfin de septembre 2006. L'abus de droit est la pratique a priori licite, mais qui devient illicite ou en tout cas abusive et donc assortie d'une pénalité de 80 % à partir du moment où le contribuable a dénaturé l'application d'un texte fiscal.
Selon moi, les concepts de fraude fiscale et d'abus de droit sont des outils d'ores et déjà amplement suffisants pour prendre dans les mailles du filet législatif les comportements que l'on cherche à fustiger.
J'en viens à votre deuxième question relative aux failles des dispositifs fiscaux qui permettent de minimiser la charge fiscale, sans nécessairement tomber dans une activité illicite.
J'imagine que les failles ont toujours existé et qu'elles sont inhérentes à tout système de production législative. C'est la limite du pouvoir du législateur, ce dernier ne pouvant absolument pas envisager tous les cas de figure. Il peut donc y avoir certains trous dans la raquette, en particulier lorsqu'on est face à des dispositifs produits souvent dans la précipitation, pour répondre à des objectifs de circonstance, et parfois de manière quelque peu « surcompliquée ».
Il y aurait peut-être matière - j'imagine que vous en êtes très conscients - à simplification du droit fiscal, ce qui, du coup, limiterait le champ possible des failles, lesquelles sont, en fait, souvent générées par une trop grande volonté de sophistication, alors qu'il suffirait de poser des principes clairs et exprès dans la loi fiscale.
Les failles internes existent. Certains dispositifs fiscaux visent manifestement à encourager une certaine forme d'optimisation fiscale. Je prendrai l'exemple, dans le droit français, du crédit d'impôt recherche, le CIR.
En permettant de maintenir sur le territoire des activités de fonction de recherche, cet outil contribue à diminuer sensiblement la charge fiscale des groupes qui opèrent des activités de recherche sur le territoire national.
En la matière, la France est d'ailleurs d'une extrême générosité. En effet, dans la plupart des États où ils existent, ces dispositifs spécifiques sont soumis à une condition : la propriété intellectuelle issue de cette activité de recherche doit rester localisée sur le territoire qui a généré le crédit d'impôt recherche en question.
En France, pour bénéficier du crédit d'impôt recherche, le législateur n'a posé comme condition que le déploiement sur le territoire de l'exercice de l'activité de recherche. Peu importe, ensuite, que le brevet soit détenu par une entité localisée dans un autre pays, y compris un pays à fiscalité plus attractive que la France.
Voilà quelques exemples de dispositifs qui, de manière très volontaire, génèrent des sources de minimisations de la charge de l'impôt.
Il existe aussi de nombreuses failles à l'échelon international. Mais de ce point de vue - ce n'est pas souvent souligné -, la France est plutôt mieux prémunie que d'autres Etats, en particulier grâce à son principe de territorialité, selon lequel ne sont taxables en France que les entreprises exploitées sur le territoire. Les entreprises exploitées à l'étranger ne sont pas taxables en France.
Ce principe, dit de « territorialité restreinte », qui, du coup, interdit d'imputer sur la base française les pertes d'exploitation réalisées à l'étranger, a totalement exclu, par exemple, l'utilisation de ce dont on a dû vous parler par ailleurs : ces entités hybrides qui, dans le passé, ont fait les délices des groupes anglo-saxons, par exemple.
Contrairement aux entreprises équivalentes des pays anglo-saxons, les entreprises françaises n'ont donc jamais utilisé ces entités hybrides. De ce fait, on peut penser que, pour manoeuvrer dans l'ordre fiscal international, elles ont été pénalisées par une capacité inférieure à celle des groupes anglo-saxons. C'est une réalité qu'il n'est pas toujours facile de toucher du doigt.
Cela dit, on peut globalement estimer que les groupes français ont été historiquement beaucoup plus vertueux que n'ont pu l'être les groupes anglo-saxons, notamment parce que le concept d'abus de droit qui existe en France joue comme un censeur naturel de l'activité d'optimisation fiscale.
En revanche, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, soit l'interdiction existe dans le texte, soit elle n'existe pas et, dans ce dernier cas, aucune règle ne permet de s'opposer à tel ou tel comportement, quand bien même l'intention serait exclusivement d'ordre fiscal.
J'en viens à votre troisième question relative au profil des contribuables qui s'adressent à notre cabinet. Plus de 95 % sont des entreprises, dont une grosse moitié, 60 %, s'adresse à nous dans le cadre de leur développement, soit en France, soit à l'étranger. Les autres sont des entreprises étrangères ayant des implantations en France.