Merci pour vos souhaits de bienvenue qui prennent une résonance toute particulière compte tenu du texte que nous examinons.
Quelques mots, tout d'abord, sur la genèse de ce projet de loi. Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, nous avons voulu, comme vous, travailler rapidement et nous nous sommes entourés de divers avis, dont celui du Conseil d'Etat. Il faut en effet que le vide juridique créé par l'abrogation de l'article 222-33 du code pénal soit le plus court possible. Les victimes doivent bénéficier d'une vraie protection ; or elles n'ont pour l'instant plus d'autre recours que la voie civile. Il faut aussi que la définition de l'infraction soit assez solide juridiquement pour être conforme au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Grâce à vos travaux, nous avons mené une réflexion approfondie sur ce sujet afin de bien définir le périmètre de la nouvelle infraction. Nous sommes en effet face à une thématique à la fois juridique - d'où le recours à des termes qui figurent déjà dans le code pénal - et sociétale, puisque les situations sont extrêmement diverses.
Nous avons lu attentivement vos travaux. Grâce à la cinquantaine d'auditions auxquelles vous avez procédé, vous avez dressé un état des lieux quasi exhaustif. Sur cette base, nous avons dégagé des lignes consensuelles. C'est d'abord de s'inspirer des directives communautaires, même si celles-ci n'imposent pas de sanctions pénales. C'est ensuite d'élargir le champ de l'infraction, qui n'est plus liée à l'obtention de « faveurs » sexuelles, qui est par ailleurs une notion connotée de façon à la fois désuète et trop positive pour ce dont il s'agit. Il s'agissait aussi de retenir l'acte unique et donc d'en donner une définition rigoureuse. Enfin, nous avons prévu l'introduction de circonstances aggravantes.
Nous avons harmonisé le code du travail avec les modifications apportées à la définition du harcèlement sexuel. En revanche, le projet de loi ne fait plus référence au statut des fonctionnaires. Le Conseil d'État avait jugé qu'une consultation formelle des organisations représentatives n'était pas obligatoire ; nous n'avons pas pu la mener, même si Mme Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat et de la fonction publique, a effectué une consultation informelle. Par prudence, nous avons donc ôté du projet de loi les dispositions relatives aux fonctionnaires - qui seront sans doute réintroduites en cours d'examen par le Parlement.
Pour couvrir toutes les situations concrètes, nous avons travaillé avec les associations et avec les syndicats. En examinant les chiffres, nous nous sommes en effet rendu compte de l'immense différence qu'il y avait entre la réalité du harcèlement sexuel et le nombre de jugements : avant 2005, une quarantaine de plaintes par an aboutissaient à un jugement. Même si ce nombre a doublé par la suite, il reste incommensurablement plus faible que celui des faits.
Nous avons été sensibles à la remarque de Mme Klès qui a dit, au cours d'une des réunions du groupe de travail, que le harcèlement sexuel est souvent constitué de petits faits qui deviennent insupportables à force d'être répétés. Elle a parlé du « supplice de la goutte d'eau », qui porte atteinte à la dignité humaine et crée un environnement nocif. La caractérisation est difficile, c'est pourquoi le souci de sécurité juridique nous a conduits à reprendre autant que possible des termes qui figurent dans le code pénal. Quel délai pour établir la répétition ? La jurisprudence montre qu'un laps de temps important n'est pas nécessaire. Nous avons finalement conservé le terme « environnement » qui figure dans la directive car ce mot permet de viser à la fois des conditions de vie et de travail de la victime. Le fait unique a, lui aussi, été retenu ; lors des débats préalables à l'adoption du nouveau code pénal, en 1992, M. Michel Sapin, alors ministre délégué à la justice, avait considéré que les faits isolés d'une certaine gravité devraient entrer dans le champ de l'infraction. Pour le caractériser, nous avons retenu deux critères : le comportement de l'auteur et le but, réel ou apparent, d'obtenir une relation sexuelle. Il s'agit le plus souvent de chantage sexuel lors des entretiens d'embauche ou à l'occasion de la signature d'un bail.
Des circonstances aggravantes seront retenues en cas d'abus de pouvoir, de faits commis en réunion ou d'agissements à l'encontre de mineurs de moins de 15 ans ou de personnes particulièrement vulnérables.
Les harcèlements sexuels de premier, deuxième et troisième niveaux seront respectivement punis de un, deux ou trois ans d'emprisonnement et de 15 000, 30 000 ou 45 000 euros d'amende.
Nous avons également voulu sanctionner les discriminations subies par les victimes ou par les personnes solidaires des victimes, afin notamment de protéger dans le code du travail les éventuels témoins.
Nous avons entendu vos observations, celles de M. Godefroy sur la question du but poursuivi par l'auteur, celles qui portaient sur les victimes harcelées en raison de leur identité ou de leur orientation sexuelle. Nous partageons votre souci de produire une bonne loi. Des marges de progression demeurent. Nous accompagnerons ce texte d'une circulaire de politique pénale que j'enrichirai au fur et à mesure du travail parlementaire.