Intervention de Christiane Demontès

Commission des affaires sociales — Réunion du 26 juin 2012 : 1ère réunion
Harcèlement sexuel — Examen du rapport pour avis

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès, rapporteure pour avis :

Ce projet de loi vise à combler rapidement une situation de vide juridique qui laisse sans protection les victimes de harcèlement sexuel lesquelles sont, en grande majorité, des femmes.

Pendant une vingtaine d'années, le harcèlement sexuel a été réprimé par l'article 222-33 du code pénal, qui incriminait le fait « de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ».

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a déclaré, le 4 mai, cet article contraire au principe de légalité des délits et des peines, qui impose de définir avec suffisamment de précision les éléments constitutifs de toute infraction pénale. Il a estimé que l'infraction était définie en des termes trop flous.

Cette décision a entraîné l'abrogation du délit de harcèlement sexuel : les victimes ne peuvent plus porter plainte sur ce fondement et les procédures judiciaires en cours ont été interrompues, sauf si le tribunal est parvenu à requalifier juridiquement les faits, par exemple en agression sexuelle, ce qui n'est pas toujours possible.

Face à ce véritable déni de justice, il nous appartient de rétablir au plus vite le délit de harcèlement sexuel, en retenant, cette fois, une définition conforme à toutes les exigences constitutionnelles.

Le Sénat s'est fortement mobilisé ; les sept propositions de loi déposées par divers groupes politiques ont contribué à la réflexion du Gouvernement et enrichi la mienne. Elles ont également alimenté les débats du groupe de travail que le Sénat a créé dès la décision du Conseil constitutionnel et qui a auditionné une cinquantaine de personnalités. Ceci nous permet d'aborder dans de bonnes conditions l'examen du projet de loi élaboré par la garde des sceaux et la ministre des droits des femmes, que nous avons auditionnées hier. Le texte sera examiné selon la procédure accélérée, afin d'être définitivement adopté avant fin juillet.

Le harcèlement sexuel peut prendre des formes variées : il peut consister en une succession de gestes, de propos, de comportements, qui ne sont pas nécessairement très graves pris isolément, mais dont la répétition peut entraîner des conséquences dramatiques sur la santé psychique de la victime ; il peut aussi prendre la forme d'un acte unique, par exemple lorsqu'un employeur menace une salariée de la licencier si elle refuse d'accomplir des actes de nature sexuelle. Le harcèlement s'apparente alors à un véritable chantage sexuel.

Le projet de loi réprimera ces deux types de harcèlement puisqu'il retient une double définition. Il définit d'abord le harcèlement sexuel comme le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant.

Cette définition s'inspire de celle retenue par le droit européen, qui qualifie de harcèlement sexuel « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer, un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Elle s'en distingue cependant sur certains points : le terme « imposer » a été préféré à celui de « non désiré », trop subjectif, et les mots « pour effet » n'ont pas été retenus car un délit pénal suppose un élément intentionnel.

La définition proposée ne retient pas, comme but de l'infraction, le fait d'obtenir des actes de nature sexuelle. Les auditions du groupe de travail ont montré que les victimes avaient souvent du mal à prouver que le harceleur poursuivait cet objectif. La suppression de cette condition devrait donc faciliter l'établissement de la preuve et permettre aux victimes d'obtenir plus facilement justice.

Cette infraction serait punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Serait ensuite assimilé à du harcèlement sexuel le fait d'imposer des gestes, propos ou autres actes à connotation sexuelle, même sans répétition, s'ils s'accompagnent d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave accomplis dans le but, réel ou apparent, d'obtenir une relation de nature sexuelle. Le but de l'infraction serait bien ici d'obtenir une relation de nature sexuelle, mais la référence au but « réel ou apparent » devrait faciliter l'établissement de la preuve par la victime. Ce deuxième type de harcèlement serait puni plus sévèrement que le premier avec deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Le projet de loi retient également quatre circonstances aggravantes : l'abus d'autorité, le harcèlement d'un mineur de moins de quinze ans ou celui d'une personne particulièrement vulnérable, le harcèlement commis par plusieurs personnes agissant comme auteurs ou complices. Les peines encourues seraient alors alourdies : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour le premier type de harcèlement, trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour le second.

Une victime de harcèlement peut également faire l'objet de mesures discriminatoires, comme le licenciement ou le refus d'embauche. Ces comportements seront punis : sera ainsi sanctionnée toute distinction opérée entre les personnes en raison de leur acceptation ou de leur refus de subir des agissements de harcèlement sexuel, même si ceux-ci n'ont pas été commis de façon répétée. La sanction serait la même que celle prévue par le code pénal pour les autres motifs de discrimination, soit trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

Outre le code pénal, le projet de loi tend à modifier le code du travail, ainsi que le code du travail applicable à Mayotte. Le code du travail, qui définit le harcèlement dans les mêmes termes que ceux que le Conseil constitutionnel a censurés, renverra désormais à la définition et aux sanctions prévues par le code pénal, ce qui évitera tout risque de discordance entre les deux codes.

Le projet de loi corrige également une erreur intervenue en 2008 lors de la recodification. L'article L. 1153-2 du code du travail prévoit qu'aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel. Lors de la recodification, la sanction prévue pour réprimer ces faits discriminatoires a malencontreusement disparu. La rétablir conduira à punir ces faits d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

Il est également proposé de compléter la liste des infractions que l'inspecteur du travail peut constater en y ajoutant le harcèlement sexuel et moral. Celui-ci, qui dispose de pouvoirs d'enquête étendus, peut pénétrer dans les locaux de l'entreprise, interroger les salariés, se faire communiquer tous documents et registres et consigner ses constatations dans un procès-verbal transmis au procureur de la République, qui peut ensuite décider d'engager des poursuites.

Mayotte est engagée dans un processus de départementalisation qui conduit à aligner progressivement les règles de droit social applicables dans ce territoire avec celles en vigueur en métropole. Le texte propose que les articles du code du travail relatifs au harcèlement sexuel soient insérés, à l'identique, dans le code du travail applicable à Mayotte.

Ce projet de loi constitue une excellente base de travail mais il est perfectible. Le rapporteur de la commission des lois, Alain Anziani, a déposé plusieurs amendements. Outre des améliorations de forme, il propose de retoucher la définition du harcèlement sexuel, notamment en remplaçant la référence aux « gestes » à connotation sexuelle par des « comportements » à connotation sexuelle, ce qui est plus conforme à ce qu'avait souhaité le groupe de travail. Il suggère également de punir de la même manière les deux types de harcèlement, en retenant la sanction la plus lourde, soit deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Ces initiatives me paraissent aller dans le bon sens et nous pourrons les soutenir en séance publique.

En ce qui concerne la fonction publique, je vous proposerai de déposer, dans les mêmes termes que la commission des lois, un amendement pour insérer dans la loi de 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires la nouvelle définition du harcèlement sexuel.

Je vous présenterai aussi un amendement sur la question des circonstances aggravantes, pour introduire la notion de vulnérabilité économique, qui figure dans plusieurs propositions de loi. Nous l'avons vu hier, le Gouvernement est réticent à cette suggestion, car cette notion ne figure pas dans le code pénal et n'est pas facile à appréhender. Il est néanmoins utile d'ouvrir le débat sur ce sujet.

Faut-il prévoir une circonstance aggravante en cas de harcèlement d'un mineur, et pas seulement d'un mineur de moins de quinze ans ? Le harcèlement se déroule fréquemment dans un contexte professionnel et les jeunes apprentis ou stagiaires sont souvent âgés de plus de quinze ans. Cependant, il faut veiller à la cohérence du code pénal, qui réprime plus sévèrement les agressions sexuelles ou le viol commis sur les mineurs de moins de quinze ans. Il ne m'est donc pas paru souhaitable, à la réflexion, de prévoir une règle différente pour le harcèlement sexuel.

Au-delà de la sanction, il convient d'insister sur la prévention et la détection du harcèlement sexuel. Le code du travail assigne à l'employeur une obligation générale de prévention des agissements de harcèlement sexuel. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) concourt à cette action de prévention puisqu'il a qualité pour émettre des propositions d'actions de prévention en matière de harcèlement sexuel.

Les services de santé au travail, qui sont habilités à conseiller l'employeur, les salariés et les représentants du personnel sur les mesures à prendre afin d'éviter ou de diminuer les risques professionnels, sont également un acteur essentiel dans la chaîne de prévention. Je vous proposerai d'indiquer explicitement qu'ils peuvent conseiller l'employeur en matière de prévention du harcèlement.

La loi reconnaît aux délégués du personnel le pouvoir de saisir immédiatement l'employeur lorsqu'ils constatent une atteinte aux droits ou à la santé des salariés, pouvant résulter notamment de faits de discrimination. Je vous proposerai de préciser que les délégués du personnel peuvent saisir l'employeur en cas d'atteinte causée par du harcèlement.

Outre ces mesures législatives ponctuelles, j'interpellerai le Gouvernement, en séance, sur l'importance de la formation des élus du personnel, des délégués syndicaux, des inspecteurs et des médecins du travail, afin qu'ils soient mieux à même de repérer les faits de harcèlement et d'accompagner les victimes. Certaines d'entre elles peuvent avoir besoin d'un suivi psychologique assuré par des professionnels. Une cellule d'écoute a été récemment ouverte à l'hôpital Saint-Antoine : pourquoi ne pas généraliser ce type de structure sur le territoire national ?

Toutefois, l'urgence reste de combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel. C'est pourquoi je vous invite à approuver ce projet de loi qui permettra de réprimer efficacement ce délit, d'aider les victimes à faire valoir leurs droits et de dissuader de nombreux harceleurs.

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