Comme rapporteur de votre commission sur le harcèlement sexuel, j'ai pris en compte l'ensemble des travaux, nombreux et variés, du Sénat : recommandations de la délégation aux droits des femmes, conclusions du groupe de travail, propositions de loi et mes propres auditions.
Le harcèlement sexuel est un drame mal apprécié. A l'évidence de nombreux cas échappent aux tribunaux alors que la souffrance des victimes demeure méconnue. Le professeur Peretti, de l'hôpital Saint-Antoine, nous a dit le désarroi durable des victimes, leur vie déstructurée, parfois la perte de leur emploi, voire les gestes contre elles-mêmes...
Face à ce fait de société, la réponse du droit n'est pas satisfaisante, ni sur le plan quantitatif, avec, chaque année, 70 à 85 condamnations souvent symboliques, ni sur le plan qualitatif. Le flou du texte a abouti à de grands écarts entre les décisions rendues par les différentes juridictions. La décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier était inévitable. D'ailleurs, il convient de noter que le Conseil Constitutionnel a été saisi par les deux parties. Pour des motifs différents, le harceleur présumé, comme les associations de victimes, critiquaient un texte qui d'un côté ne respectait pas le principe de légalité des délits et des peines, consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'autre ne permettait pas à de nombreuses procédures d'aboutir du fait d'une preuve difficile à établir. Constitutionnellement, nous avons l'obligation de rendre la loi claire et lisible, a fortiori en matière pénale.
La décision du Conseil constitutionnel étant d'application immédiate, les poursuites engagées sont toutes tombées. Il faut donc refonder une incrimination, avec la double préoccupation de respecter d'une part les principes qui fondent le droit pénal et la cohérence d'ensemble de ce dernier, et d'autre part de couvrir la grande variété des formes de harcèlement sexuel.
Pour y parvenir, nous disposons de sept propositions de loi, des travaux du groupe de travail, des recommandations de la délégation des droits des femmes, du projet de loi, des auditions de votre rapporteur. Cette masse d'information rassemblée en quelques semaines témoignent de la grande réactivité du Sénat sur ce sujet.
Je vous propose d'examiner chacun des éléments qui font l'objet de débats.
Tout d'abord, qu'est-ce que le harcèlement sexuel ? Avant 1992, le délit n'existait pas. La loi du 22 juillet 1992 le définit comme « le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ». Pour faciliter les poursuites, la loi du 17 juin 1998 y a ajouté, alternativement, les « pressions graves ». Enfin, la loi du 17 janvier 2002, toujours avec le même objectif de protection des victimes, est allée plus loin encore en définissant le harcèlement sexuel par « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Une telle tautologie est contraire à l'esprit du droit.
Parallèlement, trois directives européennes ont amorcé une nouvelle définition, autour de la notion d'atteinte à la dignité de la personne d'une part et de la création d'un « environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » d'autre part. Cette définition a été retranscrite dans le droit français par la loi du 27 mai 2008, sans être assortie de sanctions pénales ni même être codifiée. Cinq des sept propositions de loi sénatoriales reprennent ces notions communautaires, comme le fait également le projet de loi. Ayant noté que le groupe de travail s'était interrogé sur la notion d'environnement et ses difficultés d'interprétation par un juge, le président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation a estimé que les juridictions s'y adapteraient sans difficulté. Le rapport propose donc de reprendre largement la définition communautaire et donc ces deux notions d'atteinte à la dignité et de création d'un environnement intimidant, hostile ou offensant.
Il propose toutefois quelques modifications au projet de loi.
Quels sont les actes qui portent atteinte à la dignité ? Le groupe de travail a proposé les « propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle ». Je vous propose de les retenir.
Certains amendements proposeront sans doute de revenir à la notion d'actes « non désirés », qui figure dans le droit communautaire en considérant que celle ci faciliterait la preuve et donc en redoutant que le terme « imposer » ouvre un débat sur l'attitude de la victime qui, au fond, devrait rapporter la preuve qu'elle a refusé le fait de harcèlement. Je fais observer que ce terme d'« imposés » est employé dans la définition de l'agression sexuelle ou de l'exhibition sexuelle dans le code pénal sans qu'elle ait entraîné pour les victimes une difficulté supplémentaire de preuve. Par souci de cohérence, il paraît difficile de modifier cette rédaction.
Autre modification. Le texte du gouvernement évoque des faits créant un environnement intimidant « pour » la personne à laquelle sont imposés ces agissements ; c'est un élément de subjectivité, et je préfère l'expression « à son égard », dépourvue d'ambiguïté.
Une fois cette définition arrêtée, se pose la question de l'acte unique, du chantage sexuel. Elle est aussi vieille que le délit lui-même. Les débats parlementaires de 1992 montrent que le législateur, comme le ministre de l'époque, Michel Sapin, considérait que le harcèlement sexuel pouvait évidemment être constitué par un acte unique déstructurant pour la victime. Evidemment, l'objection sémantique nous précise que le harcèlement suppose la répétition. Je crois que le gouvernement a trouvé une formule permettant d'élargir le champ de l'infraction au chantage sexuel sans mettre à mal la sémantique en proposant que dans ce dernier cas, le fait est « assimilé » à un harcèlement sexuel. Le rapport retient cette définition, tout en simplifiant l'écriture du II pour supprimer « le fait mentionné au I », source d'ambigüité puisqu'il pouvait laisser supposer que pour que le harcèlement par acte unique soit constitué, les conditions du harcèlement par répétition devaient être déjà satisfaites. Désormais, nous aurons bien deux faits distincts, punissables séparément.
Faut-il maintenir dans la définition de l'acte unique le fait de chercher à obtenir une relation de nature sexuelle ? Cela me semble indispensable pour que les choses soient écrites clairement : si le I se rapproche du harcèlement moral à connotation sexuelle, le II traite bien du chantage à la relation sexuelle.
Un débat s'est également engagé sur la formulation « dans le but réel ou apparent d'obtenir une relation de nature sexuelle ». Cette rédaction me paraît souhaitable. Elle évitera des discussions devant un prévenu qui niera avoir eu pour but une relation sexuelle. Il suffira qu'un faisceau d'indices, apprécié par le juge, établisse qu'il ne pouvait ignorer que son comportement ne pouvait qu'être perçu comme recherchant un tel but.
La définition ainsi posée, quelle peine devons nous prévoir ?
Le texte abrogé prévoyait une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Le projet de loi distingue entre le harcèlement constitué de faits répétés, puni de ces peines, et le fait unique, puni de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Je vous propose de ne pas hiérarchiser entre la souffrance provoquée par un fait répété et la souffrance générée par un chantage sexuel. Selon les associations de victimes, la répétition aboutit à un « supplice de la goutte d'eau ». Il n'y pas de raison qu'elle soit moins sévèrement punie. Je vous propose donc la même peine.
Quel sera alors le quantum de cette peine commune ? L'exhibition sexuelle est punie d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende et les agressions sexuelles, de cinq ans d'emprisonnement au moins. Je vous propose de retenir pour le harcèlement sexuel deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende En précisant que cette solution ne met pas fin à un débat beaucoup plus général sur l'échelle des peines qui permet aujourd'hui de punir plus sévèrement une atteinte à la personne qu'une atteinte aux biens.
Le projet de loi prévoit quatre circonstances aggravantes : l'abus d'autorité, la minorité de quinze ans, la vulnérabilité due à l'âge, à la maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse et enfin la pluralité d'auteurs.
Faut-il se référer à cet âge de quinze ans, âge de la majorité sexuelle dans le code pénal, ou bien viser la minorité en souhaitant protéger davantage les apprentis par exemple ? Dans ce dernier cas, le prévenu s'exposera à la circonstance aggravante de l'abus d'autorité. Il me semble préférable de conserver une cohérence avec les autres textes punissant les circonstances aggravantes en matière d'infraction sexuelle et donc de conserver la minorité de 15 ans