Intervention de Jean-Hugues Simon-Michel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 juin 2012 : 1ère réunion
Audition M. Jean-Hugues Simon-michel ambassadeur représentant permanent auprès de la conférence du désarmement à genève chargé de la négociation du traité sur le commerce des armes tca

Jean-Hugues Simon-Michel, ambassadeur, représentant permanent auprès de la Conférence du désarmement :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier pour votre invitation. La conférence de négociation du Traité sur le commerce des armes (TCA) s'ouvre lundi à New-York pour quatre semaines.

Quel est le contexte ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le commerce international des armes n'est aujourd'hui régi par aucun instrument juridique de portée universelle. . Il existe seulement et ponctuellement des règles régionales, comme dans l'Union européenne, qui à vrai dire est un cas unique, ou des embargos résultant de décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Des milliers de personnes sont victimes chaque année de cette régulation insuffisante. Or la mondialisation affecte aussi le commerce des armes : les producteurs d'armes, notamment légères, se sont multipliés, en particulier les pays émergents. Les flux maritimes ou aériens sont désormais difficiles à contrôler et offrent de nouvelles opportunités pour les trafiquants. Il faut une responsabilisation accrue des États et l'établissement de normes universelles les plus élevées possibles. Les conséquences des transferts d'armes non régulés sont l'instabilité régionale, les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, les problèmes de développement socio-économiques, la criminalité organisée, le terrorisme.

Notre objectif est de réguler les transferts légaux et de prévenir les transferts illicites qui alimentent la violence armée. Les frontières entre les deux types de transfert sont poreuses, le traité devra couvrir les deux aspects.

Quel a été l'engagement de la France ? La France, dont le système de contrôle des exportations d'armement, autour de la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, ou CIEEMG, remonte à 1955, applique le code de conduite de l'Union européenne adopté en 1998 sous forme d'engagement politique, qui est devenu, en 2008, sous présidence française de l'Union européenne, une position commune à valeur juridique. Notre pays a soutenu dès le début la mobilisation en faveur d'un traité de personnalités éminentes, autour de l'ancien Président du Costa Rica, mais aussi de grandes ONG internationales et françaises, réunies au sein de la plateforme « contrôler les armes ». Les industriels, qui partagent, du moins dans les États où existent déjà des contrôles rigoureux, le même intérêt, ont participé à la gestation du projet. Ce dossier est porté par des États de toutes les régions du monde, et dépasse les clivages traditionnels des Nations unies.

Après la première résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 2006 et la désignation d'un groupe d'experts gouvernementaux, une nouvelle résolution de l'Assemblée générale est intervenue tout début 2010, prévoyant une véritable négociation, quatre comités préparatoires et la Conférence qui s'ouvre la semaine prochaine. La France a soutenu ce processus de façon indéfectible, tout comme de nombreux pays en voie de développement, touchés par la violence armée. Les Etats-Unis, assez sceptiques à l'origine, se sont ralliés en 2009 au principe, à condition que la négociation se fasse par consensus, ce qui a permis l'absence d'objection de la part de tous les grands acteurs du commerce des armes, en particulier la Russie et la Chine, qui se sont abstenues lors du vote de 2009. Aujourd'hui, seule une vingtaine d'États restent sceptiques face au processus.

Quelle est la position de la France ? Nous voulons un traité juridiquement contraignant et non un document de nature politique. Nous souhaitons une harmonisation « par le haut » des règles pour tous les États et l'adhésion de tous, ou du moins des principaux exportateurs et importateurs, y compris les pays de transit et de destination. Il ne s'agira pas d'un traité d'interdiction, mais d'un traité de régulation. Ses deux piliers sont interdépendants : la régulation du commerce licite et la lutte contre les trafics illicites. Ce point est particulièrement important car les États sceptiques tenteront de plaider pour un traité qui ne porte que sur la prévention du trafic illicite.

Le champ d'application doit être ambitieux et opérationnel :

- s'agissant des matériels couverts, le traité devrait réguler toutes les armes conventionnelles, y compris les munitions et les armes légères à petit calibre, qui font le plus de victimes ; un traité n'aurait pas de sens s'il était limité aux seules armes figurant au registre des Nations unies ;

- agissant de l'étendue du contrôle, le traité doit couvrir tous les types de transfert : exportation, importation, transit, transbordement, courtage, pour contrôler toute la chaîne et limiter les risques de détournement ;

Les États parties évalueront les demandes d'autorisation sur la base de critères définis par le traité. La France souhaite y voir inclus le respect des obligations internationales, y compris les régimes de sanctions, le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire (deux « lignes rouges » pour notre pays), la préservation de la paix et de la sécurité régionale, la prise en compte du risque de détournement et l'impact sur le développement économique et social des pays de destination.

Chaque État devra définir ses procédures de contrôle, car il serait irréaliste de vouloir les imposer.

La France estime que les refus doivent rester discrétionnaires et que le dispositif national de contrôle devra comporter des mesures de criminalisation en cas de violations et des mesures spécifiques contre la corruption et le blanchiment d'argent. Le traité devra aussi comporter une stipulation spécifique pour préserver l'acquis communautaire.

Le traité devra prévoir une transparence en matière de transferts d'armement, avec la publication régulière de données, sans doute agrégées. Il doit enfin prévoir un mécanisme de suivi, avec un secrétariat d'appui à la mise en oeuvre, une Conférence d'examen quinquennale, et, les autres années, des assemblées des États parties.

Il nous semble important que le texte soit court mais qu'il contienne tous les grands principes.

A la veille de l'ouverture des négociations, il existe des raisons d'espérer, mais aussi de s'inquiéter sur leur issue ; une majorité très large d'États y compris sur le continent africain et en Amérique latine soutiennent la démarche.

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