Intervention de Anne Duthilleul

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Anne duThilleul chargée par le gouvernement d'une mission sur l'avenir de l'industrie pétrolière au large de la guyane

Anne Duthilleul :

Je vous propose de finir mon exposé, qui répondra à toutes les questions. Je termine sur les rôles respectifs de l'État, des collectivités territoriales et des opérateurs. L'État a mis en place un copilotage avec la région, celle-ci étant compétente en termes de formation et de développement économique. La question de la fiscalité sera très importante. Un article de loi a déjà été voté fin 2011 pour prévoir un cadre fiscal et un partage 50 % - 50 % avec la région.

C'est l'État qui est chargé d'octroyer le permis d'exploitation à l'issue de la phase de recherches, avec un droit de priorité à l'opérateur actuel.

J'en viens aux problématiques de sécurité et de protection de l'environnement liées à cette nouvelle activité. Le sujet de la sécurité des plates-formes pétrolières en mer a été étudié. La réglementation actuelle, très ancienne, doit être complétée. La prochaine campagne de forage sera faite non pas avec une plateforme fixe, mais avec un navire stationnaire dans la zone, qui résistera beaucoup mieux aux courants transversaux. Le nouveau navire de forage arrivera dans la zone dans quinze jours. Toujours du point de vue de la sécurité, l'industriel a trois niveaux d'intervention :

- le niveau local et régional, avec des moyens qui sont sur la plate-forme ou à terre, donc à proximité, en Guyane ;

- des moyens propres de Shell disponibles à Aberdeen, mobilisables avec une certaine durée d'intervention (72 heures). Ce sont des moyens communs à tous leurs sites d'exploration-production ;

- des moyens mutualisés, plus proches, situés notamment dans le Golfe du Mexique.

L'État a adhéré au nouveau système de « Oil Spill Response », c'est-à-dire de secours en cas de déversement d'hydrocarbures. C'est un système d'assurance et d'intervention régionale. Les moyens d'intervention de l'État en mer peuvent aussi être régionalement mobilisés, en Guyane et aux Antilles. Ils doivent néanmoins être accrus ; cette question est en cours d'étude.

S'agissant de l'équipement du navire lui-même, son système permet une meilleure sécurité qu'une plateforme simple car il est doté de deux systèmes parallèles et redondants de forage. Il est à 150 kilomètres de la côte, ce qui correspond à une journée de mer, délai convenable. C'est d'ailleurs un des aspects favorables à la Guyane : cette proximité incite l'industriel à prévoir le maximum d'approvisionnement de Guyane pour éviter des transports beaucoup plus longs. Trinidad est en effet à quatre jours de mer. Le navire, neuf, a été inspecté par le pôle national d'off-shore de Bordeaux. En arrivant sur la zone, ils font également un test d'intervention pour vérifier que tout se passe bien en cas d'urgence, et ils passent en revue des plans de réponse aux incidents. Enfin, une Grande Commission Nautique se réunira d'ici dix jours pour donner toutes les conditions d'intervention en cas d'urgence et coordonner les services avec l'industriel.

S'agissant de l'environnement, les études d'impact des forages précédents et des campagnes sismiques ont été menées. Ces études ont été faites avant, pendant et après ces campagnes, par des organismes extérieurs comme le consultant Créocéan. Shell doit présenter ces études dans sa demande d'ouverture de travaux. Ils continueront à étudier les impacts sur la faune marine surtout, les cétacés, qui sont en très faible nombre, et les tortues, qui traversent parfois cette zone. Est également surveillé le benthos, c'est-à-dire l'ensemble des organismes aquatiques vivant au fond de la mer autour des zones de forage, car le forage génèrera des rejets de boue, c'est-à-dire de terre extraite avec une faible proportion de fluides de forage. Cette proportion sera réduite à moins de 5 % dans les rejets, mais se déposera de façon très diffuse sur le fond des mers. L'estimation moyenne compte tenu des courants dans la zone est de 0,1 millimètre d'épaisseur de dépôt, ce qui est très faible, mais dont l'impact sur l'écosystème est à surveiller.

S'agissant des impacts potentiels sur les poissons, les cétacés et les tortues, Shell met en place des dispositifs d'éloignement afin que ces espèces ne rentrent pas dans la zone concernée pendant les campagnes sismiques. La plateforme de forage précédente jouait plutôt le rôle de dispositif de concentration du poisson : on a constaté que les poissons venaient massivement autour de la plateforme formant un écosystème artificiel pendant le forage, et cela est susceptible d'être proposé comme dispositif de compensation à l'attention des pêcheurs, à une distante suffisamment grande de la plateforme pour ne pas interférer avec les travaux. Cette forme de compensation est actuellement portée à la discussion avec les organisations locales de pêcheurs.

J'aborde maintenant les enjeux économiques et les retombées potentielles pour la Guyane. Les idées ont beaucoup évolué depuis six mois par rapport à ma lettre de mission. On pensait qu'il fallait anticiper et préparer l'exploitation potentielle, et on s'est aperçu que les retombées potentielles étaient aussi plus immédiates, avec les campagnes d'exploration à accompagner tout de suite. Shell a déjà une équipe de huit à dix personnes sur place, qui créent des activités induites liées à leurs besoins en hébergement, en transports, en prestations diverses.

À plus long terme, on a demandé à Shell de faire l'inventaire des potentialités de créations d'emplois. Il faut une qualification spéciale pour les emplois sur la plateforme, et notamment l'exigence de parler anglais. Il en découle la nécessité de formations. Shell a ainsi proposé de mettre en place un programme de formation assorti de recrutements, par des entreprises spécialisées dans le secteur pétrolier, qui pourraient s'engager à recruter progressivement quelques dizaines, voire plusieurs centaines de personnes et à les former pendant les quatre à cinq ans à venir sur des activités pétrolières déployées ailleurs dans le monde. Les personnes concernées pourraient ensuite revenir en Guyane avec les qualités requises, à l'occasion du démarrage d'une exploitation. L'idée est de fédérer les entreprises, les sous-traitants notamment, autour de Shell. Il faut 90 personnes en permanence chez l'opérateur, sur au moins quatre équipes en rotation ; l'ordre de grandeur est donc de plusieurs centaines de personnes. Du côté des sous-traitants, qui génèrent des emplois indirects, les équipes sont également importantes, et s'occupent de l'entretien, de la maintenance...

Il faut également préparer les entreprises locales à répondre aux appels d'offre ou aux achats des sous-traitants et de Shell. Shell doit veiller à une coordination locale de façon à ce que ces activités et emplois soient réellement induits. Il convient aussi de répertorier le vivier des Guyanais déjà qualifiés à l'extérieur : parmi les 24 000 Guyanais vivant en métropole, beaucoup ont peut-être les qualifications requises et le souhait de revenir dans leur département d'origine.

Parmi les domaines d'activités induites, j'ajoute que des programmes de recherche seront financés par Shell, pour recueillir davantage de connaissances sur le milieu marin, mais aussi sur l'impact d'un éventuel déversement pétrolier en milieu terrestre (la mangrove). Ces sujets de recherche peuvent permettre à la Guyane de développer un pôle scientifique spécifique.

Enfin, il convient d'envisager la mise en place d'un environnement susceptible d'accueillir cette nouvelle activité, en développant des infrastructures et en formant les populations locales. Selon les cas, le développement des infrastructures peut se faire par un phasage des besoins. C'est le cas des infrastructures portuaires : une première étude de Shell a montré qu'avec les équipements existants, il était possible, pendant la ou les deux premières années à venir sur les campagnes d'exploration, de se satisfaire des capacités de stockage du port, avec un petit stockage de matériel non urgent à terre. Pour accroître les capacités de stockage et avoir accès en permanence au quai, un quai flottant supplémentaire pourrait être envisagé dans une seconde phase, et un troisième quai en dur pourrait être développé dans une troisième phase, non pas par Shell mais par le port. Toutes ces perspectives doivent être étudiées, et surtout planifiées.

La deuxième voie de préparation de ces retombées en infrastructures est l'accompagnement des groupements d'entreprises, pour répondre en quantité et en qualité aux besoins de l'exploitation et de l'exploration pétrolières (approvisionnement, logistique, production locale), en s'inspirant de l'exemple de Trinidad.

Enfin, doit être envisagée l'anticipation pure et simple des besoins en formation et en recrutement par les entreprises spécialisées, afin de disposer de ces personnels en temps utile.

J'ai rappelé que la distance courte (150 kilomètres, l'équivalent d'une journée de mer) permettait à la Guyane de se positionner pour bénéficier de retombées maximales, dans un intérêt économique partagé avec l'industriel qui voit raccourcir ses temps de transport.

Enfin, j'aborde le dernier point, les modifications législatives et réglementaires qui seraient nécessaires. C'est un sujet sensible pour l'industriel qui a besoin d'être parfaitement renseigné sur les conditions réglementaires, en particulier environnementales et fiscales, avant de démarrer une exploitation. Une réforme du code minier sur l'off-shore est indispensable ; le code de l'environnement doit être mis à jour, ne serait-ce que pour transcrire les principes de la Charte de l'environnement qu'on applique déjà de facto aujourd'hui. La réforme du code minier du point de vue de l'environnement doit aussi intégrer l'information du public et les études d'impact.

Pour répondre à la question sur les compensations et les modalités de négociation avec Shell de l'ensemble de ces conditions, Shell a déjà émis l'idée d'un accord de projet qui pourrait être négocié avec l'État et la région, sur l'exemple de l'usine du nord en Nouvelle-Calédonie, pour garantir à l'industriel une stabilité des conditions réglementaires et surtout fiscales, le moment venu. Il faut en amont que les conditions techniques et économiques de l'exploitation du gisement soient connues. La fiscalité ne doit pas être un frein à l'exploitation, mais doit permettre les justes retombées de l'exploitation pour la Guyane et la France.

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