Intervention de Daniel Raoul

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 juillet 2012 : 1ère réunion
Déplacement d'une délégation en allemagne dans les länder de bavière de berlin et du brandebourg — Examen du rapport d'information

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul, rapporteur :

Une délégation de la commission s'est rendue, du 11 au 15 mars 2012, dans les Länder de Bavière, au Sud du pays, et du Brandebourg, qui entoure la capitale, Berlin. Outre moi-même, cette délégation comprenait nos collègues Renée Nicoux, Esther Sittler, Valérie Létard et Gérard Le Cam.

Alors que sera fêté, début 2013, les 50 ans du traité de l'Elysée, il nous a semblé opportun de sonder ce qu'on a coutume d'appeler le « miracle économique allemand » : il y a encore dix ans « homme malade » de l'Europe, l'Allemagne est en effet devenue la « locomotive économique » de l'Union et achève de « digérer » le choc de la réunification de façon remarquable, même si beaucoup reste encore à faire, d'après ce que nous avons vu sur place.

Nous voulions donc analyser ses nombreux points de réussite en matière de compétitivité économique, et la façon dont on pourrait s'en inspirer, dans les secteurs agricole, énergétique et industriel. Mais nous souhaitions aussi relever les zones d'ombre et les incertitudes de la croissance allemande, que l'on occulte souvent.

Avant de développer plus avant chacun de ces trois points, je voudrais faire état de quelques remarques d'ordre macro-économique sur nos voisins d'outre-Rhin.

Il faut toujours garder à l'esprit, lorsqu'on évoque l'Allemagne, qu'il ne s'agit pas d'un, mais de plusieurs pays, avec des ressources et des niveaux de développement fort variables. L'Allemagne est en effet une république fédérale constituée de seize Etats fédérés, les Länder. Quoi de commun, par exemple, entre ceux du Bad Wurtemberg et de Bavière, qui constituent le « coeur économique » de l'Europe et concentrent les sièges des plus grandes entreprises allemandes, et les cinq Länder de l'ex-Allemagne de l'Est, dont les taux de chômage et de pauvreté sont deux fois supérieurs ? Aussi parler de « croissance moyenne » ou de « taux d'emploi moyen » pour tout le pays, comme le fait Eurostat, n'a pas grand sens, sauf à avoir en tête que ces chiffres pondèrent des situations économiques diamétralement opposées.

Une fois posé ce préalable, il convient de reconnaître le remarquable dynamisme économique dont fait preuve l'Allemagne, prise dans son ensemble, et ce dans une conjoncture particulièrement difficile. Durement touchée par la crise dès 2009, le pays voyait son PIB reculer de près de 5 % et abandonnait sa place de première nation exportatrice. Le plan de relance conjoncturelle de 80 milliards a permis de renouer avec la croissance, de l'ordre de 3 % en 2011. Après un ralentissement attendu à 1 % cette année, un rebond à 1,8 % est prévu pour l'année prochaine.

Cette activité économique génère de l'emploi, et le taux de chômage ne cesse de baisser depuis trois ans : à 7,1 % cette année, il devrait encore reculer à 6,7 % en 2013. Pour expliquer ce phénomène, il convient aussi de prendre en compte l'évolution démographique du pays : d'ici 10 à 15 ans, l'Allemagne sera confrontée à un déficit démographique majeur. A tel point que certains secteurs et régions manquent de main d'oeuvre. C'est le cas en Bavière, notamment, où le chômage est inférieur à 3 % et laisse nombre d'emplois qualifiés vacants. Je suis d'ailleurs surpris de constater une réelle résistance à la mobilité entre les Länder de l'Est et ceux du Sud.

Ce dynamisme a eu un impact très positif sur le commerce extérieur, l'Allemagne étant le seul pays de la zone euro à avoir accru ses parts de marché à l'export depuis 2000. Avec une part des échanges commerciaux dans le PIB de 49 % (contre 26 % pour la France), elle compte deux fois plus d'entreprises exportatrices que notre pays, et enregistre un solde du commerce extérieur de 50 milliards (contre un déficit de 75 milliards pour la France).

Naturellement, cette trajectoire positive de l'économie contribue directement à réduire le déficit public. Atteignant encore 4,3 % du PIB en 2010, il n'est plus que de 1 % en 2011 et devrait se stabiliser à ce même taux en 2012 et 2013. Puis il continuerait à baisser pour respecter l'engagement d'un plafond de 0,35 %, désormais inscrit dans la constitution et contraignant à partir de 2016.

L'Allemagne est donc incontestablement « le bon élève » économique de l'Europe aujourd'hui. Ce succès, elle l'a cependant obtenu « au prix fort », en faisant primer l'économique sur le social. Tout d'abord, le retour de la croissance s'est fait au prix d'une rigueur drastique : le plan d'économie voté en 2010 s'élève à 80 milliards, la loi de finances pour 2012 prévoyant un gel des dépenses pour cette année. Conséquence, le pouvoir d'achat a baissé, de 1 % depuis la fin des années 90, alors qu'il croissait de 18 % en France.

Les inégalités se sont accrues outre-Rhin bien davantage que chez nous. Alors que nous avons choisi de conserver les acquis sociaux de nos salariés, au risque favoriser le chômage, l'Allemagne a fait le choix inverse : soutenir l'emploi en flexibilisant au maximum le marché du travail, au risque d'une certaine précarité. Le « paquet » des lois Hartz, prises en 2002 et 2003, a constitué le socle de ce durcissement du droit du travail et d'un appauvrissement généralisé de la population active, avec l'assouplissement des règles de licenciement, la réduction de la durée d'indemnisation de l'assurance-chômage, le durcissement des conditions de refus d'emploi d'un chômeur et, surtout, la facilitation de la création de « mini-jobs ».

Appelés également « jobs à 1 euro » de l'heure, ces petits boulots renvoient à des tâches peu ou pas qualifiées, une quinzaine d'heures par semaine, pour un salaire mensuel d'environ 400 euros. Rendus possibles par l'absence de salaire minimum, ils se sont multipliés, notamment dans le commerce de détail. On en compterait de 3 à 7 millions, selon les critères de définition retenus. Il y a d'ailleurs tout un débat sur le sujet pour savoir quels sont les salariés qui doivent être considérés comme occupant un mini-job et quels sont ceux qui doivent en être exclus.

Parallèlement au développement de ces mini-jobs, la qualité des emplois s'est fortement dégradée au cours de la dernière décennie. Ainsi, en 2010, 43 % des emplois créés étaient des contrats intérimaires, 42% des contrats à durée déterminée, et seulement 15 % des contrats à durée indéterminée.

Ces évolutions défavorables ont été acceptées par les salariés afin de surmonter la crise : modération salariale contre garantie du maintien de l'emploi, ce qui me rappelle, en passant, ce qui s'est passé chez Continental. Dans une situation de croissance retrouvée, elles n'étaient plus soutenables pour le patronat, et ont alimenté de fortes revendications syndicales. Après avoir consenti d'importantes primes l'an passé, les entreprises ont cette année fini par accorder des hausses salariales allant de 2,3 à 4,5 % dans certains secteurs, d'autres étant toujours en cours de négociation.

Je vais maintenant vous parler de l'agriculture.

Bien que représentant moins de 1 % du PIB, elle constitue un secteur économique de première importance pour l'Allemagne, qui est tout de même le deuxième producteur en Europe après la France. Plus de la moitié de la surface du territoire y est consacrée, comme en France. Le nombre d'exploitations agricoles, qui tend à diminuer, atteint 335 000 pour un peu moins de 500 000 en France. Elles sont en moyenne de 46 hectares (55 en France), avec toutefois de grandes différences entre l'Ouest du pays (33 hectares) et l'Est (183 hectares). Cinq millions d'emplois ont un rapport avec le secteur agricole, soit pas moins de 12,4 % des actifs.

Contrairement à notre pays, l'élevage est le principal secteur de production, avec 57 % du chiffre d'affaires. L'Allemagne est également très présente sur les marchés de l'horticulture, de la vigne et du bois. Avec 31 % du territoire couvert par la forêt, elle a même le plus important volume sur pied d'Europe. L'industrie agro-alimentaire est également très importante, représentant trois fois le chiffre d'affaires de la seule filière agricole.

L'agriculture allemande bénéficie d'avantages compétitifs importants, qui en soutiennent le développement, en matière de fiscalité, de système d'aide à l'hectare ou de gestion des soutiens publics par les Länder. De plus, la politique agricole est menée à un double niveau, fédéral et régional. A l'échelle européenne, les positions sont souvent proches de celles de notre pays, dont le « profil agricole » est similaire à de nombreux égards.

Si l'Allemagne constitue donc une puissance agricole économique majeure en Europe, elle doit toutefois surmonter certains défis. Tout d'abord, le secteur reste encore déficitaire à l'export. Ce pays est même le deuxième importateur mondial de produits agroalimentaires : il perd ainsi 12,5 milliards chaque année dans ce secteur, là où nous en gagnons 8. L'Allemagne est d'ailleurs le premier client de notre pays, dont elle représente 13 % des ventes. Depuis 2007 toutefois, les exportations allemandes ont dépassé celles de la France, le pays étant devenu le troisième exportateur mondial, après les États-Unis et les Pays-Bas.

Deuxième limite au développement de l'agriculture allemande : l'existence de freins structurels. Ils sont liés à la forte densité du territoire fédéral, renforcée par la pression sur le foncier des productions énergétiques. Ils tiennent aussi aux difficultés d'embauche, particulièrement fortes dans le secteur primaire, ou encore à un modèle de développement très intensif. La délégation a d'ailleurs pu le constater, en se rendant dans deux exploitations d'élevage produisant du biogaz. Quoique de profils très différents, l'une étant de type familial en Bavière, l'autre une très grande structure d'ex-Allemagne de l'Est, elles se caractérisaient par l'intensité de leur méthodes d'élevage, ainsi que par le peu d'attention portée au bien-être animal.

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