Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 juillet 2012 : 1ère réunion
Groupe de travail sur les incapacités industrielles souveraines — Examen du rapport d'information

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Il m'appartient donc de vous présenter le dernier point de notre réflexion : les interrogations et pistes de réflexions.

Venons en tout de suite aux interrogations, directement liées à ces capacités industrielles militaires critiques.

Première question : est-ce que le rôle prééminent donné à la DGA dans la détermination des CIMC ne contribue-t-il pas à surpondérer la stratégie industrielle ?

Comme on l'a vu, la DGA joue un rôle prépondérant et quasi exclusif dans la détermination des orientations d'acquisitions des équipements. Or, ces orientations ont, dans la plupart des cas, pour finalité, de maintenir ou développer les capacités industrielles de notre pays ou de permettre l'éclosion de nouvelles technologies. L'action de la DGA peut s'enorgueillir de beaux succès. Elle a permis à notre pays de disposer d'un outil industriel de défense puissant, cohérent, compétitif et dont les produits sont technologiquement au meilleur niveau mondial. Il ne saurait donc être question de reprocher à la DGA de bien remplir la mission qui lui a été confiée.

Le problème vient de la faiblesse des autres acteurs dont le poids dans le processus décisionnel ne semble pas permettre de porter un regard différent, en particulier du point de vue opérationnel, sur les acquisitions d'équipements. Ce primat donné aux préoccupations de politique industrielle a des inconvénients et vos rapporteurs ont pu, par le passé, constater quelques ratés, heureusement rares, d'une politique qui peut, dans certains cas, conduire à priver les forces armées des outils dont elles ont besoin, comme ce fut le cas pour les véhicules haute mobilité, dont l'absence a fait défaut en Afghanistan.

Deuxième question : est-ce que l'absence de stratégie d'acquisition ne contribue-t-elle pas à sous pondérer les besoins opérationnels des armées ? Dans un chapitre intitulé « un nouveau partenariat entre l'industrie de défense et l'Etat » le Livre blanc préconisait que : « l'État doit être capable de faire connaître ses stratégies d'acquisition à long terme, permettant aux entreprises de se consolider et de se positionner sur le marché mondial. ». Or ces stratégies d'acquisition n'ont jamais été élaborées, alors qu'elles seraient fort utiles pour fixer un cap à l'action de l'Etat dans le long terme. Le propre d'une stratégie d'acquisition est en effet de privilégier le point de vue du client final, en l'occurrence les forces armées. Un tel regard nous semble aujourd'hui être insuffisant.

Enfin, troisième question : est-ce que l'absence d'instance d'arbitrage entre les besoins opérationnels et les préoccupations industrielles n'est-elle pas un manque ?

L'absence d'une instance d'arbitrage génère, sans doute à tort, un sentiment d'opacité, d'absence de collégialité et d'absence de stratégie tout court. Vos rapporteurs ont le sentiment que nombre de décisions récentes en matière d'équipements ont été prises à la va-vite, pour en finir avec des atermoiements qui n'auraient que trop duré. Or l'existence de conflits possibles entre stratégie d'acquisition et stratégie industrielle de défense n'est ni nouvelle, ni propre à la France. Il faut simplement trouver les voies et moyens de permettre aux politiques d'arbitrer entre ces points de vue également respectables.

Venons en maintenant aux pistes de réflexion.

Première piste de réflexion : nous pensons que l'Etat gagnerait à simplifier ses outils d'analyse stratégique et à rendre sa démarche plus libre, plus cohérente et plus transparente.

Vos rapporteurs ont le sentiment que le grand nombre de documents, pour la plupart classifiés, nuit à la clarté de la démarche stratégique. Ils doutent que la diffusion et plus encore l'exploitation de ces documents au sein de l'appareil d'Etat et dans la communauté industrielle de défense soit optimale. Ils ne sont même pas certains que les décideurs étatiques accordent à ces documents l'importance qu'ils méritent et prennent leur décision dans l'instant sur des considérations d'humeur, de complicité ou d'inimitié, en tenant compte d'un historique industriel, voire en fonction de préoccupations de communication en accordant trop d'importance au « qu'en dira-t-on ? ».

Le champ et l'articulation de ces documents mériteraient d'être repensés. Il serait dans l'intérêt de l'Etat de rendre publique, de façon maîtrisée, une partie de ces documents, comme c'est le cas aux Etats-Unis avec les listes de technologies militaires critiques (military technologies critical list MTCL) ou en Grande-Bretagne avec la stratégie d'acquisition. Le PP30 mériterait peut-être d'être scindé en deux documents, car il est à la fois un outil de prospective opérationnelle, dans sa dimension scientifique et technologique, mais aussi un instrument de stratégie industrielle et de dialogue avec les entreprises. Bref, une mise à plat des outils d'analyse stratégique et une clarification du statut des différents documents semblent nécessaires. Elles pourraient être inspirées par les impératifs suivants :

- l'impératif de transparence : le fait, par exemple, que la prospective opérationnelle soit secrète rend toute appréciation de l'adéquation du format des armées aux menaces anticipées impossible et, partant, tout contrôle parlementaire illusoire ;

- l'impératif de permanence : la présence d'un document stratégique fixant les lignes directrices de la défense de l'Etat pour une période longue présente des avantages, en particulier celui de fonder les lois de programmation militaires dans le but de mettre les équipements de défense à l'abri des régulations budgétaires annuelles. Néanmoins, le monde change au quotidien et pas tous les quinze ans. L'analyse stratégique doit donc être permanente. Notre pays gagnerait à désacraliser l'exercice du Livre blanc en ayant des documents de long terme plus brefs et plus incisifs, en synchronie avec les lois de programmation et une analyse stratégique conduite sur des exercices plus rapprochés ;

- l'impératif de liberté : pour être pertinentes la prospective géostratégique et la prospective opérationnelle ne doivent pas être contraintes par la prise en compte des moyens ou la définition des ambitions. Elles doivent associer de façon harmonieuse des hommes de l'art, militaires, industriels, politiques, mais aussi et surtout des personnalités fortes capables d'envisager des scénarios inédits et de décrire des menaces improbables. La perversion de l'analyse serait de minorer certaines menaces, sachant qu'on ne pourra les parer pour des raisons budgétaires, ou d'en majorer d'autres, afin de justifier le maintien d'armements coûteux, mais désormais inutiles ;

- l'impératif de sincérité commande de ne pas se payer de mots, comme par exemple définir au coeur des objectifs de la politique « la préservation de l'indépendance » et, en même temps, définir « l'ambition européenne comme une priorité ». Le plus d'Europe se traduira par un moins d'indépendance. Ce qui ne veut pas dire moins de souveraineté. Il faut en être conscient et faire des choix en conséquence, ne pas plonger la tête dans le sable, comme des autruches ;

- l'impératif de cohérence consiste à adapter ses moyens à ses ambitions. Si la France veut vraiment mettre en oeuvre une politique d'indépendance nationale, cela a un coût important qu'il faudra assumer par des choix budgétaires volontaristes. L'impératif de cohérence commande également de ne pas procéder à la programmation financière, et encore moins aux arbitrages budgétaires -à la hausse comme à la baisse- sans avoir au préalable conduit une nouvelle analyse stratégique. Il serait inconséquent de s'interroger sur les programmes qu'il ne faut pas lancer ou sur ceux qu'il est possible de réduire sans avoir au préalable réexaminé nos ambitions de défense.

Toujours dans cette voie consistant à améliorer la démarche stratégique française, vos rapporteurs considèrent que la coordination entre les différentes étapes gagnerait à être mieux articulée. C'est le cas, en particulier, de la liaison entre la prospective géostratégique menée par la DAS et la prospective opérationnelle menée par l'EMA. Notre sentiment est qu'il n'est pas tenu suffisamment compte de la prospective géostratégique, dans l'exercice consistant à dresser la physionomie des menaces. Enfin, la notion de « menace » ne doit pas être l'angle unique de regard de la prospective opérationnelle. Celle-ci devrait considérer davantage les opportunités. Le fait, par exemple, que le monde se réarme doit-il être considéré comme une menace ou au contraire comme une opportunité de vente d'armes aux compétiteurs ?

Toujours dans le même ordre d'idées, il serait souhaitable de travailler davantage sur la boucle « définition des ambitions de défense - analyse des moyens ». C'est la partie la plus difficile de l'analyse stratégique. Mais aussi la plus nécessaire, car il ne servirait à rien de mener une prospective stratégique et opérationnelle élaborée, si in fine, tout est dicté par des considérations budgétaires ou de préservation de tel ou tel programme, de telle ou telle compétence, de telle ou telle entreprise industrielle. Autant dans ces conditions faire l'économie du Livre blanc et passer directement au vote du budget !

Par ailleurs, nous estimons qu'il serait souhaitable que l'Etat élabore et rende publique sa stratégie d'acquisition des équipements militaires. La stratégie des trois cercles part du constat que la France ne peut plus se payer tous les équipements militaires et qu'identifier les capacités et technologies les plus critiques pour notre indépendance, c'est se donner les moyens de concentrer nos ressources sur l'essentiel. Or l'essentiel n'est pas l'important. Dresser un inventaire à la Prévert de toutes les technologies importantes et de toutes les capacités industrielles à fort effet de levier ne ferait que nous conduire à disperser nos moyens sur des capacités dont l'utilité militaire ne nous est peut être pas indispensable. La stratégie d'acquisition doit prendre en compte les intérêts de l'Etat et de ses forces armées qui ne se confondent pas avec ceux de l'industrie de défense. Pour être comprise et partagée par tous au sein de l'appareil d'Etat cette stratégie d'acquisition doit être claire et transparente.

Deuxième piste de réflexion, l'Etat doit déduire les CIMC de son analyse stratégique et pas l'inverse. Si le nouveau Livre blanc dessinait un outil de défense très différent de l'outil actuel, il devrait donc en déduire les capacités industrielles associées. Aujourd'hui notre outil de défense est organisé pour remplir trois missions, définies dans la préface du Livre blanc : « relever les défis que nous confèrent nos obligations internationales ; assurer l'indépendance de la France ; assurer la protection de tous les Français. »

Pour remplir ces missions, les forces armées doivent disposer des moyens leur permettant de garantir l'autonomie d'appréciation, l'autonomie de décision et l'autonomie d'action des responsables politiques. Elles doivent donc avoir la capacité non seulement de protéger les Français, sur l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, mais aussi de se projeter, pour remplir nos obligations internationales. Ces fonctions stratégiques supposent que l'Etat soit particulièrement vigilant sur certaines capacités industrielles militaires que nous listons, pour l'exemple, dans notre rapport et dont je vous épargnerai l'énumération.

Troisième piste de réflexion : l'Etat doit poursuivre ses efforts pour la sécurisation des approvisionnements en matériaux critiques. Soyons juste, la situation s'est améliorée. Le 24 janvier 2011 a été créé par décret un comité pour les métaux stratégiques (COMES) placé auprès du ministre de l'industrie afin de garantir nos approvisionnements. Il faut poursuivre cet effort.

Quatrième piste, c'est l'action sur l'offre : l'Etat ne pas renoncer à faire baisser les coûts des équipements militaires. Cela ne s'obtiendra par un coût de baguette magique. Nous suggérons de considérer les actions suivantes :

- réexaminer les doctrines d'emploi : l'objectif est ici de concentrer nos moyens budgétaires sur les équipements critiques et acquérir des équipements moins gourmands en technologie pour le reste.

Poursuivre l'action sur les règles d'acquisition : en l'absence de clause de préférence communautaire, ces directives ne permettront pas l'émergence d'un marché européen de la défense. Elles faciliteront, en revanche, l'émergence d'un marché transatlantique des équipements de défense. Or sur ce marché, les équipementiers américains, parce qu'ils disposent d'un marché vaste et profond et d'une protection réglementaire que nos industriels n'ont pas, ont des avantages comparatifs considérables qui, à terme, pourraient se traduire par la disparition des compétiteurs européens. Une renégociation des directives européennes du paquet défense afin d'y incorporer une clause de préférence communautaire semble difficile et, pour tout dire, hors de portée. Cela tient, en particulier, à la position britannique et au positionnement commercial de BAé sur le marché américain. En revanche, la proposition d'une lettre d'intention en faveur d'une préférence communautaire avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols afin de créer un coeur industriel de défense européen, mériterait d'être tentée. Enfin, on peut se demander pourquoi l'Etat français renonce souvent de lui-même à faire des appels d'offre dans des secteurs tels que les drones, ce qui joue contre ses propres intérêts et se traduit par un renchérissement des équipements acquis.

Ne pas renoncer à des programmes en coopération : les grands programmes d'armement menés en coopération européenne ont donné des résultats mitigés. Néanmoins certains programmes européens ont été de grand succès. Surtout, sans coopération certains programmes n'auraient tout simplement pas existé. C'est le cas, en particulier, de l'avion de transport européen A400M, sur lequel nous vous présenterons dans quelques instants nos conclusions. Sans déflorer le sujet, je dirai que si ce programme a connu des difficultés, il est finalement en bonne voie d'achèvement et le produit final semble là aussi, très prometteur et bien moins cher (130 M€) que si les nations européennes avaient dû acheter des C17 américains (230 M€).

Malheureusement, plus aucun grand programme commun n'est envisagé en Europe. C'est fort dommage car, à condition d'être bien menés et peut être au prix de l'abandon du principe du juste retour, ces programmes permettent réduire le coût des équipements.

Est-il encore raisonnable de lancer sur une base nationale un nouveau programme de véhicule de transport de troupes terrestres (VBMR) ? Avons-nous vraiment tout tenté pour une coopération en matière d'armement naval ? Est-il possible qu'aucun autre pays européen ne soit intéressé en matière satellitaire ?

Ne pas placer trop d'espoirs dans le partage capacitaire : le partage capacitaire suppose, en effet, le moment venu, d'être assuré de pouvoir disposer des équipements. Cela suppose aussi que tout le monde ait quelque chose à partager, ce qui est de moins en moins le cas. Cette technique de partage des coûts peut donner de bons résultats dans les équipements éloignés du champ de bataille (transport aérien, matériel médical...). Mais peut-on envisager un partage des moyens de combat, comme par exemple les avions de combat ? Les Belges, les Hollandais, les Danois et les Norvégiens semblent vouloir s'y hasarder en raison d'une expérience commune découlant du partage d'un même équipement (le club F-16). Mais avec qui la France serait-elle prête à partager son aviation de combat ?

L'Etat doit repenser sa stratégie industrielle : l'industrie de défense française est un pôle d'excellence de l'industrie française. Il n'y aura pas de réindustrialisations de notre pays sans prise en compte de l'industrie de défense. Paradoxalement, en matière de défense, alors que la stratégie industrielle prend souvent l'avantage sur la stratégie d'acquisition, l'Etat actionnaire - au plus haut niveau de décision - semble avoir cruellement manqué de vision, en particulier dans les secteurs de l'armement naval, de l'armement terrestre et de l'électronique de défense. Il ne s'agit pas de remettre au goût du jour les nationalisations ni un quelconque « mécano industriel », hors de portée financière. Mais l'Etat ne peut se désintéresser de la façon dont les entreprises de défense s'organisent. Il ne peut abdiquer ses responsabilités d'actionnaire.

Or, tout le monde le sait, le marché des équipements de défense européen est trop fragmenté, avec un nombre trop important d'acteurs n'ayant pas la taille critique pour les investissements de R&D. Il est donc temps que l'Etat mette de l'ordre dans ses participations, puisque les règles du marché, en particulier la directive MPDS, ne joueront pas le rôle orthopédique que l'on en attendait, surtout si ceux-là même qui l'ont promue, en particulier notre pays, refusent d'y recourir.

Les dernières années ont été marquées par la montée en puissance du groupe Dassault comme groupe pivot de l'industrie de défense française, avec la prise de participation majoritaire au capital de Thales, puis, à travers celui-ci, dans DCNS et Nexter. L'idée avait même été évoquée un moment de la constitution d'un champion national, à l'instar du groupe britannique BAE.

Cette stratégie est critiquable à maints égards. D'abord parce qu'elle laisse l'Etat face à un monopoleur national et le condamne donc à acheter les produits de ce monopoleur au prix fort. Ensuite, parce que la constitution de monopole est injustifiable si elle se fait au profit d'intérêts privés. Enfin, parce qu'elle ne pourra jamais conduire à la constitution d'une « Europe de la défense » et handicapera les différents champions nationaux européens (BAE, Dassault, Finmeccanica), omnipuissants sur leur marché intérieurs, mais d'une taille insuffisante pour entrer en compétition avec leurs concurrents occidentaux.

Il serait donc préférable de favoriser la constitution de groupes européens. Les industries de défense européenne doivent avoir une taille critique suffisante pour concurrencer leurs compétiteurs sur les marchés mondiaux et offrir aux forces armées européennes des équipements performants mais moins chers. Pour repenser sa stratégie industrielle, l'Etat a besoin de moyens financiers, mais aussi et surtout, d'une vision claire et cohérente. Pour ce qui est de la vision, l'État doit repenser sa stratégie, non pas de façon isolée, mais de concert avec ses alliés. La raison pour laquelle toutes les tentatives de regroupement ont échoué au niveau des programmes, au niveau des règles ou au niveau capacitaire, ou au niveau des restructurations industrielles, c'est simplement parce qu'il n'y a pas eu d'accord préalable sur la vision stratégique d'ensemble, sur une grande stratégie pan européenne. Ce qui m'amène à notre cinquième et dernière piste de réflexion :

L'action sur la demande - promouvoir la défense de l'Europe

Tous les Etats européens bénéficient de la protection des Etats-Unis au travers de l'Alliance atlantique. Beaucoup en ont profité pour réduire leur outil de défense au-delà du raisonnable. Ils bénéficient aujourd'hui de cette sécurité, sans en payer le prix. Cette situation pourrait ne pas durer si les Etats-Unis, comme ils le laissent entendre, se lassaient pour de bon de payer pour les Européens. Il faut donc que, dans le respect de leurs alliances, les Européens se prennent en charge eux-mêmes.

Mais pas plus que la défense des Etats-Unis ne repose sur les seuls Etats de Floride et de Californie, la défense de l'Europe ne peut reposer exclusivement sur la France et le Royaume-Uni. La défense de l'Europe est aujourd'hui une nécessité parce que plus aucun Etat européen n'a les moyens d'assumer seul les coûts d'un outil de défense permettant de satisfaire les principales fonctions stratégiques. Il est donc nécessaire que chacun y contribue à la même hauteur, avec le même pourcentage d'effort. Cela aussi fait partie de la solidarité européenne et c'est quelque chose que nous pourrions rappeler à nos amis allemands qui nous donnent des leçons en matière de déficit. On ne pourra pas avancer, si les uns font un effort de 1 % du PIB et les autres un effort de 2 %.

Quoiqu'il en soit, les réflexions qui précèdent permettent de voir en quoi l'absence de réflexion stratégique partagée au niveau européen entrave l'émergence d'une authentique politique de défense européenne. Si l'on souhaite mettre en place une politique de défense européenne, ou même seulement une défense de l'Europe, la première chose par laquelle commencer est de mener, en commun, une analyse stratégique qui débouche sur une même vision géostratégique, une même vision des conflits futurs, qui partage les mêmes ambitions et qui définisse les grandes lignes d'un outil de défense encore à construire. Tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout cela, il ne pourra y avoir de politique de défense européenne, pas plus que la constitution d'une base industrielle de défense européenne, tout au plus la mise en place de quelques centrales d'achats et des projets ponctuels. Bref, un « Livre blanc sur la défense européenne » n'est pas une option pour ceux qui souhaiteraient que la France soit porteuse d'une ambition européenne. Il en est le préalable.

En conclusion, je résumerai donc nos travaux en disant que les membres de votre groupe de travail concluent que le concept de « capacités industrielles souveraines », trop imprécis, mérite d'être abandonné au profit de celui de « capacités industrielles militaires critiques ». Dans la perspective d'une meilleure utilisation de ce concept les pistes de réflexion qu'ils ont explorées portent avant tout sur la méthode.

Premièrement, l'Etat gagnerait à simplifier ses outils d'analyse stratégique et à rendre sa démarche plus libre, plus cohérente et plus transparente. Il devrait s'efforcer de mieux en articuler les étapes, de consacrer plus d'attention à la confrontation des ambitions et des moyens et enfin d'élaborer et rendre publique une stratégie d'acquisition des équipements militaires.

Deuxièmement, l'Etat doit déduire les capacités industrielles militaires critiques de la forme qu'il souhaite donner à son outil de défense et non l'inverse. Aujourd'hui, tel qu'il est dessiné, l'outil de défense français suppose de surveiller un certain nombre de capacités dont ce rapport s'est efforcé d'esquisser, pour l'exemple, une liste non exhaustive. Si à l'issue du nouveau Livre blanc, la France dessinait un nouvel outil de défense, il lui faudrait alors déterminer quelles autres capacités y associer. Le plus important est de bien retenir qu'en matière d'équipements de défense, tout ajustement budgétaire, à la hausse comme à la baisse, ne doit intervenir qu'après une révision de l'analyse stratégique et non pas avant. Il en va de l'efficacité et de la cohérence de l'outil de défense.

Troisièmement, l'Etat doit poursuivre ses efforts pour surveiller les matériaux critiques.

Quatrièmement, l'Etat ne doit pas renoncer à faire baisser les prix des équipements militaires. Il n'est pas dit que toute diminution de dépenses de défense doive se traduire par une réduction du format des armées.

Enfin, la mise en place d'une authentique défense européenne, qu'elle se fasse à deux, à trois ou à vingt sept, passera nécessairement par une analyse stratégique partagée.

La défense de l'Europe doit d'abord passer par des Livres blancs avant d'être concrétisée par des traités.

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