Dernier volet : les perspectives pour la flotte européenne de la mise en place de l'EATC, l'European Air Transport Command.
L'EATC est né d'une volonté politique paneuropéenne affirmée par les Chefs d'Etats et de gouvernement européens d'Allemagne, lors du sommet de Tervuren le 29 avril 2003. Cette volonté a conduit, à une déclaration d'établissement de l'EATC en octobre 2009 et à la signature d'un arrangement technique en juin 2010.
Ce commandement a pour objet d'optimiser les ressources, d'accentuer l'interopérabilité, de réduire le coût du soutien logistique, de réduire les dépenses globales et d'être en mesure de soutenir les opérations des quatre nations.
L'EATC doit être partie intégrante des structures de commandement des nations. Pour ce faire, il se situe à un niveau intermédiaire de commandement entre les états-majors et les grands commandements de chacun des grands pays et le niveau d'exécution formé des escadres et des escadrons. Néanmoins, pour inter-opérer les avions des quatre nations un minimum d'harmonisation des règles d'emploi - heures de vol, heures d'entraînement - et de standardisation a été nécessaire.
Je voudrais vous montrer ce que cela représente en termes d'aéronefs concernés.
On voit ainsi que l'EATC a autorité - au travers des nations - sur 128 avions, ce qui peut représente une soixantaine d'avions qu'il peut assigner à des missions à tout moment. C'est la démonstration que l'on peut faire ensemble plus que l'on ne peut faire tout seul.
L'EATC a été bâti en attente de l'A 400M, en attente d'un avion capable de missions stratégiques et tactiques, d'un avion dont le standard sera unique et qui pourra ravitailler en vol, capacité qui manque cruellement aujourd'hui aux nations européennes.
En 2011, première année de fonctionnement de l'EATC, les avions mis à disposition ont transporté 7.700 tonnes et 47.000 passagers. Mais depuis les échanges croissent à grande vitesse.
Pendant l'opération l'Harmattan, les avions de l'EATC ont effectué 15 % des missions nécessaires au soutien des troupes françaises.
L'étude de la mise en service de l'A400M nous a conduits à nous poser la question de la navigabilité en Europe et en particulier la question de savoir s'il fallait que l'Europe dispose d'une autorité militaire de navigabilité ou pas.
En regard de la certification militaire, la certification civile paraît d'une grande simplicité, puisque c'est une autorité unique, au niveau européen, l'Agence européenne pour la sécurité aérienne ou EASA (European Aviation Safety Agency) qui est à la fois autorité technique et autorité de contrôle qui est née il y a dix ans à Cologne.
Le programme A 400M est le premier programme militaire ayant eu pour ambition d'obtenir la certification « civile » délivrée par l'EASA. Il y avait à cela de bonnes raisons, en particulier le fait qu'il n'y a pas d'autorité militaire unique en Europe. Je ne vais pas rentrer dans le détail, tout cela est dans le rapport écrit. Je dirais simplement ceci :
Premièrement les règles de certification civile sont extrêmement exigeantes et impriment toutes les phases de conception, de fabrication et de soutien de l'avion pendant tout son cycle de vie. C'est ce qui explique, en partie, les retards accumulés sur le planning initial et en particulier sur le FADEC et le FMS. Aujourd'hui l'avion respectera cette certification et c'est une des raisons qui nous rendent absolument confiants dans l'affirmation qu'il sera tout simplement le meilleur.
Deuxièmement, les logiques de certification représentent, pour les Européens, un enjeu de pouvoir considérable. L'existence d'un label européen de ce niveau en matière civile, mais aussi en matière militaire est un élément critique dans notre capacité à exporter nos productions industrielles.
C'est pour cela que nous sommes favorables à ce qu'à terme émerge une autorité militaire européenne unique. Cela est demandé par nos clients. Ce serait un avantage décisif pour nos exportations.
En conclusion, je ferai cinq observations.
Premièrement, le programme A400M a connu des débuts très difficiles. Des leçons doivent impérativement en être tirées pour les prochaines coopérations européennes. En particulier, le principe du juste retour doit être définitivement abandonné et liberté doit être donnée aux industriels contractants de choisir leurs sous-traitants en fonction de leurs compétences et non pas de leur nationalité. Il ne s'agit pas là d'un voeu pieu mais d'un principe vital. Sans quoi, les Etats européens ne pourront jamais tirer les bénéfices de leurs coopérations. Or de telles coopérations sont indispensables car la voie en solitaire est désormais fermée.
Deuxièmement, le programme suit désormais un cours plus normal. Il devrait respecter le nouveau calendrier de livraison et l'avion devrait satisfaire aux exigences contractuelles. L'A400M sera le meilleur avion de transport militaire au monde parce que le seul d'une telle dimension disposant à la fois de capacités stratégiques et tactiques.
Troisièmement, la satisfaction légitime que l'on peut tirer de la livraison imminente des appareils contraste avec les inquiétudes que l'on peut avoir quant à la mise en place d'un soutien commun.
Ces inquiétudes ne tiennent pas au fait que l'on ait abandonné l'idée initiale d'un contrat global sur les moteurs et la cellule. Un tel contrat eût grandement facilité la vie des Etats clients et il aurait été la garantie d'une évolution commune. Mais il aurait généré des surcoûts importants. Au demeurant, le fait d'avoir des contrats séparés, l'un pour la cellule, l'autre pour le moteur, est la règle dans l'aéronautique civile et militaire.
En revanche on ne peut se résoudre au fait que les nations arrivent en ordre dispersé, ne tenant compte que de leurs seuls intérêts, dans la négociation des différents contrats de soutien face aux industriels. On ne peut davantage accepter qu'aucun stock commun européen de pièces de rechanges ne soit sérieusement en cours de constitution.
Les deux tiers des économies à attendre d'un programme européen de cette ampleur proviennent de la capacité des Etats à mettre en place un soutien commun et des stocks communs. Les nations clientes doivent donc faire de nouveaux efforts afin de remédier à cette situation dans les meilleurs délais. Cela passera nécessairement par une action diplomatique au plus haut niveau. Cela passera également par la mise en commun des centres d'excellence dont chacun dispose. De ce point de vue, la France, avec ses AIA (ateliers industriels de l'aéronautique) a des atouts à proposer. Que les autres nations fassent valoir les leurs.
Quatrièmement, cette action concertée est d'autant plus nécessaire que la mise en place de l'EATC a changé la donne et pousse en faveur d'une harmonisation des règles d'emploi.
L'Europe « à la carte » est peut être utile pour progresser face aux blocages. Mais on en trouve vite les limites. Est-il rationnel de mettre le soutien en commun avec le Royaume-Uni qui ne fait pas partie de l'EATC et le contrôle opérationnel avec les pays fondateurs de l'EATC ? La raison commande aux Européens de terminer ce programme comme ils l'ont commencé : ensemble.
Enfin, le moment semble venu de donner un nouvel élan à l'harmonisation des règles de sécurité aérienne européenne militaire, à l'instar de ce qui a été fait dans le domaine civil et de considérer sérieusement les voies et moyens de la mise en place d'une autorité européenne, susceptible de faire gagner à tous les Etats du temps et de l'argent ? Ces règles constitueront une référence internationale et un atout exceptionnel pour l'Europe.