Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner la possibilité de nous exprimer sur le rapport de la Cour des comptes. La CSPE est un sujet qui nous occupe ; j'ai presque envie de dire qu'il nous préoccupe. En effet, ce mécanisme est déséquilibré et c'est EDF qui en subit les conséquences. J'interviens d'ailleurs en tant que directeur financier du groupe, et l'ensemble de mes observations seront faites à ce titre, puisque le déséquilibre est principalement d'ordre financier.
Je tiens tout d'abord à souligner - comme l'ont fait tous ceux qui se sont exprimés - la qualité et l'exhaustivité du rapport de la Cour des comptes, qui établit un diagnostic précis, complet et partagé, et formule des propositions que nous trouvons très intéressantes ; j'y reviendrai.
Le rapport met en évidence deux problèmes majeurs dans le domaine financier. Le premier problème est le déficit de compensation ; vous l'avez évoqué, monsieur le président. Ce déficit est très élevé : 3,8 milliards d'euros à la fin de l'année 2011, plus de 4 milliards aujourd'hui. Même EDF ne peut pas supporter un tel déficit de façon durable.
Le second problème, tout aussi important même s'il ne représente que quelques pourcents d'augmentation de la facture, comme M. Tognola l'a souligné, est l'évolution du poids de la CSPE dans la facture globale des consommateurs. À nos yeux, c'est un vrai sujet à un moment où EDF doit consentir des investissements importants.
J'aborderai tout d'abord le problème du déficit de compensation et des charges qu'il génère. La Cour des comptes observe dans son rapport que les charges de service public ont augmenté rapidement et que la CSPE n'a pas été relevée en conséquence. Des dispositions législatives ont certes été prises en 2010 pour remédier à ce problème de déficit, mais elles n'ont pas suffi compte tenu de l'ampleur des difficultés. Le déficit financé par la trésorerie du groupe EDF s'élevait à 500 millions d'euros en 2007 et à 700 millions en 2008 ; depuis lors, il a augmenté d'un milliard par an, et il devrait donc dépasser 4,5 milliards en 2012.
C'est autant de trésorerie d'EDF qui est ponctionnée, ce qui pose naturellement un problème à notre groupe. En effet, EDF a deux particularités. Dune part, nous sommes le groupe d'électricité qui investit le plus. D'autre part, à la différence de tous nos concurrents en Europe, notre programme d'investissement est à la hausse ; je pense principalement à la France, qui représente plus des deux tiers de nos investissements, avec plus de 7 milliards d'euros en 2011 - nous pourrions dépasser les 10 milliards en 2015. Pour financer ce programme d'investissement, nous avons recours aux marchés internationaux. Je ne suis pas ici pour commenter l'utilité des agences de notation ; je dirai simplement que nous sommes actuellement les mieux notés de notre secteur, et qu'il est très important que nous le demeurions.
Or le déficit de compensation représente plus de 10 % de notre dette et pèse donc d'autant sur notre structure financière et sur notre capacité à nous financer dans de bonnes conditions. En outre, ce déficit engendre des coûts de portage très significatifs pour notre groupe. Nous considérons donc que la charge financière occasionnée par ce déficit, qui n'avait pas été prévu lors de la création du dispositif, devrait être compensée par la CSPE elle-même.
Nous pensons que les modalités de calcul des charges financières devant faire l'objet d'une compensation devraient être précisées dans la loi et la réglementation. La prochaine loi de finances rectificative pourrait être l'occasion d'apporter cette précision.
Il en est de même des coûts de gestion. Monsieur le président, vous mentionniez tout à l'heure le nombre de champs ; ce sont autant de contrats que nous devons gérer. Ils entraînent des coûts de gestion de plus en plus significatifs pour l'entreprise EDF. L'esprit de la loi, c'est qu'EDF soit compensée pour la totalité des charges liées au service public de l'électricité ; aussi, tant le coût de portage que le coût de gestion devraient être inclus dans la liste des charges à compenser.
J'ajoute d'ailleurs que cette juste compensation permettrait d'effacer ces coûts dans les comptes d'EDF, augmentant d'autant non seulement le résultat avant impôt du groupe et donc la charge d'impôt qu'EDF acquitterait à l'État français, mais aussi le dividende versé par EDF à son actionnaire, si celui-ci le souhaite. Cette charge, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur Lévy, alimente d'autant le déficit budgétaire auquel vous faisiez référence.
Voilà donc un premier problème lié au déficit extrêmement significatif que supporte EDF.
Le deuxième problème, tout aussi important, tient au poids de cette taxe dans la facture du consommateur. Même si nos points de vue divergent quelque peu sur les scénarios, le rapport de la Cour des comptes montre bien toutes les hypothèses qui sous-tendent ces derniers. Que l'on retienne le chiffre de 9 milliards d'euros ou de 11 milliards d'euros à l'horizon 2020, la taxe devrait passer de 10 milliards d'euros à plus de 20 milliards d'euros à cet horizon. Même si l'augmentation de cette taxe ne représente que quelques points de hausse de la facture d'électricité, les recettes supplémentaires dégagées pourraient être consacrées notamment aux investissements très significatifs que doit faire le groupe EDF en France.
S'il est possible d'augmenter la facture du client, du consommateur français, il est très important que ce surcroît de recettes soit principalement consacré au financement des investissements supplémentaires que doit réaliser EDF, tant dans son parc de production - avant même Fukushima, nous avions prévu de doubler les investissements de maintenance du parc de production en France en les faisant passer de 1,7 milliard d'euros en 2010 à 3,5 milliards d'euros en 201 - que dans les réseaux - chaque année, nous augmentons très significativement les investissements visant à améliorer les réseaux : plus 10 % en 2011, et même 25 % si l'on considère les investissements visant à améliorer la qualité des réseaux.
Je le répète, s'il est possible d'augmenter la facture du consommateur, nous considérons qu'il est plus judicieux que ce surcroît de recettes soit procuré par une hausse du tarif intégré de vente, qui nous permet d'investir, plutôt que par celle de la taxe.
À ce titre, les pistes ouvertes par la Cour des comptes sur le financement des charges futures nous paraissent extrêmement pertinentes, qu'il s'agisse de l'élargissement du financement des énergies renouvelables à d'autres sources d'énergie ou de l'utilisation d'autres sources de recettes. Il est quelque peu paradoxal que le producteur d'électricité la plus décarbonée finance le développement des énergies renouvelables et en supporte en tout cas quasi exclusivement le déséquilibre.
Si EDF disposait d'une compensation pour le coût de portage de ses déficits, si EDF était compensée pour la totalité de ces coûts liés au service public de l'électricité, nous pourrions alors envisager, sur le plan purement financier, un étalement du remboursement de ce déficit sur une période bien plus longue que celle qui est actuellement prévue, au-delà de 2017. Cela permettrait de dégager une marge de manoeuvre dans l'augmentation mécanique prévue de cette taxe.
Je le répète, si le coût de portage et le coût financier nous sont compensés, nous pourrons envisager un étalement du remboursement de ce déficit.
En conclusion, je veux dire qu'EDF rejoint totalement la conclusion de la Cour des comptes quant à la nécessité de rechercher des moyens pour réduire le poids de la CSPE sur les factures d'électricité.
S'agissant de la couverture des charges futures, nous adhérons pleinement aux recommandations de la Cour quand elle suggère un élargissement des pistes de financement. Comme je viens de le dire, un étalement du déficit historique pourrait également être envisagé à titre de mesure complémentaire.
Dans l'immédiat, et vous me pardonnerez de profiter de l'occasion qui m'est offerte pour insister, c'est bien le problème du financement du déficit de compensation qui doit être résolu. Il est nécessaire que le principe de compensation intégrale des charges posé par la loi soit appliqué aux charges financières et aux coûts de gestion. De notre point de vue, ces charges doivent être expressément intégrées dans la liste des charges à compenser. Comme je l'ai indiqué plus haut, la prochaine loi de finances rectificative pourrait être l'occasion de procéder à ces aménagements législatifs et réglementaires.