Intervention de Cécile Duflot

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Cécile duFlot ministre de l'égalité des territoires et du logement

Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement :

C'est pour moi un honneur tout particulier que de présenter pour la première fois les grandes lignes de l'action du ministère de l'égalité des territoires et du logement devant la chambre des territoires qu'est le Sénat.

L'ensemble des élus locaux a vu se succéder au cours des dernières années des projets multiples et des visions fort différentes en matière de politique territoriale, depuis l'ambition planificatrice des années 1960 jusqu'aux politiques de dérégulation, en passant par l'étape significative et historique de la décentralisation. L'aménagement du territoire semblait dépourvu d'un objectif clair, voire d'une ambition nationale. Il laissait coexister des politiques territoriales diverses aux ambitions inégales, qui ont rimé pour certains espaces avec abandon et relégation.

Le mandat que nous a confié le Président de la République est clair. Il l'avait exprimé lors de sa campagne, et sa feuille de route s'est trouvée confirmée et précisée par le discours de politique générale prononcé par le Premier ministre la semaine dernière. Notre mission est de placer l'ensemble des politiques d'aménagement du territoire sous le sceau de l'égalité. Ce qui ne signifie pas l'uniformité ou l'unicité, mais la reconnaissance de la diversité des contextes locaux dans une ambition de justice. C'est donc une mission nouvelle pour les institutions de la République, comme le fût à une époque - et j'en fus une partisane engagée - le développement durable. Elle remet les territoires au coeur de la République, comme beaucoup d'entre vous s'y sont attachés au cours des dernières années.

Aujourd'hui, chaque Français connaît sur son territoire une entreprise qui a délocalisé pour réduire ses coûts, et voit dans le même temps s'enchainer les fermetures de classes ou de réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté.

Dans le seul département de la Moselle, ce sont ainsi 5 400 postes de militaires, quatre tribunaux d'instance, deux conseils de prud'hommes, 267 postes dans l'enseignement primaire, une prison, et une quinzaine de brigades ou pelotons de gendarmerie qui ont été supprimés. A Joigny, dans l'Yonne, en douze ans, la ville a connu la fermeture de la maternité et du service de chirurgie, le départ du 28ème régiment de cartographie militaire, la fermeture des tribunaux d'instance et de commerce ; il ne reste que 24 agents de Pôle emploi pour 2 829 demandeurs d'emploi. A Briançon, ce sont une caserne et un tribunal qui ont fermé, le service de réanimation de l'hôpital devant subir le même sort.

Devant ce constat sans équivoque, les Français nous ont envoyé un message politique clair lors du premier tour de l'élection présidentielle. L'extrême-droite a remporté des scores sans précédent dans des territoires qui en étaient jusqu'alors préservés. Dans les campagnes, les quartiers et les villes petites et moyennes, vient se mêler à la désespérance sociale, qui naît de la crise, un sentiment de relégation et d'abandon par la puissance publique. Les Français sont à la fois déstabilisés par les effets incontrôlés et injustes d'une mondialisation sans limites, mais également victimes d'une réforme de l'État menée de manière désorganisée et incontrôlée. Les services publics ne jouent plus leur rôle, là où ils devraient être une puissance d'intégration.

Dès lors, naît un sentiment de méfiance et d'inquiétude. L'individualisme prospère, l'égoïsme progresse et le lien social se délite. L'État doit retrouver pleinement son rôle. Non pas celui d'une institution planificatrice qui décide de tout sans rien réaliser. Mais celui d'un État stratège, qui accompagne les citoyens, comme les élus, dans leurs projets.

L'égalité des territoires ne doit pas se concentrer sur quelques bénéficiaires, quartiers réservés ou territoires protégés. Elle doit donner à tous les habitants les moyens semblables de choisir leur vie. Si nous voulons assurer au plus grand nombre une amélioration de la qualité de vie - accès au logement, aux services publics, aux biens publics et à un environnement sain -, nous devons faire progresser les possibilités de recourir au droit et envisager les problèmes territoire par territoire.

Nous devons faire en sorte que les quelques 85% de la population française qui vivent à la ville s'y sentent bien, mais aussi éviter que les habitants des zones rurales ou des petites villes ne soient privés de l'accès à des services prévus pour tous. Nous devons reposer la question des relations entre les centres-villes, les banlieues et les territoires ruraux, ainsi que celles entre les grandes aires métropolitaines, dont la région capitale, et le reste du territoire. En somme, il s'agit de repenser la solidarité, à l'échelle nationale, comme à l'échelle régionale et locale.

Les problèmes sociaux sont en effet aujourd'hui multiples et diffus. Des quartiers dégradés existent également loin de la région capitale, comme à Limoges ou à Grande-Synthe. Mais la question sociale ne se limite pas aux quartiers populaires. Le statut d'ouvrier concerne plus de 60 % des hommes ruraux actifs - contre 44 % des citadins - et 18 % des femmes rurales actives - contre 9 % des urbaines.

La politique de la ville doit elle aussi être repensée, et mon collègue François Lamy y attache une importance toute particulière. La question des quartiers sensibles n'est jamais abordée comme elle se doit : s'ils connaissent des difficultés sociales et de la violence, ce sont les inégalités au sein d'une même agglomération qui sont les plus frappantes. Dans une même ville, cohabitent sans se rencontrer la grande bourgeoisie, des cadres et des professions intellectuelles, et des catégories populaires souvent immigrées. Le fossé se creuse, les inégalités progressent. Ainsi chaque année, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) nous montre que les quartiers sensibles voient leurs conditions de vie se dégrader, par rapport notamment aux centres aisés.

Mais si la carte des territoires prioritaires s'appuyait sur des données exclusivement sociales, elle ne ressemblerait absolument pas à celle actuelle des quartiers sensibles. Le recours croissant au revenu minimum d'insertion (RMI) et au revenu de solidarité active (RSA) dans les territoires ruraux en témoigne.

Un Français sur deux n'habite pas dans un grand centre urbain. Près des deux-tiers des communes de plus de 50 000 habitants ont perdu des habitants entre 1975 et 1990 au profit de la périphérie. Depuis 1975, ce sont les communes rurales périurbaines, celles qui sont dans la mouvance de grandes agglomérations, qui se développent le plus vite. Cette périurbanisation, qui avait commencé à s'essouffler, reprend depuis dix ans.

La fracture territoriale n'est pas toujours une fracture sociale. Elle est marquée par l'éloignement de services publics essentiels, laissant des populations entières dépendantes de leur automobile.

Il n'est pas de situation univoque, il n'est pas de solution unique. Nous devons donc trouver une réponse pour chaque territoire : pour les quartiers sensibles, pour les villes petites et moyennes et pour les territoires ruraux à faible densité. L'époque où l'aménagement des territoires se dessinait sur des plans et des schémas, loin des réalités de terrain, est révolue. Je souhaite associer pleinement les habitants, et d'abord leurs élus, à la construction de ces politiques. L'égalité des territoires se doit d'accompagner l'acte III de la décentralisation que nous engagerons, en s'appuyant sur des relations nouvelles entre l'État et les collectivités. Il s'agit de mettre en oeuvre une contractualisation nouvelle, partagée et équitable.

Nous devons aussi répondre aux nouvelles questions qui se posent, afin de mieux prendre en compte le fait métropolitain et son évolution, réexaminer les relations entre les régions, et considérer que les relations entre les territoires ne doivent pas être basées sur la compétition, mais sur une pleine coopération.

L'égalité des territoires, c'est aussi et avant tout une politique qui se trouve au coeur de la transition écologique, chère à ma volonté. C'est en effet au plus près de ces territoires que nous pourrons enraciner un modèle de développement soutenable économe de la ressource et soucieux des habitants, comme de l'environnement.

Dans les zones périurbaines, nous devrons entendre les attentes des habitants et améliorer leur desserte, tout en luttant vigoureusement contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols. Dans les zones rurales productives, nous devrons maintenir et renforcer une activité de proximité, tout en donnant un nouveau souffle aux villes et aux bourgs. Dans les campagnes abandonnées, nous devrons conserver les services publics, et en faire des espaces d'innovation et de création pour tous.

Dans les quartiers urbains sensibles, où se cumulent inégalités, chômage, insécurité, difficulté d'accès aux services, notamment publics, et enclavement, il faudra mettre un terme à des situations insupportables pour la République. A ce jour, à Clichy-Montfermeil, il n'y a toujours aucune agence Pôle emploi et pas de transport urbain !

La problématique n'est pas que locale et ne relève pas de la seule responsabilité des élus. Elle relève d'un enjeu national auquel l'État et le Gouvernement doivent apporter des réponses. Cela n'empêche pas les collectivités de s'approprier les sujets et de faire valoir leur connaissance du terrain. Mais en matière d'égalité, c'est la République qui est responsable et l'État qui doit en être le garant.

Le premier défi à relever sera de « réparer » les territoires meurtris. Je veux revoir la géographie prioritaire. Il y a aujourd'hui treize zonages différents. Comme l'intitulé de notre ministère l'indique, nous ne devons plus traiter les thématiques de manière éparse et désordonnée, mais selon une approche globale. La prise de conscience a eu lieu et la nécessité d'une action conjointe et coordonnée sur tous les territoires meurtris est désormais évidente.

Cet effort ne peut pas être décrété depuis Paris. L'égalité des territoires implique en effet la délibération collective de toutes les parties prenantes : les régions, dont le rôle en matière de développement économique ou de formation professionnelle est essentiel ; les départements, dont la mission d'insertion sociale doit être articulée avec celles des autres acteurs ; et les groupements de communes et leurs adhérents, dont le rôle de proximité est extrêmement important. L'égalité des territoires commande surtout une participation de tous les habitants. Il faut faire confiance à l'intelligence des territoires et leur permettre de reprendre en main la maîtrise de leur avenir.

En matière de politique de la ville, le Gouvernement prendra rapidement des mesures d'urgence dans trois domaines : il rétablira l'égalité sociale en créant 150 000 emplois d'avenir dans les communes qui connaissent à la fois un taux de chômage élevé et une pénurie de services publics ; il rétablira l'égalité devant la loi en déployant des effectifs de police supplémentaires ; enfin, il luttera pour l'égalité des chances en affectant prioritairement les emplois créés dans l'Education nationale aux écoles situées dans les quartiers populaires et en créant un droit à un capital formation pour tout jeune qui décroche.

J'engagerai la suppression des zonages au profit d'un périmètre unique resituant les quartiers défavorisés dans les dynamiques d'agglomération, au service d'un projet global de territoire. Ce périmètre distinguera la situation des villes qui ont des quartiers défavorisés de celles entièrement défavorisées, et ciblera les territoires qui ont structurellement peu de ressources et beaucoup de charges. Il proposera un contrat unique, déterminé en cohérence avec le périmètre prioritaire, transversal aux différents champs d'intervention, intégrant dans un même mouvement les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) et les projets de rénovation urbaine (PRU). On ne peut en effet dissocier l'humain de l'urbain. Le programme national de rénovation urbaine (PNRU) sera mené à son terme ; nous souhaitons qu'une nouvelle étape s'engage avant la fin de la mandature.

Il nous faudra restaurer la solidarité entre les territoires, gage d'une véritable cohésion nationale, à travers une politique de péréquation rénovée entre les différentes catégories de collectivités et territoires. Cela passera également par une politique raisonnée d'aménagement du territoire qui assure la mixité sociale, concilie les espaces naturels, agricoles et urbanisés, et développe la capacité de chaque territoire à trouver des relais de croissance. Je souhaite contribuer à la diversification des modèles de développement par le tourisme, par l'économie rurale, par l'économie sociale et solidaire, ou encore par la politique territoriale de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Ce sont autant de leviers pour ré-articuler au niveau régional les liens entre villes et campagnes autour de circuits courts, de solidarités nouvelles et de filières régionales créatrices de valeur, grâce à un tissu de PME devant être mieux accompagnées.

Il nous faudra également nous assurer de la permanence d'un service rendu au public, en fonction des besoins propres de chacun des territoires, en y affectant les moyens de droit commun.

L'égalité devra être rétablie, non seulement devant les charges publiques, mais également dans l'accès aux services publics. Je veux que les effectifs, ainsi que toutes les dépenses d'intervention de droit commun de l'État qui ne sont pas destinées aux ménages, soient affectés sur la base d'un diagnostic territorial, d'un dialogue puis d'un contrat passé entre l'État et les collectivités. Notre crédibilité dépendra en effet de notre capacité à rétablir l'égalité et la justice dans la répartition des moyens de droit commun, en affectant les effectifs et les dépenses d'intervention vers les collectivités les plus démunies, à partir d'un diagnostic partagé.

Un panel de services adaptés doit être offert à l'ensemble des Français, dans des conditions d'accès demeurant raisonnables. L'heure est venue de conjuguer présence physique de proximité et télé-services, et de désenclaver les territoires par une politique adéquate de transport et de développement de la couverture numérique.

Je ne pourrai relever seule ces défis, qui présentent pour la plupart une dimension interministérielle. Je souhaite énumérer quelques sujets sur lesquels nous entendrons associer la représentation nationale.

Il s'agira tout d'abord de tenir l'engagement présidentiel d'une couverture haut débit, puis très haut débit pour tous. Cette politique d'investissement public dans les réseaux favorise un développement plus harmonieux. Elle facilite la diffusion des services et remédie aux inégalités et à la fracture numérique. Enfin, elle constitue un levier de développement de nouveaux services, notamment dans le secteur privé. Le modèle reste à inventer ; ce pourrait être la transformation d'une partie de l'administration en plateforme, grâce à l'open data, sur laquelle se grefferaient des opérateurs proposant des services élaborés à partir des données mises en ligne.

Cette indispensable couverture numérique ne sera pas toutefois une raison de réduire la présence des services publics, au risque de les déshumaniser. Elle sera au contraire l'occasion de ré-articuler d'un côté les fonctions d'accueil, d'orientation, d'écoute, de conseil et d'appui, qui supposent la rencontre physique, et de l'autre la fonction d'administration de procédures, pour laquelle c'est moins le cas.

Notre deuxième objectif sera d'assurer l'accès en un temps raisonnable aux services essentiels pour tous : l'école et la petite enfance, la santé et les loisirs. Je sais que la présence médicale sur tous les territoires est un sujet dont vous vous êtes saisis avec résolution, dans vos territoires bien sûr et ici, au Sénat. Je prendrai connaissance avec attention des conclusions du groupe de travail présidé par Jean-Luc Fichet.

Il est essentiel de réussir le renouvellement des voies de chemin de fer et de relancer une ambition nationale de désenclavement, c'est-à-dire de pouvoir accéder à un centre urbain ou économique dans un délai raisonnable, ceci en déclinant, dans des schémas régionaux, des objectifs d'amélioration de l'accessibilité et de la desserte des territoires.

Pour donner un nouvel élan à une politique territorialisée de soutien à un développement économique durable, il faut structurer les métiers de l'aménagement du territoire et développer une ingénierie publique innovante, décentralisée et écologique.

L'accroissement de la mixité sociale dans les grands centres urbains doit être poursuivi. Le renforcement des obligations de la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) figure dans le programme présidentiel, mais les sanctions prévues sont rarement effectives. Je peux vous assurer qu'elles seront appliquées.

Je souhaite que nous réfléchissions également au levier que constituent les documents d'urbanisme pour favoriser la planification de la mixité sociale à l'échelle pertinente et éviter la ségrégation urbaine.

Mais nous devons voir plus loin et « refaire la ville » en intégrant ses habitants. La conception des quartiers doit prendre en compte la logistique et les services, ainsi que les relations avec les autres espaces, urbains comme ruraux, en privilégiant les circuits courts, qui s'appuient sur des réseaux de chaleur intelligents et sur le transport durable. Je veux éviter le risque d'un urbanisme générique, d'une ville sans qualité et sans identité, qui se plie aux seuls impératifs financiers et sécuritaires.

La politique du logement constitue le deuxième volet d'action de ce grand ministère. Elle n'est pas un complément à la politique d'égalité des territoires, mais véritablement un moyen privilégié d'atteindre ses objectifs à l'échelle nationale.

Dans les zones tendues, se pose le problème du coût de l'accès au logement et de ses conséquences : sur-occupation, reste à vivre réduit au minimum, saturation des capacités d'hébergement, listes d'attente interminables pour accéder au parc social et, en parallèle, exploitation de la situation par des « marchands de sommeil » qui profitent de la « captivité » des ménages dans le parc privé.

Dans les zones plus détendues, les problèmes sont d'une autre nature : dégradation du parc faute d'investissements, précarité énergétique, inadaptation des logements au vieillissement de la population ...

Ces crises sont le résultat d'un monde qui a changé : les inégalités, la pauvreté et la précarité au travail ont explosé, la structuration des familles a évolué, le vieillissement de la population a débuté. Le modèle français du logement, repensé à la fin des années 70, ne correspond plus à cette réalité. Il faut désormais l'adapter en profondeur tout en améliorant les conditions de vie des Français. Pour y parvenir, trois défis majeurs doivent être relevés.

Le premier, le plus important, est celui de l'offre. Nous devons développer massivement la construction de logements à des prix abordables, là où sont les besoins. L'objectif, très ambitieux car inédit depuis plus de trente ans, a été fixé par le Président de la République à 500 000 logements nouveaux chaque année. Nous n'y parviendrons pas du jour au lendemain, mais progressivement, en nous donnant les moyens de notre ambition.

Il faudra tout d'abord trouver des terrains. A cette fin, un programme de mobilisation du foncier sans précédent sera lancé par le Gouvernement dès les mois qui viennent. Il s'agira bien sûr du foncier public, dont la mise à disposition sera facilitée et simplifiée, avec une forte décote pour la réalisation de logements sociaux. Mais il s'agira aussi du foncier privé : nous travaillons à l'instauration d'une fiscalité spécifique sur les terrains constructibles qui permettra de lutter contre la rétention foncière.

Ensuite, il faudra des élus volontaires. A court terme, nous étudions la mise en place de moyens incitatifs forts, afin d'accompagner ceux qui construisent. Il faudra sans doute songer aussi à pénaliser davantage ceux qui refusent de prendre part à l'effort. A moyen terme, doit être posée la question essentielle de l'échelle pertinente pour élaborer et mettre en oeuvre les documents d'urbanisme : les compétences de l'échelon intercommunal doivent être renforcées en ce domaine.

Enfin, il faudra des investisseurs intéressés par la pierre et soucieux d'investir dans une cause utile. Le fer de lance du programme de construction sera constitué des bailleurs sociaux. Ils devront réaliser 150 000 logements par an. Nous leur donnerons pour cela des moyens renforcés, mais resterons très exigeants. Leurs capacités de financement devront être mutualisées et les logements sociaux financés majoritairement issus d'opérations neuves et adaptés aux besoins locaux.

L'investissement des particuliers dans le parc locatif est également nécessaire pour atteindre nos objectifs. Mais le logement ne doit pas être réduit à une niche fiscale : on ne devient pas propriétaire bailleur uniquement pour payer moins d'impôts. La loi Scellier s'est avérée efficace pour stimuler la construction, mais pas pour répondre aux besoins de logement des Français ; elle a montré les limites d'un dispositif sans contreparties sociales et sans contrôle. Je suis prête à réfléchir à de nouvelles mesures, qu'il faudra adapter aux besoins réels de nos concitoyens. Nous devons surtout inciter les investisseurs institutionnels à revenir sur le segment du logement intermédiaire ; c'est la condition essentielle de la constitution d'un parc locatif privé pérenne et de qualité.

Un autre défi que je souhaite relever est celui de l'habitat écologique. Le bâtiment constitue l'un des premiers secteurs de consommation d'énergie en France, des gisements d'économie gigantesques existent à cet égard. Nous devons agir maintenant, en inventant les savoir-faire artisanaux et industriels adaptés à la rénovation thermique. L'objectif posé par le Président de la République est de doter d'une performance thermique de qualité un million de logements par an. C'est un immense chantier, nécessitant que nous passions à la vitesse supérieure. Un plan national de performance thermique sera conçu en ce sens, en collaboration avec Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Je souhaite également qu'un chantier de grande ampleur soit ouvert sur la question des matériaux. Les hydrocarbures ne sont pas les seules ressources rares. Une réflexion approfondie doit être menée pour mieux recycler et mieux réutiliser les matériaux de construction. Les filières d'éco-matériaux, notamment la filière bois, doivent être structurées et mises en places, en lien étroit avec les collectivités territoriales et en tenant compte des spécificités régionales.

Le troisième défi à relever concerne l'accès au logement. Construire 500 000 logements par an est une absolue nécessité, mais à condition que les Français puissent en bénéficier. Lorsque le marché perd ses repères, et que les loyers atteignent des niveaux très excessifs, il est de notre devoir de les encadrer. Nous sommes en train de le faire. Dans un premier temps, nous exploiterons entièrement la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Le décret d'urgence, qui sera effectif au 1er août prochain, sera une première étape. Dans un second temps, nous vous proposerons de revoir la loi en profondeur : les rapports entre locataires et propriétaires seront réorganisés, et les loyers pourront être contrôlés par comparaison à des données fiables, éventuellement revus à la baisse. Pour rendre cette disposition effective, nous lancerons prochainement, en lien avec les collectivités, la mise en place d'un réseau d'observatoires des loyers des principales agglomérations.

Notre objectif est bien de travailler à la constitution d'un véritable service public du logement. Il est inacceptable aujourd'hui qu'un demandeur de logement social ait à suivre un « parcours du combattant » administratif. Comme s'y est engagé le Président de la République, je souhaite une réforme en profondeur des procédures d'attribution des logements sociaux. Le dispositif refondu devra être plus simple, plus lisible et plus juste, au service des usagers.

Cette politique du logement doit se faire pour tous, mais aussi au service des plus fragiles. Chaque jour, de nouvelles personnes sont à la rue et en situation d'exclusion. Pour y faire face, il nous faut rénover les dispositifs de veille sociale, de mise à l'abri et d'hébergement de manière à accompagner ces personnes dans la continuité. La volonté du Gouvernement est claire : l'État doit se donner les moyens d'appliquer le principe d'accueil inconditionnel. La politique d'accueil et d'hébergement doit ainsi être orientée vers le logement, dans l'esprit de la conférence de consensus tenue au niveau européen en 2010.

Il est nécessaire aussi d'agir en prévention, et je souhaite à ce titre mener un travail approfondi avec les bailleurs sociaux. Ils doivent agir dès le premier impayé auprès de leurs locataires. Cette question doit être mieux intégrée dans leurs missions.

Enfin, l'accès au logement implique de rendre effectif le droit au logement opposable, c'est-à-dire d'offrir à chacun un vrai lieu de vie et un logement de qualité, adapté à ses besoins et à ses aspirations. Il s'agit là d'une condition nécessaire pour pouvoir se construire sur tous les autres plans.

Notre feuille de route est dense, vaste et ambitieuse. Notre projet n'est pas moins que de permettre à chacun de retrouver sa place dans notre pays, conformément à la promesse d'égalité qui fonde notre République. Certes, la tâche est ardue, mais j'ai la conviction que se joue là le futur de notre démocratie et l'avenir de nos territoires.

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