Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juillet 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Pierre Jouyet candidat proposé par M. Le Président de la république en tant que directeur général de la caisse des dépôts et consignations

Jean-Pierre Jouyet, candidat proposé aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

C'est un grand honneur de me présenter devant vous. J'ai été auditionné le 4 juillet par la commission de déontologie. Elle a en effet estimé que mon passage d'une autorité publique à un établissement public chargé de missions d'intérêt général ne relevait pas du champ d'application de l'article 432-13 du code pénal. La commission a ainsi maintenu sa jurisprudence. En réponse à ses questions, j'ai précisé que je n'avais jamais pris seul, comme président de l'AMF, de décisions concernant la Caisse des dépôts. J'ai accordé des visas par délégation du Collège, en suivant toujours l'avis des services, sur les émissions obligataires par exemple. L'AMF délivre près de 500 visas par an, qui valident non les opérations financières elles-mêmes, mais la structuration de l'information donnée aux épargnants. Je n'ai jamais fait usage de ma voix prépondérante au sein du Collège sur des dossiers touchant la Caisse des dépôts ou ses filiales. Je n'ai pas eu à utiliser les pouvoirs propres du président de l'AMF à l'égard de la Caisse ni de ses filiales, c'est-à-dire à prendre des mesures d'urgence - par exemple, interdire des ventes à découvert ou porter des affaires devant la justice suite à des décisions de la commission des sanctions. Concernant Icade, filiale de la Caisse et objet d'un recours de l'association des actionnaires minoritaires, je n'ai pas signé d'observations de l'AMF : je me suis en cela conformé à la décision du Collège, où je ne dispose seulement que d'une voix.

La Caisse des dépôts est actionnaire d'entreprises du secteur concurrentiel. Pour éviter tout soupçon, j'ai décidé, si je deviens le directeur général du groupe, de ne pas exercer de responsabilités dans des entreprises cotées, dont la Caisse détient des parts, notamment la Caisse Nationale de Prévoyance (CNP), la Compagnie des Alpes, Icade.... En revanche, le directeur général étant statutairement le président du conseil d'administration du FSI, je compte exercer ces fonctions.

Mon parcours est à dominante économique, au service d'une Europe économique organisée, et au service de l'Etat. Je n'ai jamais éprouvé la nécessité de choisir entre les deux, qui me semblent complémentaires et indissociables. J'ai dirigé le cabinet du ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire de 1988 à 1991, ce qui m'a conduit dans toutes mes fonctions ultérieures à respecter l'ambition industrielle de notre pays. J'ai travaillé auprès de Jacques Delors à la Commission européenne, puis au cabinet de Lionel Jospin, Premier ministre, où j'étais chargé des questions économiques et financières. J'ai été directeur du Trésor de 2000 à 2004, président du Club de Paris de 2000 à 2005. Après avoir été chef du service de l'Inspection générale des finances, j'ai été nommé par le Président de la République secrétaire d'Etat aux affaires européennes, pour mener à bien la présidence française de l'Union européenne. C'est dans ces fonctions que j'ai appris à connaître la Caisse des dépôts, ayant des contacts avec les directeurs généraux successifs. Directeur du Trésor, j'ai siégé à la commission de surveillance - dont la fonction est de surveiller les équilibres financiers et faire vivre le lien avec le Parlement, mission consubstantielle au statut de la Caisse depuis 1816.

A l'AMF, où le Président de la République m'a nommé en décembre 2008, ma principale tâche a été de promouvoir, par la régulation financière, des marchés transparents et rationnels. Il y a encore des efforts à faire, bien sûr. Dans ce domaine, j'ai toujours eu le soutien de votre commission, qui est consciente des enjeux majeurs de la régulation, dans la période de crise que nous traversons.

Depuis trente ans au service de l'intérêt général, j'ai toujours agi dans un esprit d'indépendance, et, si j'obtiens votre confiance, c'est encore avec cet esprit que je continuerai de servir l'État. L'exemplarité s'impose au directeur général de la Caisse. Celle-ci est la maison du Parlement, et vous la connaissez parfaitement. Elle a été créée en 1816 pour la protection de l'épargne des Français. Le meilleur garant de l'indépendance du directeur général de la Caisse, c'est le Parlement, c'est vous. Je m'engage à venir vous rendre régulièrement compte sur les sujets que vous souhaiterez examiner. Le dialogue est d'autant plus nécessaire qu'aucun soupçon ne doit entacher les décisions d'investissement. Je veillerai à l'application des règles déontologiques et aux procédures relatives aux conflits d'intérêts. Sous le contrôle de la commission de surveillance et de ses comités, la Caisse des dépôts optimisera ses coûts et rationalisera ses interventions. Cela passera par un effort de modération salariale des dirigeants ; pour ma part, je m'en tiendrai à la rémunération fixe, à l'exclusion, donc, de toute rémunération variable, prime personnelle ou jetons de présence.

Il est nécessaire de réaffirmer l'identité du groupe en préservant son caractère unique et atypique. Il applique l'intérêt général sur le terrain. C'est une qualité enviée. Quel cap l'établissement doit-il aujourd'hui prendre ? Nous vivons aujourd'hui des bouleversements économiques, financiers, sociaux, géopolitiques ; nous ne reviendrons pas au monde d'hier. Ce constat doit orienter le mode d'organisation et le périmètre d'action. On sait les difficultés croissantes du financement de l'économie, en particulier des petites et moyennes entreprises (PME) et du secteur public local. Rareté du crédit, endettement des collectivités publiques et de l'État : les investissements de la Caisse sont plus que jamais indispensables, pour le développement local, les entreprises, le secteur de l'écologie...

La Caisse des dépôts est devenue le premier investisseur français en fonds propres, via le FSI, CDC Entreprises, Qualium, avec pour objectif de renforcer les PME et entreprises de taille intermédiaire. En 2011, elle a participé à la moitié des augmentations de capital de PME françaises ; présente dans 230 fonds d'investissement, elle joue un rôle majeur dans le renforcement du potentiel de croissance de la France.

Il faut anticiper les tendances de fond qui modifieront notre modèle social et économique, comme le vieillissement de la population, qui infléchit les flux d'épargne et d'investissement.

On peut avoir deux visions du groupe : soit l'on privilégie une holding légère à manoeuvrer, soit l'on renforce l'identité du groupe. J'estime essentiel de préserver l'identité et l'unité du groupe CDC, marque de fabrique, structure unique. Cela n'exclut pas les choix volontaristes et ne signifie ni immobilisme, ni ensablement... Investisseur de long terme, la Caisse doit aussi savoir être un investisseur privé et faire preuve d'audace. Mais l'audace n'est pas l'éparpillement.

On croit trop que la CDC sait tout faire, peut tout faire. Non ! Nous devons définir des périmètres, des doctrines d'action et trouver un souffle nouveau, à l'international et sur le plan européen en particulier. Je rends hommage à Augustin de Romanet pour son action à la tête de l'institution. « La mondialisation, a-t-il dit, nous remet en question dans nos valeurs et ébranle notre vision. Mais à condition de s'organiser et de bien la comprendre, elle recèle d'immenses perspectives ».

La CDC a mené une politique internationale et européenne ambitieuse. Sur le plan international, certaines actions sont à revisiter. Ses missions ont un impact sur la vie de tous les Français, car elle est une référence solide, un symbole concret de cohésion et de solidarité. Elle doit donc obtenir les moyens de poursuivre ses partenariats, afin que les entreprises françaises se déploient vers de nouveaux marchés et que les capitaux de long terme - fonds souverains, investisseurs institutionnels étrangers - s'orientent vers notre économie. Sera ainsi poursuivie la participation au Club des investisseurs de long terme en Europe, ou à la Round Table internationale. Peut-être faudrait-il regrouper davantage les initiatives...

La Caisse des dépôts, qui intervient dans des secteurs porteurs de l'économie, intensifiera son action pour le développement du pays avec trois priorités : le financement des infrastructures, au nom de la compétitivité et dans le respect du développement durable ; le logement et la performance énergétique, à conjuguer avec l'intégration sociale et l'aménagement urbain ; enfin, l'accompagnement des territoires ruraux, fondamental pour lutter contre les déséquilibres et la perte de cohésion sociale.

Tous les territoires subissent une chute drastique de leurs ressources et une inflation de leurs missions. A chaque territoire sa spécificité, et l'action de la Caisse en tiendra compte. Il convient de territorialiser les actions pour répondre aux besoins croissants des collectivités territoriales - numérique, recherche, innovation, défi écologique, dépendance et traitement du vieillissement. Je me rendrai sur le terrain pour soutenir les élus et les directeurs régionaux de la Caisse, représentants personnels du directeur général. Ils ont été très sollicités dans la période récente pour les investissements d'avenir et les investissements territoriaux directs - 400 millions d'euros de fonds propres en 2011. La Caisse est le premier partenaire du développement économique local : participations dans des projets, logement social avec 110 000 constructions ou rénovations en 2011 sur fonds d'épargne, prestations aux collectivités par les filiales de services. Ainsi la CDC amorce son grand retour comme acteur direct du financement local ; 10 milliards d'euros de financement sur ressources d'épargne ont été mis en place entre le second semestre 2011 et le premier semestre 2012. Un nouvel acteur bancaire spécialisé dans le financement local est en cours de création avec la Banque postale, pour laquelle nous attendons le feu vert de la Commission européenne d'ici la fin du mois. Le plan stratégique Elan 2020 sera logiquement actualisé en fonction de ces tendances de fond, ainsi que de la future Banque publique d'investissement (BPI), en partenariat avec l'Etat.

La protection de l'épargne est une mission centrale de l'AMF comme de la Caisse des dépôts. La crise financière depuis 2007 a placé l'épargne des ménages au coeur des préoccupations des acteurs financiers. Sa protection ne saurait être la variable d'ajustement des politiques menées. Fin 2011, 222 milliards d'euros de fonds d'épargne étaient gérés pour le compte de l'État par la Caisse des dépôts. Je serai fidèle au serment de protecteur de l'épargne que je prêterai devant la commission de surveillance si vous m'accordez votre confiance.

La Caisse est unique, avec une gouvernance originale, à travers la commission de surveillance et ses comités spécialisés. Ce modèle doit perdurer. Tous les collaborateurs sont mobilisés et tendus vers l'accomplissement des missions d'intérêt général, y compris dans la période d'intérim, sous la direction d'Antoine Gosset-Grainville. Le groupe a un impact sur la vie de tous les Français et il doit demeurer une référence solide. Il rend des comptes à la nation, il a le culte de l'intérêt général et des valeurs de responsabilité, d'éthique et de foi publique. La période qui s'ouvre sera tout à fait stimulante pour lui.

En 2016, l'on fêtera le bicentenaire de sa création. Je souhaite que ce rendez-vous soit le vôtre et que chacun constate alors le rôle vital de l'institution, aujourd'hui plus que jamais, pour le développement économique, social et écologique de notre pays.

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