Avant même d'aborder la place de plus en plus importante des agences de notation dans le fonctionnement des marchés, il faut d'abord souligner la croissance du marché obligataire lui-même. On passe insensiblement d'un modèle de financement par les banques à un modèle de financement par les marchés obligataires. Près d'un tiers de la dette obligataire mondiale serait émise en direction des non-résidents. Par exemple, près de 65 % des obligations de l'Etat seraient détenues par des non-résidents, dont de l'ordre de la moitié hors de la zone euro.
Dans ce contexte, la notation est devenue un standard international et harmonisé. Plus de 10 000 émetteurs sont notés et plus d'un million de notes sont émises, c'est considérable ! En France, moins de 10 % des émissions obligataires ne sont pas notées et seulement trois entreprises du CAC 40 ne sont pas notées. Je voudrais également souligner que la notation des Etats, dans la très grande majorité des cas, n'est pas sollicitée.
Aujourd'hui, le renforcement des exigences de fonds propres pour les banques, formulées par les autorités publiques, conduit implicitement les entreprises à devoir se tourner davantage encore vers les marchés obligataires. Surtout, en réaction aux différentes crises du capitalisme, les autorités publiques ont fait appel directement ou indirectement aux notations pour s'assurer de la solidité des actifs des banques et des sociétés d'assurance ainsi que de la réalité des risques pris, c'est le cas dans les règles de Bâle par exemple. Elles ont fait des agences de notation de quasi-régulateurs.
Aux États-Unis, on relevait en 1999 plus de 1 000 références aux notations dans la règlementation relative aux marchés de titres et près de 400 pour les banques. Les banques centrales font massivement appel aux notations pour apprécier la qualité des actifs que les banques leur apportent en garantie. Fin 2011, 75 % des garanties déposés auprès de la Banque centrale européenne étaient admises sur la base d'une notation émise par une des trois grandes agences.
Les initiatives de « désintoxication » prises aux États-Unis sont d'ordre sémantique, tant le recours aux notations est ancré dans leur « culture d'investissement ». Les solutions alternatives aux notations sont encore peu opérantes : incitation au développement d'une évaluation interne des risques, invitation à se fonder sur plusieurs analyses pour prendre des décisions : si l'on a peu confiance dans les agences de notation pour évaluer les risques, on n'a pas davantage confiance dans les modèles internes des banques après les expériences désastreuses des années 2007 et 2008.
La réintégration au sein des régulateurs, notamment la Banque de France, de la fonction déléguée aux agences de notation prendra beaucoup de temps car, selon elle, « compte tenu de la diversité des actifs éligibles [...], cela nécessiterait des investissements considérables (moyens humains, bases de données), afin de disposer d'une capacité d'analyse crédit équivalente à celles des agences externes sur l'ensemble des actifs susceptibles d'être remis en collatéral ». Aujourd'hui, aucun système n'est vraiment mesure d'apporter une analyse équivalente à celle des agences externes de notation. Nous sommes condamnés à y avoir recours !
Lorsque nous nous sommes déplacés aux Etats-Unis, nous avons été très surpris de constater qu'elles ne sont considérées que comme de simples opinions. Mais, après avoir constaté des erreurs aux conséquences économiques, financières et sociales dramatiques, le statut de la notation a changé. La qualité de la notation est devenue primordiale. C'est sur ce sujet que doivent se concentrer les efforts politiques.
L'activité de notation doit devenir une profession règlementée. Elle l'est devenue partiellement, aux États-Unis depuis 2007, en Europe depuis 2009. Depuis la loi Dodd-Frank de 2010, on observe néanmoins un recul aux Etats-Unis. Il y a une réelle une opposition entre parti démocrate et parti républicain, les premiers étant très favorables à un encadrement strict des agences. Ce recul se manifeste surtout avec l'abandon de dispositions relatives à la responsabilité juridique des agences ou un affaiblissement de la SEC dans la régulation des agences de notation. A contrario, on peut se féliciter d'un pas en avant de l'Europe, malgré son retard initial. Une convergence entre Europe et États-Unis devra être trouvée au G 20, autour d'une vision ambitieuse de la régulation.