Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 juillet 2012 : 1ère réunion
Financement de la branche accidents du travail — Maladies professionnelles - présentation du rapport d'information établi au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale mecss

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteur :

La loi du 9 avril 1898 relative à la réparation des accidents du travail constitue la première des grandes lois fondatrices de l'Etat providence. Elle a introduit dans notre droit la notion de risque social et elle fonde la présomption d'imputabilité des accidents à l'entreprise.

Ce n'est pourtant qu'en 1945, avec l'intégration de la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles à la sécurité sociale, qu'un financement de type assurantiel a été mis en place. Les employeurs, qui étaient libres ou non de s'assurer dans le régime de 1898, doivent acquitter une cotisation qui varie selon le risque qu'ils font peser sur les salariés.

Le mode de calcul des cotisations tient compte de la taille de l'entreprise, de son secteur d'activité et de la sinistralité passée, soit le nombre d'accidents de travail et de maladies professionnelles survenus au cours de l'année précédente.

Devenu de plus en plus complexe avec le temps, le mode de calcul des cotisations a fait l'objet, à partir de 2002, de critiques de plus en plus sévères de la part de la Cour des comptes et des rapports publics commandés sur le sujet. En 2007, le rapport du groupe présidé par Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, dressait le constat d'une tarification peu vigoureuse, peu individualisée, peu réactive et peu lisible et condamnait « un système incohérent ».

L'analyse économique du système de cotisation fait ressortir la forte mutualisation du risque entre entreprises. Celle-ci s'effectue au travers de la répartition des coûts globaux de la branche entre les entreprises. En effet, les entreprises qui ont la plus forte sinistralité supportent une part inférieure des dépenses non imputables. Celles ci sont donc à titre principal supportées par les entreprises dont la sinistralité est faible. Ainsi, seule une minorité d'entreprises supporte un coût de cotisation élevé, conformément à la logique assurantielle du régime ; les entreprises concernées par les forts taux de cotisation évoluent fortement d'une année sur l'autre car les accidents se reproduisent heureusement peu au sein des mêmes établissements.

Cette mutualisation est conduite au détriment de l'aspect incitatif de la modulation des cotisations. Le sous-titre d'une étude publiée par la Drees est d'ailleurs significatif : « un dispositif qui était en 2009 plus redistributif qu'incitatif ».

Complexe et faiblement incitatif, le mode de tarification a finalement été réformé en 2009. La réforme a été adoptée à l'unanimité par la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle a fait l'objet en 2010 d'un décret d'application fixant les règles de tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles :

- de nouveaux seuils d'effectifs, qui permettent d'impliquer davantage d'entreprises dans la tarification individuelle et donc dans la prévention des risques, sans faire supporter aux plus petites entreprises une charge insupportable ;

- un nouveau mode d'imputation au coût moyen, qui permet de réduire les délais entre le sinistre et sa prise en compte dans le calcul du taux de cotisation. Ainsi, la nouvelle tarification tient plus rapidement compte des efforts de prévention fournis par les employeurs et les effets d'un sinistre sur les cotisations s'éteindront au bout de trois ans, ce qui facilitera la transmission des entreprises ;

- enfin, le choix du taux unique pour les entreprises en multi-établissements, qui leur permet d'opter, si elles le souhaitent, pour un calcul du taux de cotisation à partir de la sinistralité de tous leurs établissements ayant la même activité. Les efforts de prévention de l'entreprise sont ainsi appelés à se généraliser dans l'ensemble de ses établissements.

La réforme s'appliquera progressivement à compter des taux notifiés en 2012 et sera pleinement effective en 2014.

La CAT-MP est étroitement associée à la mise en oeuvre de la réforme et se réunit sous forme de comités de suivi. Lors de sa réunion du 31 mai 2012, un premier bilan des effets de la réforme sur le montant des cotisations a pu être dressé. Il apparaît que, toutes entreprises confondues, la variation entre les taux notifiés en 2012 et les taux qui auraient été établis hors réforme est de l'ordre de - 0,01 %. Cette variation est très faible et elle s'effectue plutôt au bénéfice des entreprises dans leur ensemble. De plus, seuls 5 % des entreprises connaîtront une variation de leur taux de cotisation de plus ou moins 0,5 point. La réforme peut donc être considérée comme globalement neutre financièrement, ce qui est une condition de son succès.

En dehors du mode de calcul des cotisations, le mode de recouvrement a également été critiqué par la Cour des comptes qui l'a retenu comme motif du refus de certification des comptes de 2010 et, à nouveau, de 2011. En effet, dans son rapport de juin 2011 sur la certification des comptes 2010, la Cour a souligné que les bases dont dispose la caisse pour établir les cotisations qui lui sont dues montrent de nombreux écarts avec celles de l'Urssaf. Tant l'existence des entreprises dans la base que leurs effectifs réels peuvent donc paraître incertains. Cette incertitude est accrue par le fait que les organismes chargés du recouvrement des cotisations ne signalent pas les erreurs constatées dans la base AT-MP, qui ne peuvent alors être corrigées immédiatement.

Dans son rapport de juin 2012 sur la certification des comptes de l'exercice 2011, la Cour des comptes note une « atténuation des constats relatifs au manque d'interaction des processus respectifs de la branche AT-MP et de l'activité de recouvrement », mais elle constate que les divergences entre les bases ont encore un effet sur les cotisations sociales afférentes à l'exercice de 2011.

L'approfondissement des travaux de la Cour en 2011 a également conduit à une remise en cause sévère du contrôle interne exercé par la branche qui fonde trois des cinq motifs de non-certification. Des défaillances sont constatées sur le contrôle exercé sur la détermination des risques et sur les erreurs concernant les prestations tant en espèces qu'en nature.

Les réformes engagées par la branche doivent donc se poursuivre afin d'assurer la pleine efficacité du système de tarification et de recouvrement.

Parallèlement, les principes posés en 1898 pour l'indemnisation et en 1945 pour le financement paraissent remis en cause par l'augmentation des dépenses non directement imputables à des accidents du travail ou des maladies professionnelles ainsi que par le développement d'une pratique systématique du contentieux en matière de cotisation.

Plus du tiers des charges de la branche AT-MP est constitué de dépenses de transfert vers d'autres régimes de sécurité sociale, vers la branche maladie du régime général ou vers différents fonds, notamment ceux dédiés aux victimes de l'amiante. L'ampleur de ces charges - 2,5 milliards d'euros en 2011 - et leur justification ont suscité des critiques, car elles sont perçues comme remettant en cause l'équilibre de la branche.

En dehors de transferts dits de « solidarité » tendant à compenser le déséquilibre démographique de certains régimes de base (celui des Mines et celui de la Mutualité sociale agricole), la branche effectue trois reversements budgétairement conséquents : vers l'assurance maladie, vers les fonds amiante et vers la branche retraites.

Le transfert le plus contesté est le reversement à la branche maladie du régime général pour compenser la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des AT-MP. Le montant de ce reversement n'a cessé de croître depuis sa création en 1997, et s'élève à 790 millions en 2012. Il est déterminé par la LFSS à partir des évaluations fournies par une commission, présidée actuellement par Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes. Celle-ci se réunit tous les trois ans et a remis son dernier rapport en juin 2011. La scientificité de la méthode d'évaluation de la sous-déclaration est contestée par le patronat. La possibilité d'évaluer l'imputabilité au travail de pathologies comme les troubles psychosociaux fait également débat.

La branche AT-MP du régime général est également le principal financeur des fonds destinés aux victimes de l'amiante. En 2012, le montant versé aux deux fonds est de 1,2 milliard d'euros, 890 millions pour le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata), et 315 millions pour le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva). Deux points font ici débat. Le premier concerne la mutualisation qui fait peser sur l'ensemble des entreprises et non sur les seules ayant utilisé de l'amiante la charge de la réparation. Le second est celui du désengagement de l'Etat qui n'abonde plus les fonds, contrairement aux engagements pris lors de leur création. Il me semble important de rappeler à ce propos la préconisation n° 11 du rapport de la mission d'information sur l'amiante que présidait Jean-Marie Vanlerenberghe et dont Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs : « déterminer les parts respectives de l'Etat et de la sécurité sociale au financement des fonds par l'application d'une clé de répartition stable dans le temps ; la contribution de l'Etat pourrait être fixée à 30 % ».

Enfin, en application de l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale, le départ anticipé à la retraite pour pénibilité n'est pas financé par la branche vieillesse mais par la branche AT-MP.

Par ailleurs, le coût des procédures contentieuses pour la branche a explosé au cours des dernières années. Il était estimé à 200 millions d'euros par an en moyenne jusqu'en 2006, mais il s'élevait à 325 millions d'euros en 2007, à 451 millions en 2010 et a atteint 520 millions en 2011. Ainsi que l'indique la Cour des comptes « Les dénouements défavorables de contentieux se sont traduits par une réduction de 360 millions d'euros des produits de cotisations sociales au titre de l'exercice 2011 (après 315 millions au titre de l'exercice 2010 et 298 millions au titre de l'exercice 2009) » pesant sur les recettes et empêchant le retour à l'équilibre prévu par la loi de finances. 30 % à 50 % de ces sommes sont constitués par la rémunération des conseils des entreprises requérantes. Le nombre de ces entreprises est pour sa part resté relativement stable, passant de quatre mille en 2008 à cinq mille en 2011. De plus, la majeure partie du contentieux se concentre sur un petit nombre d'entreprises : une centaine d'entre elles représentait 50 % des sommes en cause en 2008 et 60 % à 70 % en 2011.

Face à l'ampleur des sommes liées au contentieux, l'absence de provisionnement adéquat dans les comptes de la branche est le premier motif et l'une des raisons essentielles du refus de certification des comptes de 2011.

L'analyse conduite par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (Cnitaat) fait ressortir le caractère systématique et organisé de la majorité du contentieux, qui s'inscrit dans une démarche de réduction du coût des cotisations sociales pour les entreprises concernées. Ceci explique le caractère essentiellement procédural des recours engagés souligné par la Cour des comptes. Les sommes récupérées par la voie contentieuse sont réparties entre l'entreprise, ses avocats et les cabinets de conseil spécialisés.

La montée en charge du contentieux est sans doute liée à l'anticipation par les entreprises et leurs conseils des effets de la réforme de tarification qui devraient faire disparaitre une part importante des causes de recours. Il serait cependant illusoire de penser que ceux-ci disparaîtront. En effet, la masse des contentieux de procédure pourrait se reporter sur la contestation des seuils mis en place par les nouveaux barèmes de tarification et vers la contestation du taux d'incapacité fixé pour la victime.

Ainsi que l'ont souligné à vos rapporteurs les magistrats de la Cnitaat, les normes seront toujours en retard sur le contentieux. Il importe donc qu'elles puissent être les plus simples possibles afin de limiter les difficultés d'interprétation et de garantir la sécurité juridique nécessaire tant aux victimes qu'aux entreprises.

Voici donc les problèmes structurels que connaît le financement de la branche.

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