Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 juillet 2012 : 1ère réunion
Réforme des bases de défense — Présentation du rapport d'information

Photo de André DulaitAndré Dulait, co-rapporteur :

Encore plus que la fin de la conscription, la constitution des bases de défense a été une véritable révolution, qui a bousculé des principes d'organisation séculaires, en particulier dans l'armée de terre : depuis des siècles, le régiment vivait de façon autarcique et autonome. Il lui faut désormais partager, voire négocier son soutien.

Nous connaissons tous le principe de la base de défense : il s'agit pour les différentes unités, formations, services et régiments, de mettre en commun, dans une circonscription géographique donnée, leurs moyens d'administration générale et de soutien commun, comme les ressources humaines, les achats et les finances, le soutien de l'homme, l'hébergement, le transport, la restauration, l'entretien des bâtiments...

Le but est double : générer des économies par la mutualisation et recentrer les forces sur l'opérationnel en les déchargeant des tâches purement administratives, prises en charge par la base de défense.

Alors que nous avions prévu, dans la loi de programmation militaire, de déployer progressivement 90 bases à raison de 20 par an, c'est finalement 60 bases, 51 en métropole, et 9 outre-mer, qui furent mises en place d'un seul coup, au 1er janvier 2011, après une courte période d'expérimentation dans des bases pilotes.

La constitution des bases s'est traduite par une diminution de 15% des personnels affectés au soutien. Il s'agissait de repenser l'organisation en décloisonnant et en harmonisant les processus entre les trois armées.

Qu'avons-nous constaté sur le terrain ?

Tout d'abord, la réforme a mis en place un univers particulièrement complexe, qui a brouillé tous les repères.

Au-delà des 30 000 personnes qui ont quitté leur armée pour rejoindre la nouvelle organisation interarmées du soutien, c'est à un bouleversement du quotidien de tous les agents du ministère qu'a abouti la réforme.

Très concrètement, pour toutes les activités du quotidien, par exemple quand un régiment doit organiser un entraînement, il doit d'abord faire passer sa demande de transport, de véhicules de sécurité, d'hébergement, etc... par un logiciel, et sa demande est traitée par la base de défense. Auparavant, le régiment disposait de tous ces moyens en propre.

Les commandants de base qui ont été nommés à la tête de ces nouvelles structures de soutien, naviguent dans une organisation matricielle, puisqu'ils n'ont d'autorité ni sur les forces qu'ils soutiennent ni sur les soutiens dits « spécifiques » comme le service de santé, des essences, ou l'informatique, par exemple, qui lui échappent mais qu'ils doivent «intégrer », suivant la terminologie officielle, au profit des soutenus. C'est un vrai choc culturel, dans un univers par essence hiérarchique.

De plus, la réorganisation concomitante et parfois un peu cacophonique des chaînes « métiers » du ministère de la défense (finances, ressources humaines...) a contribué à installer une impression de désorganisation généralisée qui n'est pas seulement imputable, comme cela a été dit à tort, à la mise en place des bases de défense.

Prenons un exemple, celui des achats. Alors que les bases se mettaient en place, leurs interlocuteurs pour les achats et les marchés publics, les nouvelles « plates-formes achats-finances », ont elles-mêmes été concernées par une très vaste réorganisation, puisque le commissariat voit en 5 ans ses effectifs divisés par 2 et le nombre de ses établissements divisés par 3. Au même moment, il fallait absorber l'application financière Chorus et un nouvel outil de paiement, les cartes achats finances... Résultat : personne ne s'y retrouve, la fluidité des circuits d'achat est rompue, les délais de paiement s'allongent, avec un arriéré de 18 000 factures, les PME se plaignent et les bases de défense jonglent entre les procédures et les interlocuteurs...

Sur le sujet de l'accès des PME aux marchés de défense, je constate que le nouveau ministre rejoint notre analyse : il souhaite agir au niveau européen pour améliorer leurs parts de marché, au besoin avec un « small business act ».

Deuxième constat, et c'est la principale réussite de la réforme : la qualité du soutien en opérations ne s'est pas dégradée.

Nous l'avons mesuré aussi bien auprès du 3ème régiment du génie, dont les hommes sont projetés en Afghanistan, qu'à bord du pétrolier ravitailleur « Var » engagé dans Harmattan : alors que 2011 a été un pic historique d'engagements extérieurs puisque jusqu'à 12 000 hommes ont été engagés simultanément, la nouvelle organisation des bases de défense n'a pas perturbé le soutien en opérations. Il faut saluer le « coup de collier » qu'ont donné les personnels du soutien, en plein milieu de la réorganisation, pour maintenir cette qualité.

Troisième constat : les économies de la réforme, pourtant tangibles, sont assez peu lisibles.

Des économies ont indéniablement été réalisées, mais le bilan global de la réforme est peu lisible, pour deux raisons :

- d'abord il s'agit de coûts évités, c'est-à-dire de dépenses non réalisées qu'il faut évaluer a posteriori, avec des méthodologies de reconstruction qui ont pu être discutées ;

- ensuite, le coût des mesures d'accompagnement de la réforme en atténue largement les effets positifs.

C'est illustré par le fameux « paradoxe de la masse salariale » : les effectifs du ministère fondent, de 8 400 postes par an en moyenne, mais la masse salariale stagne, un peu en dessous de 12 milliards d'euros, à cause des mesures de revalorisation indiciaires, du coût du plan d'accompagnement social et du repyramidage des effectifs.

Au total, le bilan économique prévisionnel de la réforme est le suivant, sur la période 2008-2014 :

. 6,6 milliards net auront été « économisés » qui se décomposent en :

- des économies : de masse salariale (6,5 milliards) et de frais de fonctionnement évités (1,7 milliards) ;

- des coûts : celui de l'accompagnement social (1,1 milliards), celui des 600 opérations immobilières liées aux restructurations (1,4 milliards) et celui des crédits de redynamisation territoriale (320 millions) ;

- des « recettes » : les produits de cession (évalués au total à 1,2 milliards sur les 6 ans), même si, au-delà même de leur chiffrage, on peut contester le fait de les prendre en compte, puisqu'il s'agit en fait d'une sortie définitive du bilan de l'État.

L'embasement du soutien aura, à lui seul, représenté une déflation de 10 000 postes, soit près d'un cinquième de l'effort total du ministère, et une économie annuelle de 40 millions d'euros.

La réforme aura donc bel et bien généré des économies nettes.

Je dois dire quand même que ces chiffres ont mis du temps à émerger, qu'ils ont pu fluctuer par le passé et, surtout, que le ministère de la défense n'isole pas vraiment, dans l'ensemble des économies, le bénéfice tiré exclusivement des bases de défense : c'est un tort, car comme cette réforme est mal comprise, il faudrait mieux communiquer sur ses résultats, ne serait-ce qu'auprès des personnels concernés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion