Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la politique commune de la pêche est, avec la politique agricole commune, la plus ancienne et la plus intégrée des politiques communautaires. La décision fondatrice remonte en effet à 1970, lorsque la Communauté décida de donner à tous les pêcheurs des États membres un égal accès aux zones de pêche, à l’exception d’une bande côtière réservée aux nationaux. En 1983, la première véritable politique commune de la pêche fut orientée vers l’accroissement des capacités de production, jusqu’à ce que la Communauté constate une surcapacité de ses flottes et une surexploitation de la ressource.
La réforme de 2002 a donc visé à favoriser une exploitation durable de la ressource, fondée à la fois sur la limitation de l’effort de pêche par l’arrêt des subventions, la limitation des périodes de campagnes de pêche et un dispositif de restriction des captures via une organisation articulée autour de deux notions cruciales : les totaux admissibles de capture, les TAC, et les droits à produire, autrement dit les quotas. Les TAC sont fixés au niveau communautaire par zone de pêche, hors Méditerranée, et par espèce ; les quotas sont répartis entre les États membres selon un principe dit de stabilité relative, hérité d’un partage historique lié aux captures effectuées au milieu des années 1970.
Cependant, le système se montra très vite défaillant. On s’aperçut tout d’abord que, à quelques exceptions près, la réglementation était mal respectée et peu contrôlée. À la suite d’un rapport de la Cour des comptes européenne publié en 2007, le régime des quotas fut assoupli par un système d’échanges entre les États, autorisant ces derniers à échanger leurs quotas de pêche d’une espèce dans une zone contre des quotas de pêche d’une autre espèce dans une autre zone : par exemple, la France échangea avec l’Espagne ses quotas d’anchois dans le golfe de Gascogne contre un quota de soles en mer du Nord. L’ensemble resta toutefois figé sur des références dépassées, ce qui entraîna de nombreuses lourdeurs administratives, voire des frustrations. Les pêcheurs qui pêchent trop ou trop vite sont en effet obligés de rester à quai tandis que d’autres continuent à pêcher.
Il y eut ensuite une difficulté scientifique. Les totaux admissibles de capture, les TAC, sont fixés par le Conseil de l’Union européenne sur proposition de la Commission européenne, mais également après avis du Comité scientifique, technique et économique de la pêche, le CSTEP. Or je ne connais pas de secteur où les avis scientifiques soient si controversés, entre les scientifiques eux-mêmes mais également entre ceux-ci et les pêcheurs, qui passent leur vie en mer, et les biologistes, qui y font quelques prélèvements.
C’est la raison pour laquelle, en 2010, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, j’avais fait approuver, en ma qualité de rapporteur du titre IV, l’orientation générale consistant à rapprocher les points de vue des scientifiques et des professionnels sur l’état des ressources halieutiques et les mesures destinées à maintenir les conditions d’une pêche durable. J’avais alors souligné que les règles limitant la pêche dans certaines zones ne seraient acceptées que si leurs fondements étaient partagés, si les analyses des scientifiques étaient confrontées aux constatations de terrain. J’avais également émis le souhait que des méthodologies communes puissent être élaborées dans le cadre du comité de liaison scientifique et technique, afin de rapprocher les études scientifiques des constats faits par les pêcheurs lors de leurs sorties en mer.
La pêche est un secteur politiquement très sensible. Il faut reconnaître que les États ont souvent exercé des pressions pour augmenter ou préserver les possibilités de pêche. Plusieurs réformes ont donc fait évoluer la politique commune de la pêche dans le sens d’une plus grande rigueur face à la menace pesant sur les stocks de poissons, tendance à l’œuvre aussi bien en Europe que dans de nombreuses autres zones maritimes du monde. La dernière réforme, effectuée en 2002, avait prévu une révision de cette politique au bout de dix ans pour ce qui est des chapitres relatifs à la conservation de la ressource et aux capacités de pêche.
La Commission européenne a donc présenté, en avril 2009, un Livre vert sur laréforme de la politique commune de la pêche, dans lequel elle formule une analyse du fonctionnement actuel de la PCP, de ses enjeux, et propose les pistes d’une nouvelle réforme qui pourrait entrer en vigueur à partir de 2013.
Durant la deuxième moitié de l’année 2009, ce Livre vert a été soumis à un processus de concertation très large, dont la Commission a effectué la synthèse en avril 2010.
La France a apporté sa contribution sous la forme d’un mémorandum, partageant le constat de la Commission de la nécessité d’une réforme.
Si la tendance générale est une baisse des capacités de pêche, il existe des spécificités fortes selon les États membres. Aussi semble-t-il plus pertinent de parler des pêcheries européennes plutôt que de la pêche en général, tellement celles-ci sont diverses par la taille des navires, les techniques de pêche pratiquées et les zones concernées.
La raréfaction des ressources halieutiques constitue le défi principal de la politique de la pêche depuis une vingtaine d’années. La question n’est donc pas tant de répartir l’espace maritime entre Européens que d’organiser de manière rationnelle l’exploitation de la ressource dans les eaux européennes.
Comme il est rappelé dans le Mémorandum français relatif à la réforme de la politique commune de la pêche, de décembre 2009, la PCP a ainsi pour but « le maintien d’une filière dans l’Union durable et économiquement viable dans l’ensemble de ses composantes (pêche côtière et hauturière, transformation, distribution) ».
La politique commune de la pêche se trouve donc à la confluence de préoccupations environnementales – le maintien de la biodiversité marine –, économiques – permettre l’exploitation des ressources de la mer – et sociales – assurer un revenu décent aux professionnels de la filière pêche.
En 2010, j’avais eu l’honneur de rapporter une première proposition de résolution sur la politique commune de la pêche, déposée par mes collègues de la commission des affaires européennes. À l’époque, le Sénat avait déjà réagi vigoureusement par rapport au Livre vert de la Commission européenne.
Vous est présentée aujourd’hui une nouvelle proposition de résolution européenne, je dirais actualisée par rapport à la proposition de réforme de la Commission européenne présentée au Conseil et au Parlement européen le 13 juillet 2011.
Cette proposition de résolution est présentée par les membres du groupe de travail mis en place en avril dernier, dont j’ai eu l’honneur de faire partie avec notre collègue Bruno Retailleau notamment, et dont l’objectif est d’arrêter et de présenter la position du Sénat.
En effet, nous sommes en phase terminale du processus législatif mis en place en 2009, le Parlement européen arrivant prochainement au terme de son examen des propositions de règlement avant le vote qui doit intervenir à l’automne.
L’objectif global de la réforme est de faire en sorte que les activités de pêche et d’aquaculture soient soumises à des règles garantissant l’équilibre écologique à long terme et favorisant la sécurité de l’approvisionnement alimentaire. Il est important d’en parler, monsieur le ministre, car on l’a beaucoup oublié !
Sur le fond, les Vingt-sept et la Commission sont d’accord sur la nécessité de réformer la politique commune de la pêche et de la rendre plus respectueuse des ressources marines. Mais, sur la forme et l’application des nouveaux principes, il y a encore du chemin à parcourir pour trouver un accord. Les États membres ont affiché leurs divergences.
Mme Maria Damanaki, commissaire européenne pour les affaires maritimes et la pêche, souhaite appliquer la réforme dès 2015. Selon elle, la situation halieutique serait catastrophique en raison d’une surexploitation quasi générale des stocks.
Je n’étais pas présent lors de la rencontre qui a été évoquée tout à l’heure par notre collègue Philippe Darniche, mais je sais que, toutes tendances confondues, les participants sont ressortis estomaqués par la présentation qu’elle a faite !