Intervention de Charles Revet

Réunion du 12 juillet 2012 à 9h30
Débat sur la politique commune de la pêche

Photo de Charles RevetCharles Revet :

La France, par la voix de notre ancien ministre de l’agriculture et de la pêche Bruno Le Maire, a déjà fait connaître ses positions. En l’état, les réformes proposées par l’exécutif européen marqueraient la mort de la pêche française et sont donc « inacceptables », avait-il déclaré.

La France et l’Espagne ont demandé une application graduelle de la diminution de la pêche pour permettre au secteur de s’adapter. Nos deux pays seraient favorables à une date butoir plus éloignée et ont évoqué 2020. J’ai cru comprendre tout à l’heure que vous alliez aussi dans ce sens, monsieur le ministre.

L’autre idée phare de Mme Damanaki consiste à créer un marché européen des quotas de pêche. Devant l’opposition de nombreux pays, elle s’est déclarée prête à mettre en place des garde-fous, comme l’exclusion des plus petits bateaux et la restriction des échanges aux cadres nationaux.

L’interdiction des rejets en mer souhaitée par Bruxelles constitue un important point de désaccord. Cette nouvelle contrainte porterait, en effet, un coup fatal à de nombreux pêcheurs qui seraient incapables d’assumer les dépenses de modernisation ou de remplacement des navires.

Il faut que la limitation des rejets de la pêche privilégie l’objectif de résultat et fasse l’objet d’une approche concertée, pêcherie par pêcherie. À cet effet, il convient de donner plus de responsabilités aux acteurs locaux et aux organisations de producteurs, notamment en leur confiant la mission d’identifier des engins de pêche plus sélectifs.

La politique commune de la pêche doit autoriser une meilleure organisation de l’aval de la filière pêche, afin de mieux valoriser les produits de la mer et d’offrir une alternative aux rejets.

Par ailleurs, la proposition de la Commission de mettre en place des concessions de pêche transférables, CPT, dans tous les États membres, avant le 31 décembre 2013, n’est pas non plus acceptable. La mise en place des CPT affaiblirait les organisations de producteurs qui ont aujourd’hui un rôle essentiel de régulation.

La réforme de la politique commune de la pêche doit se faire avec la participation des pêcheurs eux-mêmes et, à cet effet, il convient de conforter et de favoriser les organisations de producteurs.

Je le redis, la gouvernance de la pêche doit permettre une concertation approfondie entre scientifiques et pêcheurs, au niveau tant de l’Union européenne que de chaque région maritime. La pêche n’est pas seulement un secteur économique ; c’est aussi un mode de vie qui structure les régions côtières et leur donne une identité forte, comme le formalise le Grenelle de la mer.

Par ailleurs, doivent être aussi reconnues par la Commission européenne l’importance de la pêche côtière et de la pêche artisanale pour l’équilibre économique et social, et la préservation de l’identité culturelle de régions côtières européennes. Elles justifient qu’une attention particulière leur soit portée.

Enfin, je souhaite que la politique commune de la pêche favorise le développement de la pêche en outre-mer, compte tenu du potentiel des espaces maritimes ultramarins, et permette ainsi de définir un cadre stabilisé pour l’outre-mer, notamment par le biais de délimitations de zones économiques au niveau régional.

Membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, nous avons déposé, le 21 mai dernier, mes collègues Maurice Antiste, Serge Larcher et moi, une proposition de résolution européenne pour contribuer à la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche des départements d'outre-mer.

C’est un sujet essentiel qui, bien que je ne sois pas élu d’outre-mer, me tient particulièrement à cœur. Je l’ai d’ailleurs évoqué x fois dans cette enceinte !

L’objectif de cette proposition de résolution est simple : contribuer à la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche de nos départements d’outre-mer, qui constituent, en droit européen, des régions ultrapériphériques.

Au terme des travaux de la délégation, la conclusion a été évidente : la pêche constitue pour le développement économique des départements d'outre-mer un secteur essentiel dont les réalités ne sont absolument pas prises en compte par l’Union européenne.

Cette proposition de résolution formule plusieurs constats.

Premier constat : la pêche constitue un secteur économique majeur dans les départements d'outre-mer.

Comme chacun d’entre vous le sait, la France dispose de la deuxième surface maritime mondiale, cela grâce aux outre-mer. Et, monsieur le ministre de l’outre-mer, je ne suis pas sûr que, lorsqu’on aura déterminé les zones économiques territoriales que vous évoquiez tout à l’heure, avec Mayotte, notre pays ne soit pas au premier rang avec les États-Unis !

Il faut rappeler, monsieur le ministre, comme vous l’avez fait, ainsi que Philippe Darniche, que plus de 80 % des poissons et crustacés dont nous avons besoin sont importés. C’est un paradoxe tout de même extraordinaire !

La pêche ultramarine constitue une part très importante de la pêche française : les départements d'outre-mer regroupent près de 30 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins pêcheurs au niveau national. La Martinique constitue ainsi le premier département de France en matière de pêche artisanale.

La pêche joue un rôle économique et social vital dans les départements d'outre-mer. Un exemple : en Guadeloupe, son poids en termes de chiffres d’affaires est proche de celui des filières de la canne à sucre ou de la banane. Le secteur entretient par ailleurs un véritable lien social du fait de son caractère essentiellement vivrier.

Deuxième constat : la pêche constitue un secteur économique d’avenir pour les départements d'outre-mer.

La pêche ultramarine est soumise à des contraintes importantes, comme l’éloignement de l’Europe continentale bien entendu, mais aussi le coût des carburants, les difficultés de financement des entreprises, l’insuffisance des infrastructures portuaires et de structures de transformation, la vétusté des embarcations ou encore, aux Antilles, la pollution des côtes par la chlordécone.

Elle bénéficie cependant d’énormes atouts, le principal étant le fait que les ressources halieutiques relativement abondantes sont bien souvent sous-exploitées. C’est ce que j’ai retenu des rencontres que nous avons eues.

La conclusion est donc claire : la pêche dispose d’un potentiel de développement important en outre-mer. Il en est de même pour l’aquaculture, qui pourrait se développer dans la plupart des départements d'outre-mer, à condition de se structurer.

Troisième constat : l’Union européenne ne tient aucun compte des réalités de la pêche ultramarine française, ce qui freine le développement de ce secteur.

Les dernières réformes de la PCP ont conduit à des restrictions importantes, expliquées par la surcapacité des flottes européennes eu égard à la raréfaction de certaines ressources halieutiques. Or ce constat ne correspond en rien à la réalité ultramarine. La Commission européenne l’a reconnu elle-même puisque, dans une communication de 2008 relative aux régions ultrapériphériques, elle a souligné : « Les RUP possèdent par ailleurs des ressources halieutiques riches et relativement préservées. »

Pourquoi, dans ces conditions, appliquer les mêmes règles en outre-mer et en Europe continentale ? Les règles de gestion de la ressource sont « euro-centrées », c’est-à-dire pensées par et pour l’Europe continentale. L’illustration la plus inquiétante de l’inadéquation des règles européennes est l’application dans les départements d'outre-mer de l’interdiction des aides à la construction de navires.

Les restrictions imposées à la pêche dans les départements d'outre-mer par la PCP sont d’autant plus aberrantes que, dans le même temps, dans le cadre du volet externe de la PCP, l’Union européenne conclut avec certains pays de l’environnement régional des départements d'outre-mer – Serge Larcher l’a rappelé tout à l’heure – des accords de partenariat de pêche, APP, qui la conduisent à subventionner le développement du secteur de la pêche dans ces pays potentiellement concurrents !

Quatrième et dernier constat : la pêche des départements d'outre-mer connaît certaines difficultés liées à l’environnement régional de ces départements.

La pêche ultramarine souffre de la pêche illégale pratiquée par certains pêcheurs en provenance de pays voisins ; cela a été souligné aussi. Il s’agit notamment d’une problématique récurrente et très sensible en Guyane, où les zones de pêche sont soumises à une pression constante des pêcheurs surinamais et brésiliens, avec des conséquences graves dans les domaines économique, écologique et de la sécurité.

Autre entrave au développement de la pêche ultramarine : les accords de partenariat économique conclus par l’Union européenne avec certains pays voisins des RUP. Dans le cadre de ses politiques commerciale et de développement, l’Union européenne conclut, en effet, des accords de libre-échange avec certains pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique – les pays « ACP » –, c’est-à-dire des pays aux coûts de production très inférieurs et non soumis aux normes européennes. Il s’agit, là encore, d’une menace pour la pêche des départements d'outre-mer.

La délégation a donc estimé que la réforme de la PCP, dont les principaux volets – atteinte du rendement maximal durable pour toutes les espèces dès 2015, interdiction totale des rejets, mise en place des concessions de pêche transférables – ne trouvent pas aujourd’hui à s’appliquer dans les départements d'outre-mer, constituait une opportunité pour faire valoir les réalités ultramarines.

La proposition de résolution demande que soient mises en place, à l’occasion de la réforme de la PCP, de règles spécifiques aux régions ultrapériphériques, sur le fondement de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La proposition de résolution recommande notamment le rétablissement de la possibilité d’octroyer des aides à la construction de navires dans les RUP. Il s’agit d’une question majeure pour le développement de la pêche ultramarine. Les flottes ultramarines sont artisanales et vétustes : ralentir leur modernisation empêche la mise en service de bateaux plus écologiques, mieux sécurisés et moins destructeurs de lagons.

Elle prône également le maintien des aides aux investissements à bord des navires et leur adaptation aux réalités des RUP. Les aides au remplacement des moteurs sont aujourd’hui inadaptées à ces réalités : seuls les moteurs de plus de cinq ans sont éligibles, alors que les conditions d’utilisation dans les eaux tropicales conduisent à une usure plus rapide.

Il est également nécessaire d’autoriser les subventions au fonctionnement, et notamment de rétablir le financement public des dispositifs de concentration de poissons – DCP –ancrés collectifs, qui consistent à recréer artificiellement la chaîne alimentaire.

Telles sont les observations que je souhaitais faire aujourd’hui à cette tribune.

Je tiens à rendre un hommage tout particulier à notre excellent rapporteur Bruno Retailleau, avec qui j’ai eu grand plaisir à travailler – ainsi d’ailleurs qu’avec tous mes autres collègues – dans le cadre du groupe de travail constitué entre les commissions des affaires économiques, du développement durable et des affaires européennes du Sénat.

Je conclurai donc mon propos en rappelant les considérations de notre proposition de résolution sur la proposition de réforme de la Commission européenne : un diagnostic de la situation de la pêche européenne discutable ; …

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