Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 12 juillet 2012 à 9h30
Débat sur la politique commune de la pêche

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur :

Or nous avons des situations très disparates selon les zones, selon les pêcheries. Certaines pêcheries sont menacées, d’autres se sont améliorées : je citerai la sole dans le golfe de Gascogne, l’églefin, le hareng ou le lieu noir en mer du Nord, le cabillaud en mer Baltique. Il faut donc absolument apporter ces nuances dès que l’on aborde ce difficile constat.

Cette prudence doit s’accompagner d’une coexpertise, comme mes collègues et moi-même l’avons proposé : il faut systématiquement associer les professionnels à l’expertise scientifique. L’exemple de la sole est à cet égard significatif : cela permet à la fois d’apaiser le débat, puis d’aboutir à de vrais résultats.

En ce qui concerne l’état des lieux de la pêche en France, le constat est dramatique. Mes chers collègues, en France, la pêche, notamment artisanale, va mal. Je citerai quelques chiffres : nous avons perdu en dix ans 21 % des navires, des navires qui sont de plus en plus vétustes, leur moyenne d’âge étant de vingt-cinq ans. Nous sommes passés en deçà du seuil critique des 20 000 emplois de marins pêcheurs. Nos importations ont augmenté de 50 % en dix ans et représentent aujourd'hui plus de 70 % de la consommation française.

Le constat de la Commission n’est donc pas totalement faux, mais son manque de nuances a pu entraîner des mesures qui nous ont paru vraiment excessives.

J’en viens maintenant au contenu de la réforme et à nos propositions pour ce que nos collègues ultramarins appellent « la France continentale » ; M. Serge Larcher, quant à lui, traitera de la pêche ultramarine. Je voudrais, en sept points, présenter le contenu de la réforme et, surtout, nos propositions. Nous sommes très désireux de connaître les positions que le Gouvernement entend défendre sur ces différents points, monsieur le ministre délégué.

La première proposition, le rendement maximal durable, ne pose pas de problème sur le principe. Nous y sommes, je crois, tous favorables. En revanche, sur la question du rythme, vous le savez, fixer une date butoir en 2015 reviendrait à fermer près de la moitié des pêcheries, avec des conséquences sociales dramatiques. Le sommet de Nagoya s’est par ailleurs donné jusqu’à 2020 pour atteindre le RMD. Bien sûr, il faut atteindre le RMD le plus tôt possible, quand cela est possible, avec une date butoir en 2020, mais dans le cadre de plans de gestion pluriannuels. Nos pêcheurs ont en effet besoin d’un horizon qui ne soit pas celui des marchandages annuels en conseil des ministres de la pêche, et ce après des études sérieuses, crédibles, en particulier des études d’impacts sociaux et économiques.

La deuxième proposition concerne l’interdiction des rejets. Certes, il y a trop de rejets, mais l’interdiction pure et simple de ceux-ci nous semble une fausse bonne idée parce qu’elle manque son objectif. Ce n’est pas en ramenant à terre des poissons morts que nous améliorerons l’état des stocks. C’est même d’ailleurs plutôt l’inverse : il vaut mieux parfois rejeter le poisson pour entretenir le cycle de la vie plutôt que de le ramener à terre.

Cette idée peut en outre être dangereuse. En effet, elle peut encourager le développement de la pire des filières, à savoir la pêche minotière. Par ailleurs, les bateaux ne sont pas conçus pour cette pêche, et la sécurité des marins pourrait être mise en cause par un surpoids dans les cales. Nous voulons réaffirmer l’idée juste de la réduction des rejets, mais il nous paraît préférable de développer la sélectivité des engins. Comme disent nos marins pêcheurs, « il vaut mieux trier au fond plutôt que sur le pont ».

La troisième proposition concerne les concessions de pêche transférables. Sur ce point, la commissaire a réussi à faire émerger une position unanime contre la mesure ! Qu’il s’agisse des associations, des professionnels, des pouvoirs publics, nous n’avons pas recueilli un seul avis positif sur les concessions de pêche transférables : tous les interlocuteurs y sont opposés ; nous-mêmes y sommes opposés !

Cette proposition est inacceptable puisqu’elle débouche sur la marchandisation des droits de pêche, sur la privatisation d’un bien collectif : les stocks halieutiques. Elle déboucherait aussi, comme on l’a constaté dans les pays du Nord qui ont expérimenté les concessions transférables, sur une concentration des armateurs, les plus petits vendant aux plus importants et aux plus riches ces droits de pêche.

Le principe de subsidiarité doit conduire chaque pays à gérer la répartition des droits de pêche. En France, vous le savez, nous sommes attachés à notre gestion des droits de pêche collective à partir des organisations de producteurs.

La quatrième proposition concerne la modernisation de la gouvernance de la pêche. À cet égard, notre position rejoint celle de la Commission. Celle-ci propose une fois de plus une approche pluriannuelle, ce qui est positif, et l’association des conseils consultatifs régionaux.

Néanmoins, cette position ne nous paraît pas suffisamment précise, car elle laisse selon nous une trop grande place aux actes délégués. Nous préférerions une orientation plus claire. Nous souhaiterions ainsi que la Commission ne puisse s’écarter des propositions émises par les conseils consultatifs régionaux, dont les avis seraient impératifs et non pas consultatifs.

J’en viens au cinquième point, à propos duquel je souhaite non pas formuler une critique, mais constater un manque. Nous disons « oui » au développement durable, à condition que celui-ci s’appuie sur un triptyque : l’environnement, l’économie et le social. Or la réforme ne dit rien, ou presque rien, sur le social.

Nous voulons donc réaffirmer, et ce de façon unanime, que la réforme doit absolument avoir pour objectif une harmonisation par le haut en matière de protection sociale et de conditions de travail, lesquelles sont difficiles. À cet égard, de toutes les professions, monsieur le ministre, celle de marin-pêcheur est celle qui paie le plus lourd tribut. Une telle harmonisation est donc nécessaire pour mettre fin à la spirale du dumping social.

La cinquième proposition concerne l’Organisation commune des marchés. Je pense qu’on ne peut qu’accompagner la Commission dans sa volonté de donner au consommateur une information plus précise, à condition que cette dernière soit pertinente. Ainsi, il nous semble préférable de faire figurer sur les étiquetages non pas la date de capture, laquelle ne veut rien dire, mais la date de débarquement.

De même, nous appelons de nos vœux la création d’un écolabel, qui constituerait une avancée importante non seulement pour les prises dans nos propres eaux, mais également pour tous les produits importés. Le consommateur réclame un tel label et il a raison. Nous devons lui donner la transparence sur les produits à laquelle il a droit.

En revanche, la nouvelle OCM ne doit pas jeter à l’eau des instruments de régulation des marchés, comme le stockage, lequel est un filet de sécurité. Sa disparition après 2019 ne serait pas une bonne chose, au moment même où il est par ailleurs question d’outils de régulation pour la PAC. De tels outils sont importants, car ils sont des instruments de régulation des marchés.

La septième proposition concerne le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, lequel remplace le Fonds européen pour la pêche, le FEP, et servira aussi à financer la politique maritime intégrée. Si nous sommes favorables à un tel fonds dans l’ensemble, nous sommes réservés sur deux points.

Notre première réserve porte sur l’enveloppe consacrée à la pêche. Deux enveloppes seront fusionnées pour créer ce Fonds. Or nous souhaitons rééquilibrer la part consacrée à la pêche. Il nous faudra nous battre, monsieur le ministre délégué, pour que la politique maritime intégrée, qui est importante, dispose bien sûr de ressources ; mais cela ne doit pas se faire aux dépens de la pêche, car, sans pêche, il n’y a pas de politique maritime du tout.

La seconde réserve tient au fait que le Fonds ne doit pas être un simple outil de reconversion de nos marins pêcheurs en dehors de la filière. Sans doute avons-nous atteint un seuil critique en matière de recrutement : il devient en effet de plus en plus difficile de recruter des jeunes, la culture de la pêche passant de moins en moins. Le Fonds doit donc être également un outil nous permettant, par exemple, de soutenir l’installation de jeunes marins-pêcheurs, de moderniser notre flotte, laquelle est trop vétuste et parfois peu sûre, et de rendre les moteurs des bateaux moins dépendants du gasoil : cela, c’est du développement durable.

Je n’ai jamais été un adepte des déchirages de navires de pêche, mais je considère toutefois que, dans certains cas extrêmes, les plans de sortie de flotte ne peuvent être totalement exclus. Je tenais à le rappeler. Je pense que le rapporteur de ce projet de règlement au Parlement européen est sur la même ligne. Il est par ailleurs significatif que les propositions qui nuancent, voire qui contrent, les mesures proposées par la commissaire européenne suscitent un large consensus au Sénat.

Monsieur le ministre délégué, je pense que de nombreux États et parlementaires européens – j’en suis sûr pour avoir pris contact avec mes collègues au Parlement européen – sont prêts à soutenir ces positions plus équilibrées.

Mes chers collègues, messieurs les ministres, la réforme proposée par Mme Damanaki est selon nous beaucoup trop rigide pour être efficace et trop globale pour être adaptée à la diversité des situations et des pêches en Europe. Nous partageons bien sûr la volonté de préserver nos ressources halieutiques, mais nous ne pouvons rester indifférents à la manière d’y parvenir.

Encore une fois, la marchandisation des droits de pêche est inacceptable, inadmissible, comme l’est la casse délibérée de l’outil de pêche artisanal européen, cette forme de pêche étant indispensable à l’équilibre des territoires sur le littoral, et pas seulement en France.

En conclusion, nous comptons sur vous, monsieur le ministre délégué, vous qui appartenez comme tous les Français à ce que Marc Elder avait un jour appelé, dans un très beau roman, « le peuple de la mer », pour défendre la vision d’une pêche encore dynamique, car nous ne voulons pas la sacrifier à d’autres intérêts.

Je suis sûr que nos propositions rencontreront un écho favorable auprès de nombreux États. §

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