Intervention de Serge Larcher

Réunion du 12 juillet 2012 à 9h30
Débat sur la politique commune de la pêche

Photo de Serge LarcherSerge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est la première fois que nous évoquons dans cet hémicycle les questions spécifiques à la pêche ultramarine. En tant que fils de marin-pêcheur, je m’en réjouis ; en tant que président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, je ne peux manquer d’y voir une nouvelle preuve du profond attachement de la Haute Assemblée à nos outre-mer. Je remercie le Gouvernement d’avoir permis l’organisation de ce débat aujourd’hui, pendant la session extraordinaire.

Je me réjouis par ailleurs de la présence parmi nous de deux membres du Gouvernement. Je vous adresse, messieurs les ministres, mes félicitations pour vos nominations respectives, ainsi que mes plus sincères vœux de réussite dans vos fonctions au service de la République. Vous comprendrez aisément que je salue plus particulièrement la présence parmi nous de M. le ministre des outre-mer.

Je me réjouis également, monsieur le ministre, de l’évolution de l’intitulé de votre ministère. Ce changement de dénomination est loin d’être anecdotique : il montre que l’outre-mer se conjugue au pluriel, comme l’avait souligné le Sénat dès 2009, sur l’initiative de nos collègues guyanais, lors du débat sur la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer.

Ce débat sur la politique commune de la pêche arrive aujourd’hui à point nommé : les discussions sur la réforme de la politique commune de la pêche battent en effet leur plein à l’échelon européen.

Les principaux volets de cette réforme, présentés à l’instant par notre collègue Bruno Retailleau, ne trouvent pas à s’appliquer aujourd’hui dans nos outre-mer, et je n’y reviendrai donc pas. Les discussions sur la réforme de la PCP ont été cependant l’occasion pour notre délégation sénatoriale de rédiger une proposition de résolution européenne visant à obtenir la prise en compte des spécificités de la pêche ultramarine par l’Union européenne.

Cette proposition de résolution européenne est devenue résolution du Sénat le 3 juillet dernier, après avoir été approuvée à l’unanimité par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, puis adoptée à l’unanimité également par la commission des affaires européennes et, enfin, par la commission des affaires économiques.

En tant que rapporteur de la commission des affaires économiques sur ce texte, il me revient donc de vous présenter les enjeux de la PCP pour la pêche de nos outre-mer, ainsi que les recommandations figurant dans cette résolution.

Je souhaite souligner en premier lieu les spécificités de la pêche ultramarine. Ce secteur est vital pour le développement économique de nos outre-mer.

Première observation : je vous rappelle, mes chers collègues, que nos outre-mer contribuent au statut de puissance maritime de la France. Comme vous le savez, notre pays dispose de la deuxième surface maritime mondiale, après les États-Unis, avec plus de 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, ou ZEE, grâce aux outre-mer.

Le poids de la pêche ultramarine au sein de la pêche nationale est loin d’être négligeable : les départements d’outre-mer représentent ainsi près de 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins-pêcheurs à l’échelon national. La Martinique constitue quant à elle le premier département de France en matière de pêche artisanale.

Deuxième observation : en matière de pêche, comme dans bien d’autres domaines, il y a non pas un, mais des outre-mer. Chaque département d’outre-mer a ses spécificités en matière de pêche. En analysant la situation département d’outre-mer par département d’outre-mer, on remarque ainsi que la pêche dans les départements antillais est quasi exclusivement artisanale et très majoritairement côtière.

La pêche de Guyane comprend trois flottilles : la pêche industrielle crevettière, qui traverse aujourd’hui une grave crise ; la pêche artisanale ciblant le poisson blanc ; la pêche au vivaneau effectuée sous licences communautaires par des navires vénézuéliens.

La pêche réunionnaise comprend également trois composantes : la pêche artisanale côtière ; la pêche palangrière exercée dans les zones économiques exclusives de La Réunion, des îles Éparses, mais également de Madagascar ; la pêche hauturière, dans les zones maritimes des terres australes et antarctiques françaises, les TAAF, ciblant la langouste et la légine.

À Mayotte enfin, le plus jeune des départements français, une flotte thonière cohabite avec une flottille artisanale de 800 pirogues et de 250 barques.

Troisième observation : la pêche ultramarine joue un rôle économique et social vital dans les outre-mer.

En 2008, on comptait 2 880 marins pêcheurs embarqués dans les départements d’outre-mer. C’est un nombre important, notamment dans des collectivités qui connaissent un taux de chômage très élevé.

La pêche constitue surtout le troisième secteur économique en Guyane et, en Guadeloupe, son poids en termes de chiffre d’affaires est proche de celui des filières de la banane ou de la canne à sucre.

En raison de son caractère essentiellement vivrier, le secteur entretient enfin un véritable lien social.

Quatrième et dernière observation : la pêche ultramarine dispose d’un véritable potentiel de développement reconnu par l’ensemble des acteurs.

Le développement de ce secteur est certes freiné par de nombreux handicaps : le coût du carburant, les difficultés de financement des entreprises, la pollution, aux Antilles, des côtes par la chlordécone, ou encore, en Guyane, la pêche illégale pratiquée par des pêcheurs brésiliens et surinamais.

Un des handicaps de la pêche ultramarine me soucie particulièrement : l’insuffisance des structures de transformation et de commercialisation. Il s’agit d’un défi majeur pour le développement de la pêche, notamment dans les Antilles. Ce défaut d’organisation de la filière explique par exemple que les produits locaux de la mer n’ont pas accès à la restauration collective. Comment accepter, alors que la problématique de la vie chère est plus que sensible dans nos outre-mer, que les enfants martiniquais ne mangent à la cantine que des poissons importés, le plus souvent en provenance de l’Hexagone ? Il est selon moi indispensable que les acteurs locaux se mobilisent sur cette question.

À côté de ces handicaps, le secteur de la pêche dispose d’atouts considérables.

Le premier d’entre eux est la présence de ressources halieutiques relativement abondantes et bien souvent sous-exploitées. La Commission européenne l’a d’ailleurs elle-même reconnu dans une communication d’octobre 2008 : elle indiquait alors que « les [régions ultrapériphériques] possèdent [...] des ressources halieutiques riches et relativement préservées ».

La pêche dispose également d’atouts tels que le savoir-faire des marins-pêcheurs et le dynamisme de la consommation locale, les ultramarins étant notamment de grands consommateurs de produits de la mer.

Au terme des travaux menés tant par la délégation sénatoriale à l’outre-mer que par le rapporteur de la commission des affaires économiques que je suis, la conclusion est claire : la pêche dispose d’un potentiel de développement important dans les départements d’outre-mer. Ce constat s’applique d’ailleurs également à l’aquaculture, à condition qu’elle se structure.

Après ce rapide panorama de la situation de la pêche ultramarine, je tiens à souligner que les réalités de cette pêche ne sont aucunement prises en compte aujourd’hui par l’Union européenne.

Les dernières réformes de la politique commune de la pêche ont conduit à des restrictions importantes, expliquées par la surcapacité des flottes européennes eu égard à la raréfaction de certaines ressources halieutiques. Or ce constat ne correspond en rien à la réalité ultramarine, comme je l’ai indiqué précédemment.

Pourquoi, dans ces conditions, appliquer les mêmes règles outre-mer et en Europe continentale ? Les règles de gestion de la ressource sont « euro-centrées », c’est-à-dire pensées par et pour l’Europe continentale.

Plusieurs règles de la PCP paraissent ainsi clairement inadaptées aux réalités de la pêche des départements d’outre-mer, quand elles ne nuisent pas au développement de ce secteur.

Disant cela, je pense notamment à l’interdiction des aides à la construction, à l’interdiction du financement des dispositifs de concentration de poisson ancrés collectifs, outils au service d’une pêche sélective et durable, ou encore à l’interdiction des aides au fonctionnement.

L’interdiction des aides à la construction constitue, à mes yeux, la meilleure illustration de l’inadaptation des règles de la PCP aux réalités ultramarines. Les professionnels estiment en effet qu’il s’agit de la principale entrave au développement de la pêche ultramarine. L’application de cette interdiction aux régions ultrapériphériques, ou RUP, conduit d’ailleurs à des effets pervers, contraires aux objectifs de la PCP. Elle empêche en effet la mise en service de bateaux plus écologiques, donc moins consommateurs de carburant, plus sûrs et moins destructeurs de lagons.

L’application de toutes ces restrictions aux régions ultrapériphériques est d’autant plus aberrante que, dans le même temps, dans le cadre du volet externe de la PCP, l’Union européenne conclut avec certains pays de l’environnement régional des DOM des accords de partenariat de pêche, dits APP, qui conduisent à subventionner le développement du secteur de la pêche dans ces pays potentiellement concurrents. Madagascar et l’Union européenne viennent ainsi de signer un accord de partenariat de pêche qui prévoit le versement par l’Union européenne de 550 000 euros par an pour le développement de la pêche malgache.

Quelle est la cohérence entre le volet interne et le volet externe de la PCP ? Pourquoi refuser aux DOM ce que l’Union européenne octroie allègrement à Madagascar ?

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