En tant qu’élu de Boulogne-sur-Mer, j’ai toujours eu un attachement marqué pour la mer, et singulièrement pour la pêche. Vous savez l’importance que revêt pour moi l’intégration de la mer et de la pêche au sein d’un même ministère. Cet affichage gouvernemental, pour être novateur, traduit une volonté forte, affirmée par le Président de la République, celle d’une politique maritime intégrée.
De ce point de vue, nous sommes en avance par rapport à ce que nous observons parfois au sein des instances européennes. J’ai d’ailleurs invité Mme Damanaki à s’inspirer de la conception française d’une politique maritime intégrée. En effet, nous ne pouvons pas dissocier l’activité halieutique des autres enjeux, comme l’environnement et le développement social, de cet univers des hommes et de la nature que représente la mer.
Vous l’avez rappelé, le défi maritime est une chance pour notre pays ; c’est une chance de croissance, une chance d’innovation, bref une chance humaine !
La France est souvent présentée par raccourci comme la deuxième puissance maritime mondiale. Malheureusement, c’est inexact. Nous avons effectivement la deuxième surface maritime mondiale, et nous le devons bien évidemment aux outre-mer, monsieur le rapporteur Serge Larcher, mais force est de constater que cela ne se traduit ni par une situation économique ni par une volonté politique à la hauteur de cette situation privilégiée. Nous devons en prendre conscience et saisir les enjeux que la mer représente pour notre société en ce début de XXIe siècle.
Au sein de ce secteur, la pêche et l’aquaculture sont des activités économiques importantes et structurantes pour notre littoral ; en 2010, cela représentait tout de même plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaire et plus de 90 000 emplois directs et induits.
L’aquaculture ne doit pas être laissée de côté. Son chiffre d’affaire – 680 millions d’euros – parle de lui-même. C’est un secteur à valoriser et la France doit être un acteur majeur en la matière, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. La prise en compte de l’aquaculture dans les propositions de la Commission est une avancée très importante. Mais je retiens la remarque formulée sur la conditionnalité environnementale pour les importations de l’aquaculture. En effet, nous devons être à la fois vertueux nous-mêmes et exigeants à l’égard des autres, car je rappelle, même s’il ne faut pas s’y résoudre, que 80 % des produits halieutiques consommés dans notre pays sont importés.
La pêche et l’aquaculture françaises et européennes sont aujourd'hui à un moment charnière. C’est pourquoi, dès ma prise de fonctions, je me suis mobilisé sur la réforme de la politique commune de la pêche. C’est un dossier d’actualité – il nous réunit aujourd'hui – pour l’avenir de la pêche et de l’aquaculture françaises et européennes.
La réforme qui est engagée est une réforme d’ampleur sur tous les volets de la PCP. Je pense au règlement de base, destiné à définir les grands principes pour les dix prochaines années, à une organisation commune des marchés, afin d’améliorer la structuration de la filière et de favoriser une meilleure valorisation des produits de la pêche et de l’aquaculture, ainsi qu’au nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, un instrument financier indispensable pour accompagner le secteur face aux enjeux auxquels il doit faire face.
Vous connaissez les enjeux liés à la réforme. Les négociations sont bien entamées sur ces trois textes fondamentaux. J’y reviendrai.
Je souhaite tout d’abord vous faire part de ma vision sur les grandes lignes de cette réforme et, plus généralement, des différentes orientations gouvernementales en matière de pêche.
Je considère que la politique commune de la pêche doit reposer sur une approche équilibrée du développement durable. La future politique commune de la pêche doit permettre de maintenir un taux d’emploi élevé sur le littoral et au sein de la filière pêche.
Vous avez regretté, et je ne puis que vous rejoindre sur ce point, l’absence de volet social à la politique commune des pêches. Nous avons eu l’occasion de le souligner et de le déplorer. Mais le secteur de la pêche est un secteur d’avenir ; il doit attirer des jeunes et permettre de les former. Je souscris donc pleinement à votre constat.
À mon sens, la gestion de la ressource et la préservation des écosystèmes marins sont des questions importantes. Il est ainsi prévu de renforcer la cohérence entre la PCP et les législations environnementales. Mais faut-il les opposer ? Les pêcheurs ne peuvent plus être réduits à l’image de prédateurs ; ils sont désormais des acteurs responsables du développement durable. C’est une réalité. Pour ma part – je pense qu’il doit en être de même pour vous –, je n’ai jamais rencontré de pêcheur ne se souciant pas de l’état dans lequel il laisserait la mer aux générations futures, et notamment à ses enfants qui reprendraient le métier. Une vision intégrée de la mer est donc nécessaire, une politique maritime intégrée est indispensable face aux enjeux de notre nation.
La future politique commune de la pêche doit également permettre au secteur de la pêche de se moderniser, de rester compétitif, dans le respect de la ressource. Il faut donc préserver la production française, soumise à rude concurrence. Vos propos l’illustrent. L’Europe doit se doter de mécanismes de conditionnalité permettant de s’assurer que des standards sociaux et environnementaux s’appliquent également aux importations en provenance des États tiers.
La création voilà un an d’une association interprofessionnelle, France Filière Pêche, va dans le sens de l’économie maritime et d’un renforcement du secteur de la pêche. Son budget important, qui émane de fonds privés, est une grande force à l’heure où certains marins pêcheurs paient les errements passés, notamment en remboursant des aides d’État déclarées illégales par la Commission européenne.
Les missions de cette association interprofessionnelle sont fondamentales. Je pense notamment au soutien à la réduction de la dépendance énergétique des entreprises de pêche, à des projets de recherche pour une pêche durable et responsable et à la valorisation des produits de la pêche française.
Nous devons enfin améliorer les conditions de travail des marins à la pêche. Nous devons garantir à ces derniers des conditions de sécurité suffisantes. La pêche est le métier le plus accidentogène de France. Des actions concrètes en faveur de l’innovation sont indispensables dans un contexte où la flotte de pêche européenne est vieillissante. La moyenne d’âge de la flotte française avoisine les vingt-cinq ans, ce qui n’est plus acceptable. Nous devons nous montrer exigeants pour tirer parti des conséquences de la réforme de la politique de la pêche en termes de modernisation de la flotte. Comme vous l’avez souligné, les rejets ne sont pas sans conséquence, y compris sur la sécurité des navires.
La transition vers des moteurs innovants pour réduire la facture énergétique des navires doit également être encouragée. C’est tout le sens de la démarche qui est engagée autour du « navire du futur » pour assurer le renouvellement de la flotte. Plus généralement, des avancées sur les conditions sociales et la sécurité du travail sont indispensables pour renforcer l’attractivité des métiers de la pêche, comme vous le réclamez, et maintenir ainsi le dynamisme de notre littoral.
J’en viens maintenant à l’actualité concernant la réforme de la politique commune de la pêche.
Comme je vous l’ai indiqué, le conseil des ministres en charge de la pêche a adopté le 12 juin dernier une première approche politique sur le règlement de base de la politique commune de la pêche et sur l’organisation commune des marchés. C’est une première étape importante.
Nous avons discuté, et j’ai personnellement été présent de la première à la dernière seconde, pendant vingt heures. Il y a eu d’innombrables entretiens bilatéraux et d’innombrables suspensions de séance au cours du conseil des ministres. J’ai voulu montrer l’implication de la France dans ce débat. Notre pays ne se résigne pas à l’isolement. Il veut être pleinement acteur en participant, en apportant sa contribution, en amendant et en améliorant les dispositifs européens. Les discussions furent âpres, et nous les avons menées dans des conditions extrêmement difficiles.
Il s’agit, certes, d’une orientation générale du Conseil, et non de l’adoption d’un texte juridique finalisé, mais c’est un signal politique fort envoyé à la Commission européenne.
Je considère que le texte initial de la Commission européenne a été largement amélioré durant ces heures de négociation. Ce texte n’était pas acceptable en l’état. La France a souhaité affirmer, ainsi que vous le faites aujourd’hui, sa désapprobation. Nous devons, en effet, nous assurer que les objectifs et les moyens retenus sont concrets et applicables.
Depuis le traité de Lisbonne, les textes de la réforme de la PCP doivent être adoptés selon la procédure législative ordinaire de codécision, à la fois par le Conseil et par le Parlement européen. Vous avez eu raison de souligner combien nous souhaitons préserver cette procédure de codécision. Nous nous sommes également battus pour réaffirmer notre refus de règlements dérivés.
L’action des parlementaires européens sera déterminante. Je les appelle donc à se mobiliser autour des objectifs et des enjeux qui nous sont communs. Leur contribution permettra d’arrêter un texte et un dispositif juridique qui engageront le secteur pour les années à venir.
L’idée était d’arriver à un texte aussi éloigné que possible du texte initial présenté par la Commission européenne. Il fallait pouvoir donner une chance aux discussions du Parlement européen pour que ce dernier parvienne à améliorer progressivement le texte grâce à la mobilisation parlementaire. De la sorte, le texte adopté par le conseil des ministres de l’Union européenne permettra des avancées successives.
En tout état de cause, le travail du Parlement européen ne doit pas être guidé par l’appartenance politique. Il doit être le fruit d’une union nécessaire, j’en ai une démonstration supplémentaire aujourd’hui.
Je souhaite rencontrer les parlementaires européens, car nous devons les aider à faire face à un rendez-vous qui conditionne l’avenir de la filière de la pêche. Des emplois sont en jeu.
Je voudrais à présent m’arrêter plus précisément sur les principales orientations du texte adopté par le Conseil sur plusieurs thématiques que vous avez bien identifiées. Quelles étaient nos craintes initiales ? Au terme des négociations, quelles difficultés se sont éloignées et quelles difficultés demeurent ?
En ce qui concerne l’organisation commune des marchés, le compromis adopté par le Conseil est très proche des positions que j’ai défendues sur le renforcement des organisations de producteurs, sur la reconnaissance des interprofessions et de leurs missions, l’amélioration de l’information au consommateur – la commission n’a pas été particulièrement audacieuse à ce sujet ; il faudra continuer le combat –, ainsi que sur la concurrence équilibrée entre les produits européens et importés. Certaines questions concernant l’aide au stockage ou les dispositifs d’intervention en cas de perturbation des marchés seront traitées plus spécifiquement dans le cadre des négociations portant sur le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, qui débuteront dès lundi à Bruxelles.
Les discussions ont été plus difficiles sur le règlement de base de la politique commune de la pêche, mais un certain nombre de points positifs sont ressortis du texte de compromis adopté au petit matin par le conseil des ministres de l’Union européenne.
En ce qui concerne le rendement maximal durable, comme cela a été souligné, nous avons obtenu un bon résultat, à la fois ambitieux et équilibré. Ce rendement maximal durable, c’est-à-dire l’exploitation durable d’un stock permettant son renouvellement, sera atteint de manière progressive en 2015, lorsque c’est possible, et en 2020 au plus tard afin d’assurer une exploitation durable des ressources et tenir compte des impacts socio-économiques d’une adaptation trop brutale. C’est essentiel, car nous devons tenir compte à la fois de la réalité des pêcheries françaises et de l’expertise scientifique. Or les pêcheries françaises sont le plus souvent mixtes et polyvalentes.
Cette flexibilité permettra donc une transition en souplesse. Je note, par ailleurs, comme vous, que la situation des stocks dans les eaux de l’Union européenne s’améliore petit à petit, ainsi que vient de le faire remarquer la Commission européenne dans sa communication sur les TAC, les totaux admissibles de captures, et quotas pour 2013. Aujourd’hui, 47 % des stocks de poissons seraient victimes de surpêche, contre 75 % précédemment.
De moins en moins de stocks de poissons dépassent, ainsi, le rendement maximal durable ; c’est une évolution positive que je tiens à souligner. Nos efforts, en lien avec les scientifiques, doivent être renforcés pour améliorer notre connaissance sur certains stocks halieutiques. J’observe un heureux rapprochement entre les scientifiques et les pêcheurs. Il faudra poursuivre en ce sens.