M. Robert Del Picchia. Ma question s'adresse à Mme le ministre de la défense.
Avant toute chose, permettez-moi, mes chers collègues, de vous lire un courriel que j'ai reçu :
« Nous faisons partie des premiers ressortissants français ayant pu quitter la Côte d'Ivoire et nous tenons à vous faire part du mérite exceptionnel de l'armée française. »
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
« Nous avons été héliportés par des Puma de Licorne jusqu'au camp du 43e BIMa, où les militaires français ont été rassurants, sécurisants, aimables, d'un grand sang-froid, et surtout vraiment professionnels.
« Grâce à eux, nous nous retrouvons sains et saufs en France, au Pays basque, avec nos deux petits enfants, âgés de trois et quatre ans. Nous sommes, certes, un peu traumatisés, mais en sécurité.
« Nous tenons vraiment à exprimer notre vive reconnaissance. »
(M. Serge Vinçon applaudit.)
Ce courriel, mes chers collègues, traduit parfaitement le sentiment des milliers de Français rapatriés que nous avons accueillis à l'aéroport de Roissy.
Madame le ministre, je tiens ici à rendre un hommage solennel...
M. René-Pierre Signé. N'ayons pas peur des mots !
M. Robert Del Picchia. ... aux forces françaises en Côte d'Ivoire et à leur professionnalisme. Et je suis persuadé que mes collègues se joindront à moi dans cet hommage.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Robert Del Picchia. Or, madame le ministre, un débat s'élève aujourd'hui dans les médias et les milieux politiques sur le nombre de victimes ivoiriennes.
Mme Nicole Borvo. Ah oui !
M. Robert Del Picchia. Mais on a tendance, dans ce débat, à oublier les victimes militaires françaises.
M. Jacques Peyrat. Oh oui !
M. Robert Del Picchia. Nous avons eu à déplorer, je le rappelle, neuf morts et plus de quatre-vingts blessés, dont quatorze seraient encore hospitalisés en France.
Quoi qu'il en soit, et quelles que soient les parties concernées, chaque victime est une victime de trop.
Cela étant, il semble que l'on soit aujourd'hui en présence d'un cas de désinformation manifeste,...
M. Alain Gournac. Totale !
M. Robert Del Picchia. ... mettant en cause l'honneur militaire de nos soldats, et ce plusieurs semaines après les événements.
Mes chers collègues, la désinformation prend toujours plus de temps que l'information...
Mme Nicole Borvo. Cela dépend !
M. Robert Del Picchia. ... et conduit à de sérieux soupçons de manipulations.
C'est pourquoi, madame le ministre, il me paraît souhaitable de rétablir la vérité devant la Haute Assemblée. Merci des explications que vous pourrez nous apporter en ce sens.
Permettez-moi encore quelques mots, monsieur le président, pour inviter certains à cesser de faire de l'angélisme et de penser que les miliciens ivoiriens et les « jeunes patriotes » manifestaient contre les forces françaises les mains dans les poches !
M. René-Pierre Signé. Où est la question ?
M. Robert Del Picchia. Ceux qui connaissent un peu le terrain et ceux qui étaient sur place savent ce qu'il en est : les manifestants ivoiriens menaçaient, armés, tout à la fois nos compatriotes civils et nos soldats. Mes chers collègues, ne perdons pas de vue la question essentielle au coeur de ce drame : leur sécurité.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur Del Picchia, je veux vous remercier de votre témoignage. Il rejoint ceux que je reçois, très nombreux, qui vont dans le même sens, ainsi que ceux du collectif des rapatriés de Côte d'Ivoire.
M. René-Pierre Signé. C'est téléphoné !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Depuis quelques jours, en effet, toute une opération de communication venant du président de Côte d'Ivoire tend à détourner l'attention de ce qui s'est passé dans ce pays. Ce fut la violation, par le gouvernement ivoirien, du cessez-le-feu imposé et décrété par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ce fut, à Bouaké, l'attaque injustifiable et délibérée contre nos soldats en simple mission de paix, qui a fait les morts et les blessés que vous avez rappelés. Ce furent aussi les exactions, les pillages, les viols dont nos compatriotes, des Européens et, d'une façon générale, les étrangers installés à Abidjan, ont été victimes, à la suite de campagnes haineuses, d'appels à la chasse aux blancs, lancés sur les radios et les télévisions d'Abidjan. Voilà donc de quoi il faut détourner l'attention.
Face à cela, il convient de rétablir quelques vérités.
Tout d'abord, nos soldats avaient en face d'eux une foule non pas désarmée, mais bien encadrée, notamment par des jeunes, membres de ce groupe que l'on appelle les « jeunes patriotes », qui étaient armés de kalachnikovs, de fusils à pompe et de pistolets.
Ensuite, nos armées, présentes en Côte d'Ivoire dans le cadre d'un mandat de l'ONU, ont respecté toutes les règles du droit international sur l'engagement du feu. Elles ont rempli leur mission de protection des étrangers qui pouvaient être pris à partie dans le pays, non sans difficultés, d'ailleurs : chacun connaît la façon dont certains ont dû être hélitreuillés, alors qu'ils étaient menacés par la foule.
Nos soldats ont été amenés à faire usage de leurs armes, d'abord, par des tirs de dissuasion, ensuite par des tirs de sommation et enfin par des tirs réels lors d'opérations militaires qui sont intervenues dans quatre circonstances bien précises.
La première opération a été lancée par l'armée française pour assurer sa capacité à accueillir des renforts et à permettre les rapatriements à l'aéroport d'Abidjan. Les Forces armées nationales de Côte d'Ivoire, les FANCI, ont tiré sur nos soldats pour les empêcher de s'installer sur l'aéroport. Nous avons eu des blessés et il y a probablement eu des morts et des blessés du côté ivoirien.
La deuxième opération a eu lieu dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 novembre, pour s'opposer à la tentative de récupération, par les Ivoiriens, de l'aéroport sur lequel les forces françaises étaient installées. La foule de manifestants ivoiriens était, là encore, entourée de personnes armées, et précédée de véhicules. Les hélicoptères ont dû intervenir avec des salves de dissuasion et de sommation, pour tirer ensuite non pas sur la foule - il y aurait eu alors des centaines, voire des milliers de morts - mais sur les personnes qui se trouvaient au premier plan et sur les véhicules.
Troisième circonstance, quatre échauffourées se sont produites à la suite des embuscades tendues à nos troupes qui venaient du Nord pour apporter un soutien et protéger les Français à Abidjan.
Le quatrième théâtre d'opérations s'est situé à l'hôtel Ivoire où, après avoir sécurisé et évacué les Français, les forces françaises ont été empêchées par les manifestants de quitter les lieux, la gendarmerie ivoirienne intervenant de manière insuffisante. Nous avons dû ouvrir le feu pour, d'une part, protéger une batterie dont les manifestant voulaient s'emparer et, d'autre part, empêcher que l'un de nos militaires, poussé par un gendarme ivoirien, ne soit lynché par la foule.
Comme vous le disiez, monsieur le sénateur, un mort, c'est toujours un mort de trop. Cependant, il faut bien voir que le bilan n'est pas du tout de cinquante-huit morts, comme on nous le présente aujourd'hui.
Le ministre de la santé ivoirien a lui-même précisé, dans un rapport, que plus de la moitié des victimes étaient mortes dans les mouvements de foule ou dans des règlements de comptes, notamment entre les détenus de droit commun, dont 3 400 ont été libérés pendant les émeutes d'Abidjan.
La réalité du bilan est donc, comme nous l'avons dit, d'une vingtaine de morts.
Si vous considérez les quatre opérations, monsieur le sénateur, vous pouvez constater que les militaires français ont fait preuve de beaucoup de sang-froid et d'un grand professionnalisme. Je crois que nous pouvons être fiers d'eux et les en remercier.
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