M. Roland Courteau attire une fois encore l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur les conséquences, pour les anciens exploitants agricoles, de l'application du décret n° 2003-146, relatif à l'organisation du régime de retraite complémentaire obligatoire agricole, qui fait apparaître deux catégories de retraités non salariés agricoles : d'une part, ceux qui ont fait prévaloir leurs droits à la retraite avant le 1er janvier 1997 et, d'autre part, ceux qui les ont fait prévaloir après cette date. Les premiers doivent justifier de 32,5 ans de cotisations en tant que non-salariés agricoles, dont 17,5 en tant que chef d'exploitation, tandis que les seconds doivent quant à eux justifier de 37,5 ans de cotisation, tous régimes confondus, dont 17,5 en tant que chef d'exploitation. Il y a donc bien deux régimes différents, l'un conduisant à éliminer un très grand nombre de bénéficiaires de la retraite complémentaire. Il lui indique lui avoir déjà fait part de cette situation, qualifiée de particulièrement injuste par les intéressés, lors d'une précédente question orale en date du 13 janvier 2004, au cours de laquelle il avait illustré son propos au moyen de cas individuels très précis. Il lui avait été répondu, concernant la modification des seuils permettant l'attribution de droits gratuits, que, « sur ce point, le Gouvernement restait ouvert à la discussion » et que, « lors de l'élaboration de la loi de finances 2005, dans le cadre des arbitrages qui concerneront (son) ] ministère, entre les crédits de l'agriculture, au sens strict, de la pêche, de la protection sociale agricole, nous pourrons tenter de résoudre les problèmes qui ont été illustrés de manière fort éclairante ». Dans ces conditions, il lui demande si, aujourd'hui, dans la perspective toute proche de l'examen, par le Parlement, de la loi de finances 2005 et dans le cadre des arbitrages qui concernent son ministère, il est en mesure de lui indiquer s'il entend proposer les modifications attendues sur ce dossier.
M. Roland Courteau. Une nouvelle fois, et après avoir rencontré récemment une délégation d'anciens exploitants de mon département, je souhaite qu'un point précis puisse être fait sur les conditions de la mise en oeuvre de la retraite complémentaire obligatoire des agriculteurs instituée par la loi du 4 mars 2002 tendant à la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles.
Je souhaite rappeler très rapidement le problème qui nous est posé par le décret n° 2003-146. En effet, son application fait apparaître deux catégories de retraités : d'une part, ceux qui ont pris leur retraite avant le 1er janvier 1997 et qui doivent justifier de trente-deux ans et demi d'activité agricole non salariée, dont dix-sept ans et demi en qualité de chef d'exploitation à titre exclusif ou principal ; d'autre part, ceux qui ont pris leur retraite après le 1er janvier 1997 et qui doivent simplement justifier de trente-sept ans et demi de cotisation, tous régimes confondus, dont dix-sept ans et demi en qualité de chef d'exploitation.
L'application de ces dispositions dans le département de l'Aude « élimine » 12 200 retraités sur 15 525. C'est dire ! En Languedoc-Roussillon, 58 512 anciens exploitants, sur les 73 000 retraités agricoles que compte la région, sont écartés du bénéfice de la retraite complémentaire.
Comment une telle situation ne susciterait-elle pas colère et incompréhension ?
En janvier dernier, j'avais insisté sur le caractère particulièrement ubuesque et injuste d'un tel dispositif, en citant des exemples précis. Je n'y reviens pas, d'autant que M. le ministre de l'agriculture m'avait semblé en prendre bonne note. Il m'avait d'ailleurs répondu en ces termes : « Sur ce point, le Gouvernement reste ouvert à la discussion. Lors de l'élaboration de la loi de finances pour 2005, dans le cadre des arbitrages qui concerneront mon ministère, (...) nous pourrons tenter de résoudre les problèmes que vous avez illustrés de manière fort éclairante au moyen de cas individuels. Cela montre une fois de plus que, lorsqu'on met en place des règles, la situation individuelle des personnes peut faire apparaître la nécessité d'apporter un certain nombre d'améliorations. » On ne saurait mieux dire...
Rendez-vous était donc pris, semble-t-il, pour la période de préparation du projet de loi de finances pour 2005. Par conséquent, j'ai déposé ma question orale le 5 août dernier, c'est-à-dire le plus en amont possible de cette préparation budgétaire, et j'interviens aujourd'hui, à quelques jours seulement de la discussion budgétaire, ici, au Sénat.
Deux solutions sont proposées au Gouvernement.
La première consisterait à laisser aux anciens exploitants le libre choix de l'une ou de l'autre des conditions fixées par le décret. La seconde consisterait à accorder aux anciens exploitants la retraite complémentaire au prorata de leur carrière. Ainsi, celui qui aurait cotisé durant trente ans pourrait percevoir les trente trente-septièmes de la retraite complémentaire. Dans la même logique, celui qui aurait cotisé vingt ans percevrait les vingt trente-septièmes de la retraite complémentaire, et ainsi de suite.
Voilà deux solutions pour sortir de l'injustice, monsieur le secrétaire d'Etat. Quoi qu'il en soit, il faut modifier ce décret « couperet » qui écarte un nombre considérable d'anciens exploitants du bénéfice des dispositions d'une loi que nous, parlementaires, avions adoptée à l'unanimité. Nous considérions, en effet, qu'il s'agissait là, précisément, d'une avancée sociale majeure, porteuse de justice et d'équité. Or, du fait de l'application de ce décret, nous ne retrouvons ni l'équité ni la justice.
Pour conclure, je le rappelle encore une fois, en l'espèce, nous traitons de la situation d'hommes et de femmes parmi les plus âgés des anciens exploitants, qui ont travaillé durement toute leur vie.
Pouvez-vous donc me confirmer aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, que, conformément aux propos que M. le ministre de l'agriculture a tenus en janvier dernier, nous allons avancer, enfin, dans le traitement de cet important dossier.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et aux affaires rurales. Monsieur Courteau, vous m'interrogez sur la question de l'accès au régime de retraite complémentaire obligatoire agricole. J'ai été sensible à vos propos, car c'est un sujet que je connais bien et qui concerne nombre de personnes, y compris dans le département dont je suis originaire.
Le Gouvernement est particulièrement conscient des problèmes qui se posent en la matière et il a déjà beaucoup agi pour améliorer les retraites agricoles, dans le prolongement, d'ailleurs, du travail mené par des gouvernements différents, respectivement ceux de MM. Balladur, Juppé et Jospin.
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat. En l'occurrence, c'est le gouvernement conduit par M. Jean-Pierre Raffarin qui a mis en oeuvre la retraite complémentaire obligatoire des exploitants agricoles, prévue par la loi du 4 mars 2002, en assurant son financement. Nous avons ainsi rendu réels des droits qui n'étaient encore que virtuels au début de cette législature.
Par ailleurs, nous avons mis en place la mensualisation des retraites agricoles.
En réalité, monsieur le sénateur, le décret que vous évoquez ne fait que préciser, comme il se doit, la loi du 4 mars 2002 préparée par le gouvernement de M. Lionel Jospin. C'est bien cette loi qui prévoit, dans son article 2, la différenciation des conditions d'accès aux droits gratuits de retraite complémentaire, entre les assurés retraités avant le 1er janvier 1997 et ceux qui le sont devenus après cette date. Vous avez d'ailleurs vous-même rappelé que cette loi avait été adoptée à l'unanimité.
Je dois également vous préciser que l'article 4 du décret permet l'attribution de points gratuits de retraite complémentaire obligatoire, au prorata du nombre d'années effectuées en qualité de chef d'exploitation par les assurés. C'est une vraie avancée, notamment pour les retraités qui n'ont jamais cotisé à ce régime complémentaire.
Cependant, le dispositif prévu a aussi, bien sûr, un coût. Si le nouveau régime obligatoire implique, comme tout régime de retraite complémentaire, la contribution des assurés, il a conduit l'Etat à prendre ses responsabilités, par le biais d'une participation financière importante, afin de corriger le déséquilibre de la démographie agricole.
Nous sommes, comme vous, particulièrement attachés à l'amélioration de la protection sociale agricole et à la poursuite de l'évolution des retraites agricoles. Notre ambition doit se situer dans l'action, mais elle doit répondre également à un souci d'équité, en tenant compte, je suis obligé de le dire, des équilibres économiques et des réalités financières de notre pays. Il faut donc agir étape par étape. A cet égard, je vous ai rappelé les décisions très importantes qui ont été mises en oeuvre par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin.
S'agissant, plus précisément, de la suite du calendrier et de l'évolution de la retraite complémentaire obligatoire pour les agriculteurs, nous travaillons actuellement, M. Hervé Gaymard et moi-même, avec les organisations professionnelles agricoles et avec les associations de retraités - j'en recevrai moi-même une bientôt -, sur l'amélioration des prestations pour les retraites de base et sur les retraites complémentaires. Nous sommes tout à fait déterminés à décider des évolutions importantes, avant la fin de cette législature, pour progresser sur ce dossier.
J'ai bien noté les deux possibilités que vous avez évoquées, c'est-à-dire soit le libre choix de l'une ou l'autre des conditions fixées par décret, soit le choix de la proratisation complète. J'étudierai moi-même ces propositions et je suis prêt à en reparler avec vous. Nous confronterons nos propositions avec celles des professionnels concernés.
Monsieur le sénateur, je tiens à vous dire que je suis également tout à fait conscient de la situation en Languedoc-Roussillon. Nous devons avancer, pas à pas. Il faut, d'une part, tenir compte du principe d'équité, dans le respect des textes existants ; les décrets ne sont d'ailleurs jamais que l'application des lois votées. Il faut, d'autre part, tenir compte des contraintes budgétaires qui s'imposent au Gouvernement, comme à l'ensemble du pays.
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