Dans la perspective de la fin, en mai 2006, de la première phase de la période transitoire durant laquelle peuvent être apppliquées des restrictions à la libre circulation des travailleurs salariés de huit nouveaux États membres, M. Hubert Haenel attire l'attention de M. le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes sur le fait que les trois États membres qui ont décidé de ne pas appliquer de telles restrictions - la Suède, l'Irlande et le Royaume-Uni - tirent aujourd'hui un bilan positif de leur expérience. Il lui demande si, dans ces conditions, il ne serait pas opportun que la France assouplisse sensiblement, dans la perspective de leur suppression, les restrictions qu'elle applique dans ce domaine, ces restricitions - qui sont contraires à un principe fondamental de la construction européenne - ne semblant pas justifiées sur un plan économique et apparaissant comme discriminatoires au yeux des huits États membres concernés.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ici pour débattre des restrictions de circulation dans l'Union européenne des travailleurs salariés des nouveaux États membres.
Comme je m'en suis expliqué en séance publique, j'ai demandé que la question orale avec débat que j'avais déposée soit retirée de l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, mais je souhaitais que le débat ait lieu. Aussi est-ce dans cette configuration particulière que nous sommes réunis ce soir.
La procédure sera la même qu'en séance publique. Les orateurs qui étaient inscrits dans le débat interviendront, puis M. le ministre leur répondra. Cette séance est télévisée et ouverte à la presse. Le compte rendu intégral de nos débats sera publié au Journal officiel.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord, en quelques mots, rappeler le cadre juridique dans lequel s'inscrit ma question.
La libre circulation des travailleurs est un des principes de base de la construction européenne depuis le traité de Rome.
Le traité d'Athènes, qui a réalisé l'élargissement de l'Union à dix nouveaux pays, a toutefois prévu une période transitoire, pendant laquelle des restrictions pourraient être apportées à la libre circulation des travailleurs entre les « anciens » et les « nouveaux » États membres.
Chaque État membre définit les restrictions qu'il applique durant cette période transitoire. Certains États membres ont décidé de n'appliquer aucune restriction : ce sont l'Irlande, le Royaume-Uni et la Suède. D'autres, comme l'Italie, ont défini un plafond pour l'attribution de permis de travail.
Nous faisons partie des pays les plus restrictifs, puisque nous traitons les salariés des nouveaux États membres comme s'ils provenaient d'États tiers. Je dirais même que nous sommes, en pratique, le pays le plus restrictif : nous avons accordé moins de permis de travail que la Belgique. L'Allemagne en a accordé cinquante fois plus que nous.
La période transitoire, qui est en vigueur depuis déjà deux ans, doit en principe s'achever le 30 avril 2009, mais un État membre appliquant des restrictions pourra les maintenir pendant un délai supplémentaire de deux ans au maximum, s'il peut faire état d'un risque de « perturbation grave » sur son marché du travail.
En tout état de cause, la libre circulation des travailleurs sera effective, normalement, dans trois ans et, au plus tard, dans cinq ans.
Une clause de rendez-vous était prévue pour évaluer les deux premières années de fonctionnement des dispositions transitoires, sur la base d'un rapport préparé par la Commission européenne.
Nous y sommes : la Commission a publié son rapport et, avant le 30 avril prochain, chaque État membre devra lui notifier la position qu'il adopte pour les trois prochaines années.
La décision appartient au Gouvernement. Mais, sur ce sujet politiquement sensible, il était important que le Sénat puisse préalablement s'exprimer.
C'était la première raison d'être de ma question, qui répondait à une demande formulée par tous les membres de la délégation pour l'Union européenne.
Pour la délégation, il s'agit d'un centre d'intérêt déjà ancien. Avant la ratification du traité d'Athènes, nous avions examiné une première fois cette question. Le rapporteur était notre ancien collègue M. Paul Masson, qui ne passait pas pour un laxiste. Cependant, sa conclusion avait été que, dans le cas de la France, des mesures restrictives ne se justifiaient pas.
Cette recommandation n'a pas été suivie. Mais, lorsque nous avons examiné à nouveau la question, à deux reprises au cours des derniers mois, nous avons conclu que la position très restrictive adoptée par la France ne semblait pas fondée.
Je voudrais présenter les principaux arguments qui militent en faveur d'une telle attitude.
Tout d'abord, la raison d'être d'une période transitoire est de se préparer à ce qui va suivre. Comme je l'ai dit, la libre circulation des travailleurs sera de toute manière effective dans quelques années. Il n'est pas de bonne méthode de fermer la porte jusqu'au moment où il faudra l'ouvrir en grand, faute de pouvoir faire autrement.
Ensuite, les trois pays qui ont d'ores et déjà complètement ouvert leur marché du travail s'en sont bien trouvés.
J'ai représenté le Sénat au colloque organisé par le Parlement tchèque sur ce sujet. Les trois pays en cause étaient représentés par le ministre compétent et tous trois ont tiré un bilan positif de leur expérience.
Aucun n'a constaté de détérioration du marché du travail, et tous ont souligné l'apport positif des salariés des nouveaux États membres pour la croissance économique et pour l'équilibre des finances publiques et sociales. Ces jugements ont été confirmés par l'analyse qu'a faite de son côté la Commission européenne.
D'ailleurs, d'ores et déjà, trois autres « anciens » États membres ont annoncé qu'ils allaient mettre fin aux restrictions : ce sont l'Espagne, la Finlande et le Portugal.
En réalité, il n'y a pas dans les nouveaux États membres des myriades de salariés décidés à émigrer à l'Ouest dès que les barrières seront levées.
À l'exception de la Pologne, ce sont des pays peu peuplés, à la démographie déclinante ; comme ils sont entrés dans un processus de rattrapage, leurs économies connaissent une croissance relativement soutenue, qui offre des opportunités de travail assez nombreuses.
Contrairement aux craintes entretenues à plaisir, il n'existe pas de risque de perturbation des marchés du travail à l'Ouest.
À cet égard, j'ai été frappé, lors du colloque de Prague, par deux exemples.
Le premier est celui de la Suède. La ministre suédoise nous a expliqué que, dans son pays, le Gouvernement souhaitait au départ restreindre l'accès des salariés des nouveaux États membres, mais que le Parlement en avait décidé autrement, après avoir consulté les syndicats.
Voilà des institutions bien différentes des nôtres ! Le point important était que le Gouvernement suédois reconnaissait, à l'expérience, que ses inquiétudes n'étaient pas fondées : alors que la Suède est voisine de la Pologne et que son modèle social fait figure d'exemple, les flux de travailleurs des nouveaux États membres sont restés très faibles, inférieurs à 20 000, et se sont avérés inférieurs aux besoins.
Un autre exemple frappant est celui de l'Italie. Ce pays avait décidé d'ouvrir partiellement son marché du travail, en fixant au départ un plafond de 80 000 permis de travail. Or, ce plafond n'a pas été atteint, loin de là même, puisqu'il n'y a eu que 50 000 demandes.
Il est également important de relever les caractéristiques des travailleurs des nouveaux États membres qui viennent s'employer à l'Ouest. Ils sont jeunes, le plus souvent ils viennent seuls et, dans de nombreux cas, pour une durée limitée. Surtout, on les trouve — et c'est logique — dans des secteurs où existe à l'Ouest une pénurie chronique de mains-d'œuvre, par exemple le bâtiment ou les travaux agricoles.
Ainsi, l'expérience montre, monsieur le ministre, qu'il n'y a pas lieu de craindre qu'une levée, ou du moins un large assouplissement des restrictions, n'ait un effet négatif sur notre marché du travail.
Au demeurant, le dispositif que nous avons retenu jusqu'à présent est propice aux effets pervers.
Pour ce qui est de la libre circulation des salariés, je l'ai dit, nous sommes en pratique le pays le plus restrictif. Il faut rappeler que la période transitoire ne concerne précisément que les salariés : elle ne s'applique ni aux travailleurs indépendants ni aux entreprises.
Le fameux « plombier polonais » peut d'ores et déjà s'établir chez nous comme artisan tout à fait légalement, et cela depuis deux ans. Les entreprises des nouveaux États membres ont également, depuis deux ans, la liberté d'effectuer des prestations de services en France dans l'ensemble des secteurs d'activité.
Il faut ajouter que, naturellement, les citoyens des nouveaux États membres circulent librement entre leur pays et le nôtre et séjournent librement chez nous.
En bref, tout est permis, sauf d'être un travailleur salarié dans les conditions normales du droit français.
Un tel dispositif n'est ni cohérent ni réaliste. Il favorise l'économie informelle, le travail au noir, avec ses conséquences bien connues : exploitation des travailleurs et concurrence déloyale.
Il aboutit de plus à des incohérences. Une entreprise tchèque a ainsi parfaitement le droit de détacher des travailleurs en France pour effectuer une prestation de service, mais une entreprise française ne peut embaucher librement un salarié tchèque.
Si on fait le bilan, on constate que nous appliquons des restrictions transitoires, en fait, pour nous protéger mais que, finalement, ces restrictions peuvent placer nos propres entreprises dans une position défavorable.
Enfin, et surtout, la période transitoire nuit à l'esprit européen. Elle est contraire à l'esprit de la construction européenne, puisque la libre circulation des travailleurs salariés est incluse dans les quatre libertés fondamentales garanties par les traités : libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux.
Elle fait naître une situation où il subsiste, d'une certaine manière, « deux Europe » au sein de l'Union. Cette situation est vécue comme une discrimination dans les nouveaux États membres.
Nous sommes certes dans le domaine du symbolique, puisque, en réalité, le nombre des salariés envisageant de travailler à l'Ouest reste limité, mais la politique est faite aussi de symboles, et nous devons comprendre l'importance que les nouveaux États membres attachent à cette question.
Mme Roselyne Bachelot députée européenne, soulignait il y a quelques jours, à l'occasion du débat sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, dite directive Bolkestein, à quel point les restrictions empoisonnent les rapports entre anciens et nouveaux États membres et nuisent au travail en commun.
Les débats sur la TVA ou sur la directive « services » auraient été incomparablement plus faciles s'il n'y avait pas eu, en arrière-plan, ce sentiment chez les nouveaux États membres d'être victimes d'une discrimination.
On voit que de sérieuses raisons militent pour que, dans deux mois, nous sortions du dispositif ultra-restrictif que nous avons appliqué jusqu'à présent.
En balance, il y a une seule considération : nous savons que beaucoup de nos concitoyens, mal informés sur la question, voire désinformés par certains partisans du « non », verraient au départ une telle évolution avec inquiétude.
Nous devons les rassurer, leur rappeler que l'élargissement a bénéficié à nos entreprises et que la libre circulation des salariés des nouveaux États membres n'est pas une menace pour l'emploi national, pas plus que ne l'a été, en son temps, la libre circulation des travailleurs espagnols, portugais ou grecs. Au contraire, combler certaines pénuries de main-d'œuvre ne peut que contribuer à soutenir la croissance.
Pour tenir compte de l'état de l'opinion en France, il est parfaitement possible, monsieur le ministre, de faire évoluer progressivement notre dispositif. Rien ne nous oblige à passer d'un coup à une liberté totale.
Nous pouvons prévoir de supprimer les restrictions en plusieurs étapes, en ouvrant dans un premier temps l'accès aux secteurs d'activité les plus déficitaires en main-d'oeuvre. C'est la raison d'être d'une période transitoire que d'encadrer les évolutions.
L'essentiel me paraît être d'adresser un signal fort à nos nouveaux partenaires de l'Union, un signal de reconnaissance du fait qu'ils ne sont pas des Européens de « deuxième classe ».
Longtemps, par son combat contre le partage de Yalta, la France a été un symbole d'espoir pour les Européens de l'Est. Mais, lorsque la réunification de l'Europe est enfin devenue possible, nous sommes paradoxalement apparus sur la défensive, et la campagne déshonorante sur le « plombier polonais » a élargi le fossé qui s'était créé.
Notre attitude constructive dans la négociation des perspectives financières a commencé à corriger cette évolution négative. Nous nous en félicitons.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois qu'aujourd'hui un signal positif sur la libre circulation des travailleurs aurait une grande portée politique et qu'il aiderait la France à retrouver sa vraie place au sein de l'Union.
La parole est maintenant à M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, compte tenu du débat qui commence demain et qui nécessite des travaux de dernière minute, je ne pourrai pas assister à cette réunion jusqu'à la fin ; je vous prie de m'en excuser.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays va devoir décider, dans quelques semaines, s'il souhaite maintenir les restrictions à la libre circulation des travailleurs issus des nouveaux États membres de l'Union européenne.
Je me réjouis, même si cela se fait dans de telles circonstances, que l'occasion soit donnée au Sénat de faire connaître son point de vue sur ce sujet d'importance, et je remercie la délégation pour l'Union européenne d'avoir pris l'initiative de ce débat, qui pose des questions juridiques, politiques et économiques complexes.
Pendant une période transitoire qui doit s'achever au plus tard le 1er mai 2011, les États ont le droit de limiter l'accès des ressortissants des nouveaux États membres à leur marché du travail.
La France a choisi d'appliquer aux ressortissants de ces États les mêmes règles et procédures que celles qui sont en vigueur pour les étrangers extra-communautaires.
En conséquence, ces ressortissants doivent obtenir une autorisation, délivrée par l'administration, pour pouvoir exercer une activité salariée dans notre pays. Cette autorisation peut leur être refusée au regard de la situation de l'emploi dans la profession demandée et dans la région où ils comptent exercer. Ces autorisations sont en pratique rarement délivrées : on en dénombrait moins de 10 000 en 2004 pour les huit pays auxquels s'appliquent les restrictions à la libre circulation.
Trois options s'offrent à notre pays en ce début d'année 2006 : le maintien du régime en vigueur, l'application immédiate du principe de libre circulation des travailleurs salariés, ou une solution médiane d'ouverture graduelle et contrôlée de notre marché du travail.
La délégation pour l'Union européenne semble pencher en faveur d'une application du principe de libre circulation dès 2006. Des arguments forts militent, il est vrai, en faveur d'une telle solution.
Ce sont, tout d'abord, des arguments politiques : les nouveaux États membres ont le sentiment d'être injustement discriminés, dans la mesure où leurs ressortissants ne bénéficient pas des mêmes droits que ceux qui sont reconnus aux autres Européens, alors que la liberté de circulation est un droit fondamental reconnu aux travailleurs européens.
En outre, l'influence française et l'image de notre pays en Europe centrale et orientale souffrent de notre politique de fermeture du marché du travail.
En revanche, l'influence des pays anglophones s'y accroît, la Grande-Bretagne et l'Irlande ayant choisi de n'appliquer aucune restriction à la libre circulation des travailleurs salariés.
Des arguments économiques peuvent également être avancés : dans son récent rapport sur l'application des dispositions transitoires, la Commission européenne dresse un bilan très positif de l'ouverture du marché du travail dans les trois pays qui ont décidé de n'appliquer aucune restriction à la liberté de circulation, la Grande-Bretagne, l'Irlande et la Suède.
Elle souligne que les mouvements de population, qui sont au demeurant restés limités, ont eu un impact positif sur la croissance et sur l'emploi. Ils ont permis de faire face à des pénuries de main-d'œuvre et fait reculer le travail clandestin.
Des considérations pratiques plaident enfin pour la levée des restrictions à la libre circulation.
Ces restrictions ne s'appliquent qu'aux travailleurs salariés et ne concernent donc ni les travailleurs indépendants, ni les entreprises qui viennent offrir une prestation de services, ni les étudiants. Elles sont, de ce fait, difficiles à faire respecter : des salariés se font passer pour des travailleurs indépendants, des étudiants se résignent au travail dissimulé parce qu'ils ne peuvent occuper légalement un emploi salarié.
Ces arguments, pour intéressants qu'ils soient, n'ont cependant pas entièrement emporté la conviction de la commission des affaires sociales.
Tout d'abord, l'inégalité de traitement dont font l'objet les nouveaux États membres doit être relativisée. Il ne paraît pas injustifié de leur appliquer un régime transitoire, compte tenu des écarts de développement entre les nouveaux et les anciens membres de l'Union européenne, écarts très supérieurs à ceux que nous avons connus lors des précédents élargissements. M. Haenel le disait tout à l'heure, il ne faut pas sous-estimer à cet égard l'inquiétude de nos concitoyens, qui s'est clairement exprimée lors du débat sur le traité constitutionnel.
De plus, des périodes transitoires ont déjà été appliquées, en leur temps, à l'Espagne et au Portugal, sans que ces pays en retirent un sentiment d'injustice durable.
Ensuite, les analyses économiques qui sont invoquées à l'appui des demandes de libéralisation sont contestables.
Les trois pays – Grande-Bretagne, Irlande et Suède – qui ont décidé de n'appliquer aucune restriction à la libre circulation sont dans une situation de plein emploi, ce qui n'est évidemment pas le cas de la France, même si des progrès ont été récemment accomplis.
Le choix de ces trois pays était donc parfaitement rationnel, au regard de leur situation interne, mais il serait abusif d'en tirer des conclusions également valables pour la situation française. Notre pays ne connaît pas une situation de pénurie globale de main-d'œuvre qui justifierait de faire appel de manière indiscriminée à la main-d'oeuvre étrangère.
Enfin, peut-on évaluer le nombre de ressortissants des nouveaux États membres susceptibles de venir travailler en France en cas de levée des restrictions à la libre circulation ?
La Commission européenne tient un discours rassurant considérant que les flux migratoires sont « très limités ». On peut toutefois observer que la Grande-Bretagne a recensé sur son territoire, au mois de novembre 2005, près de 300 000 travailleurs issus des nouveaux États membres. Les flux en cause ne sont donc pas négligeables.
La France serait sans doute moins attractive que la Grande-Bretagne, en raison de l'obstacle linguistique, mais elle pourrait néanmoins avoir à accueillir plusieurs dizaines de milliers de travailleurs issus de ces pays, alors que leur insertion dans le marché du travail ne peut, à l'heure actuelle, être garantie.
Ces considérations pourraient nous amener à soutenir le maintien des restrictions actuelles à la libre circulation.
La commission des affaires sociales souhaite cependant privilégier plutôt une politique d'ouverture graduelle de notre marché du travail aux ressortissants des nouveaux États membres.
Dans la mesure où la libre circulation entrera en vigueur au plus tard au 1er mai 2011, il est souhaitable d'anticiper, afin que nous puissions nous adapter progressivement au changement qui va intervenir. J'ai cru percevoir que c'était également la position de M. Haenel. Il vaut mieux ouvrir progressivement notre marché du travail, plutôt que de passer brutalement de la quasi-fermeture qui prévaut aujourd'hui à une complète liberté de circulation.
De plus, nous savons bien qu'il existe dans notre pays des pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs et pour certains métiers. Un récent rapport du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie vient d'en proposer un nouveau recensement.
À moyen terme, ces difficultés ponctuelles pourront être résolues par un meilleur fonctionnement du marché du travail, qui passe notamment par de fortes incitations à la reprise d'emploi, par un effort de formation tout au long de la vie et des aides à la mobilité.
Des réformes importantes ont déjà été engagées en ce sens, mais elles doivent encore être complétées et ne pourront, en tout état de cause, faire sentir leurs effets instantanément.
C'est pourquoi, dans l'attente, il paraît raisonnable d'avoir recours à une immigration sélective, permettant à l'économie française de bénéficier des compétences requises pour conforter sa croissance.
Il faut également replacer le débat qui nous réunit ce soir dans le contexte plus général de la réforme annoncée de notre politique d'immigration.
À l'heure où le Gouvernement entend promouvoir une vision plus positive de l'immigration de travail, sous le vocable d'immigration « choisie », il serait malvenu de ne pas faire un geste en direction de nos partenaires d'Europe centrale et orientale, auxquels nous sommes liés par notre appartenance commune à l'Union européenne.
Des accords bilatéraux ont déjà été conclus avec la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie, afin de faciliter la venue de jeunes travailleurs possédant des qualifications ou une expérience professionnelle utiles à notre pays. La même formule pourrait être étendue à d'autres États et assurerait une transition souple vers l'application du principe de libre circulation des travailleurs salariés.
Au total, nous considérons que la réussite de la présente période transitoire sera déterminante pour la préparation des futurs élargissements, à la Roumanie et à la Bulgarie en particulier, qui ne manqueront pas de susciter des inquiétudes au sein de l'opinion publique.
Une ouverture trop rapide de notre marché du travail, qui ne tiendrait pas suffisamment compte de ses capacités d'absorption limitées, ne serait peut-être pas, de ce point de vue, une décision positive pour l'avenir de la construction européenne.
Telle est la position de la commission des affaires sociales.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La parole est à M. Francis Grignon.
M. Francis Grignon, représentant de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir suscité ce débat.
Vous avez parfaitement résumé la situation et mis en lumière certaines contradictions.
Nous ne sommes pas face à une question de techniciens du droit communautaire sur l'enchaînement des phases d'ouvertures successives, nous sommes face à un enjeu majeur pour notre économie.
Si j'interviens dans ce débat, c'est à la demande du président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine. Je profite de cette occasion pour le remercier de la confiance qu'il veut bien me témoigner.
Osons le dire, dans certains secteurs, l'ouverture aux travailleurs des nouveaux États membres, pour une durée déterminée, c'est avoir une attitude socialement responsable vis-à-vis de nos entreprises et surtout vis-à-vis des jeunes et des chômeurs.
Je précise bien qu'il s'agit de certains secteurs et d'une durée déterminée, car l'économie est une matière vivante pour laquelle il est difficile d'uniformiser ou de figer les choses.
Je prendrai simplement l'exemple du bâtiment et des travaux publics, sur lequel j'ai proposé au président de la commission des affaires économiques qu'une réflexion approfondie soit engagée. Le bureau de cette commission s'est déclaré favorable à la préparation d'un rapport d'information.
Dans ce secteur, malgré des efforts remarquables de recrutement et de formation, nos entreprises manquent de personnel. Leur développement pourrait passer par l'embauche de salariés tchèques ou polonais aux conditions françaises, salariales, sociales et fiscales bien évidemment. Mais cela leur est refusé pour le moment par les directions du travail.
En revanche, sans même attendre la directive « services », les entreprises de l'Est, hongroises ou polonaises, peuvent déjà envoyer leurs salariés en mission sur des chantiers français, et l'on sait dans quelles conditions de travail et de protection sociale elles le font !
L'actuelle fermeture apparente prétend nous protéger, c'est en fait tout le contraire : elle crée du dumping social.
Les travailleurs envoyés par leurs entreprises sont prétendument soumis aux conditions françaises en vertu de la directive européenne n° 96/71/CE du 16 décembre 1996. Je le veux bien, mais de quelles conditions s'agit-il ?
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler ces conditions. Il s'agit simplement du salaire minimum français inscrit dans la convention collective.
Pour un ingénieur du BTP avec quelques années d'expérience, ce salaire minimum, appliqué par l'entreprise polonaise, s'établit à 1 500 euros. On sait bien que ce n'est pas heureusement le salaire réel constaté sur le marché du travail français en fonction de l'offre et de la demande. Payer 1 500 euros un ingénieur slovaque qui travaille sur un chantier français, c'est le début du dumping.
Cela ne s'arrête pas là. Le travailleur détaché n'est pas soumis à nos cotisations de sécurité sociale, car la directive n° 96/71/CE se limite au salaire et à une partie des conditions de travail. Or, on sait bien que les cotisations sociales représentent 70 % du salaire net touché par l'employé, et je ne parle pas de la fiscalité !
Finalement, en fermant nos frontières aux salariés des nouveaux pays et en ne les laissant ouvertes qu'à des entreprises qui détachent leurs travailleurs, on crée une distorsion de concurrence qui peut aller du simple au double, voire au triple des coûts salariaux habituels.
Enfin et surtout, lorsqu'on va sur les chantiers, on se rend bien compte que le respect de la directive de 1996 est très difficilement contrôlable en l'état actuel.
Quel inspecteur du travail va pouvoir sérieusement intervenir sur un chantier où personne ne parle français ?
Qui intervient la nuit pour se rendre compte que les prétendues équipes de nuit sont constituées des mêmes travailleurs que les prétendues équipes de jour ?
Comment vérifier si le salaire minimum français a effectivement été versé dans le pays du travailleur ?
Le système actuel ne protège ni les entreprises françaises, ni nos emplois dans une concurrence loyale, ni ces travailleurs qui sont nos concitoyens européens.
Cela n'a rien à voir avec la directive Bolkestein, aussi surprenant que cela puisse paraître, puisque sont aujourd'hui en cause la directive de 1996 relative aux travailleurs détachés et le contrôle de son application.
L'adoption ou non de la directive Bolkestein, même réécrite, n'y changera rien.
Je crois à l'Europe, et à l'Europe sociale en particulier. Je pense par exemple qu'elle pourra se faire lorsqu'un travailleur aura été embauché à durée déterminée aux conditions françaises réelles, salariales et sociales.
Lorsqu'il rentrera chez lui, il fera part de la réalité de nos conditions de travail et il fera ainsi évoluer la situation dans son pays d'origine, en refusant un certain nombre de pratiques.
Ce genre de cercle vertueux a joué dans l'élévation du niveau économique et social de l'Espagne et du Portugal.
L'Europe sociale doit se construire par le haut et non par le bas !
Posons-nous la question. Si les maçons des nouveaux États membres avaient le choix entre une mission dans une entreprise française et ce qui se passe actuellement avec l'application de la directive n° 96/71/CE, pensez-vous qu'ils continueraient d'être détachés sur un chantier à Strasbourg ou à Marseille en travaillant 60 heures par semaine et en vivant dans une caravane ?
Nous devons trouver un meilleur équilibre entre la compétitivité économique, le progrès social et la construction de l'Europe, par une ouverture graduelle du marché du travail dans certains secteurs et dans le cadre de contrats définis par la réalité économique.
C'est important. Je vous avais d'ailleurs saisi de cette question, monsieur le ministre, et j'espère que vous pourrez nous éclairer sur les avancées envisagées par le Gouvernement.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de nombreux collègues sont intervenus en séance cet après-midi, mais je tiens à nouveau à protester au nom du groupe CRC contre ce précédent, qui, nous l'espérons, n'est pas le premier d'une longue liste qui permettrait ainsi au Gouvernement d'éluder certains textes en réunissant dans une salle en lieu et place de l'hémicycle non pas l'ensemble des sénateurs –nous sommes ce soir dix sénateurs présents – mais seulement les membres des commissions concernées et les membres de la délégation pour l'Union européenne.
En l'occurrence, ce débat concerne les salariés européens, hommes et femmes, et engage leur avenir, ainsi que vous l'avez dit, monsieur le président. Il est donc d'une grande importance.
Quelle image, de plus, donnez-vous de la Haute assemblée ?
J'en viens à la question qui nous préoccupe ce soir et, bien que mon accent soit moins chantant que celui de mon ami M. Robert Bret, vous trouverez dans mes propos la teneur de ceux qu'il a l'habitude de vous tenir ; vous ne serez donc pas très étonnés.
La Commission européenne appelle à l'ouverture totale du marché du travail européen aux ressortissants des nouveaux États membres d'Europe centrale et orientale.
A priori, il s'agit de mettre fin à la période transitoire de sept ans accordée lors de l'élargissement du 1er mai 2004 aux anciens pays membres qui le souhaitaient, et qui leur permet de contrôler l'accès à leur marché du travail.
Les dispositions transitoires sont appliquées par douze d'entre eux, dont la France.
Selon un rapport de la Commission européenne, publié le 8 février dernier, les flux de travailleurs des États membres d'Europe centrale et orientale vers l'Europe des Quinze ont eu des « effets essentiellement positifs », comme l'a dit M. About, et ont été dans la plupart des pays « quantitativement moins importants que prévus ».
Mais, à travers l'épisode historique de l'élargissement de l'Union, la Commission ne voit ici qu'une occasion idéologique d'élargir le marché du travail européen, selon les préceptes du libéralisme le plus ultra.
À cet égard, je voudrais clarifier notre position. Selon le groupe CRC, le principe de libre circulation des salariés ne doit pas être assimilé à l'image populiste et dangereuse d'une prétendue « invasion des travailleurs des pays de l'Est ». Tout discours xénophobe est à bannir.
Notre responsabilité politique consiste au contraire à envisager l'intérêt des travailleurs européens, quelle que soit leur nationalité, d'autant qu'ils se trouvent confrontés au même péril social : l'exploitation et la précarisation.
La mise en concurrence des travailleurs ne répond qu'à l'intérêt du patronat et méprise les droits et la dignité des travailleurs.
Si, en France, le Gouvernement se charge d'exécuter le programme du MEDEF, à l'échelle européenne, cette mission est assurée par la Commission.
Une pensée unique existe donc au sommet de l'Etat et de l'Europe alors que, dans le même temps, les peuples européens appellent au changement.
Cet appel raisonne en écho aux résultats du référendum du 29 mai 2005. Si le Gouvernement français et la Commission européenne demeuraient sourds à ce message populaire et salutaire, le projet européen n'aurait plus de sens.
À l'écoute de la volonté populaire, nous croyons à une Europe sociale, à une harmonisation de la protection sociale des États membres par le haut. Nous refusons le nivellement des droits sociaux par le bas et la mise en concurrence des peuples.
Nous refusons que des travailleurs des pays de l'Union les moins protecteurs des droits sociaux soient employés pour des salaires de misère dans des conditions de travail et de logement qui ne respectent pas la législation sociale française. Nous voulons empêcher que la libre circulation ne soit synonyme de dumping social. Les rapports entre travailleurs de l'Ouest et de l'Est ne doivent pas se résumer à la loi de la concurrence, à la loi de la jungle.
Nous avons eu connaissance de différentes affaires. En Irlande, il y a eu celle d'Irish ferries, engageant des marins à moindre coût. En France, hormis le cas récent des polonais employés à la centrale EDF de Porcheville, il y a eu l'affaire des trente et un salariés polonais employés à la construction du palais de justice de Thonon-les- Bains, dans la région Rhône-Alpes, qui s'est transformé pour eux en palais de l'injustice, puisqu'ils n'avaient toujours aucune rémunération après plusieurs mois !
Ces situations témoignent de la manière dont est perçue la libre circulation des travailleurs des nouveaux États membres par les entreprises et le Gouvernement.
Il s'agit d'un bon moyen de recourir à des ouvriers travaillant dans des conditions de rémunération et d'accueil déplorables, au mépris du code du travail français, ce qui est pour nous inacceptable.
Plus globalement, l'ambition d'harmonisation de l'Union est encore conçue comme un instrument de régression sociale, faisant de la mise en concurrence des travailleurs la règle, et de la préservation des acquis l'exception. En atteste le contenu, même modifié, de la proposition de directive Bolkestein, qui vise à libéraliser le marché européen des services.
Or, derrière les prestations transfrontières de services, le plus souvent, il y a des travailleurs salariés. Ces derniers sont négligés par la proposition de directive, qui entend faire régner en maître la dévotion aux règles du marché.
Le projet originel élaboré par l'ancien commissaire Frits Bolkestein visait à éliminer d'un coup toutes les entraves en accordant au prestataire de services la législation de son pays d'origine. Cela risquait d'engager une course vers le moins-disant social.
La proposition de directive adoptée en première lecture par le Parlement européen le 16 février a, certes, été modifiée par rapport à la proposition originelle. Mais elle n'est pas pour autant devenue une bonne directive ; sa substance essentielle est restée la même.
Les deux principaux groupes du Parlement européen, à savoir les conservateurs du parti populaire européen–démocrates européens, le PPE-DE, et le parti socialiste européen, le PSE, se sont accordés pour renoncer à toute référence explicite au fameux « principe du pays d'origine », selon lequel un prestataire de services intervenant dans un autre pays est soumis à sa législation nationale. Mais, si les mots ont disparu du texte, le principe est resté.
Par ailleurs, le compromis entre PPE-PSE simplifie les démarches administratives à l'installation d'un prestataire d'un pays dans un autre et limite le droit des États à restreindre cette installation.
En outre, plusieurs services économiques d'intérêt général sont inclus dans le champ de la directive des services économiques, tels que les services postaux, la fourniture d'eau ou d'énergie.
De manière générale, nous estimons toujours que les services d'intérêt général et les services d'intérêt économique général ne sont pas assez protégés. Il était indispensable d'exclure totalement tous les services publics du champ d'application de la directive.
L'unification des marchés des services pose un immense problème social. La question de savoir dans quelle mesure, et avec quel droit social, un prestataire d'un pays peut proposer ses services dans un autre pays reste entière. Le problème est d'autant plus complexe que l'Europe se compose d'États membres ayant des niveaux de vie très disparates.
Le compromis voté au Parlement européen le 16 février ne résout en rien la difficulté. Il soulève un grand flou juridique sur le droit applicable au prestataire de services, ce qui laissera une importante marge de manoeuvre à la Cour de justice européenne pour décider ce qui relève du principe du pays d'origine, des services publics ou de la loi du marché.
La proposition originelle faisait référence très clairement au principe du pays d'origine. Si ce dernier a disparu du texte, pourquoi ne pas lui avoir substitué aussi clairement celui du pays de destination ?
On le sait, les tenants de la directive ont créé ce flou juridique à dessein. Ils comptent ainsi sur l'interprétation de la Cour de justice, qu'ils savent libérale, pour aller dans leur sens.
Il aurait, au contraire, fallu consacrer le principe du pays de destination comme seule norme juridique. Mais les partisans de la directive n'ont tiré aucun enseignement du « non » au référendum sur la constitution européenne en France et aux Pays-Bas.
Certes, il est maintenant clairement dit dans le texte que la directive n'affecte en rien le droit du travail dans les États membres. Pour autant, cela ne protège en rien les travailleurs, étant donné l'absence d'harmonisation des conditions de travail dans les différents États membres. Le projet de directive sur les services, dite directive Bolkestein, vise donc toujours à mettre les États en concurrence, en permettant un alignement sur le moins-disant social.
Après l'élargissement de l'Europe à vingt-cinq pays sans harmonisation préalable, la directive Bolkestein confirme l'orientation de l'Union Européenne vers le libéralisme sauvage et le dumping social, afin de réduire toujours plus le coût du travail pour les entreprises et de les rendre toujours plus compétitives.
Cette proposition de directive reste donc inadmissible et dangereuse. L'extrême largesse et l'imprécision de son champ d'application laissent en fin de compte toute liberté à la Cour de justice européenne pour en dessiner les contours définitifs.
Or, au regard de sa jurisprudence toujours imprégnée des dogmes libéraux, nul doute que la directive Bolkestein reviendra à son contenu originel.
Le peuple français a pourtant clairement exprimé son refus de la suprématie du profit financier sur le social et le développement humain en rejetant massivement le traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Ce rejet s'inscrit dans la droite ligne de l'opposition à la directive sur la libéralisation des services, laquelle applique à la lettre les principes ultralibéraux prescrits par la Constitution européenne. L'expression de la volonté populaire du 29 mai, devenue la décision de la France, doit être respectée.
Après le rejet du traité constitutionnel, il appartient à l'Union européenne de décider une nouvelle négociation sur ses institutions et sur les politiques économique et sociale.
Cette nouvelle discussion doit s'ouvrir aux exigences des peuples, qui doivent être associés et consultés. Il faut réorienter la construction européenne dans le sens d'une Europe des peuples, démocratique, synonyme de progrès social, de coopération et de paix.
Cela nécessite notamment le retrait pur et simple de la directive Bolkestein, et non un piètre compromis qui modifie la forme et pérennise le fond.
Le Gouvernement, qui, avant le référendum du 29 mai, déclarait que la directive était « inacceptable » et qu'elle devait « faire l'objet d'une remise à plat », n'a tout simplement pas tenu sa promesse, car la procédure législative se poursuit alors même que l'esprit de la directive est resté le même.
À présent, il faut accentuer la pression sur le Gouvernement français pour qu'il s'oppose à ce texte, au sein du Conseil des ministres de l'Union. La fameuse directive a certes été modifiée, mais il aurait fallu encore beaucoup d'amendements pour en finir avec le spectre du dumping social, comme principe régulateur du marché du travail en Europe.
Je vous demande par avance, mes chers collègues, d'excuser mon départ qui pourrait sembler précipité, mais je dois intervenir en séance d'ici à quelques minutes sur le projet de loi relatif au volontariat associatif et à l'engagement éducatif.
Je ne pourrai donc entendre la réponse de M. le ministre, mais je lirai très attentivement les réponses que vous aurez bien voulu m'apporter dans le compte rendu de cette séance.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, des restrictions à la libre circulation des travailleurs des nouveaux États membres ont été mises en œuvre dans douze des quinze pays membres de l'Union européenne, en vertu des dérogations transitoires autorisées jusqu'à la fin de l'année 2007 par le traité d'adhésion des dix nouveaux États membres de l'Union européenne. Vous avez parfaitement rappelé ces conditions, monsieur le président.
En vertu de ce traité, mais dans le mépris le plus total des valeurs de solidarité qui fondent la construction de l'Union, la France applique donc le droit des travailleurs étrangers, le droit au travail, mais après obtention d'une carte de travailleur.
Que s'est-il donc passé dans les trois pays qui n'ont pas utilisé, à juste titre à notre avis, la possibilité qui leur était donnée de restreindre l'accès au marché du travail national, aux travailleurs des nouveaux États membres de l'Union ?
Je m'adresse ici à tous ceux qui ont mené une campagne tentant de réveiller les peurs et les craintes, pour leur demander où sont passées les hordes de plombiers polonais que l'on nous promettait ?
Le bilan qu'a dressé le commissaire Spidla le 8 février dernier sur les migrations internes dans l'Union depuis l'élargissement montre que les flux tant redoutés vers les trois pays dont les frontières étaient totalement ouvertes, c'est-à-dire le Royaume-Uni, l'Irlande et la Suède, sont restés très limités.
C'est pourquoi, dans une démarche résolument européenne, le groupe Union centriste - UDF souhaite appuyer la démarche de notre collègue M. Haenel, visant à demander l'ouverture de nos frontières de façon pleine et entière.
À l'heure où l'on parle d'approfondissement et d'ouverture du marché commun, de libéralisation des services, avec une nouvelle directive qui respecte le principe du pays d'accueil, comment se fait-il que nous puissions revenir sur l'un des principes fondateurs de notre union, à savoir la libre circulation des travailleurs, dans une démarche parfaitement anti-communautaire ?
La libre circulation pleine et entière de travailleurs est une condition sine qua non du bon fonctionnement et de l'achèvement du marché unique, surtout lorsque, comme c'est le cas, une majorité de précautions sont prises afin que l'on ne pratique pas le dumping social.
L'approfondissement n'a pas pour objet de conduire, et ne doit pas conduire à terme, à l'abaissement des normes sociales des pays les plus avancés sur ce sujet ; il doit, au contraire, permettre un rattrapage important de la part des pays de l'élargissement.
La stigmatisation des conditions de travail des fameux travailleurs lettons en Suède ou des travailleurs polonais de Porcheville, cas que Mme David a mentionnés, nous incite à demeurer vigilants.
Le rapport du commissaire montre néanmoins que les marchés du travail n'ont pas été déstabilisés par l'élargissement dans les trois États ouverts. Les flux de travailleurs enregistrés dans ces pays n'atteignent pas 1 % de la population active du pays d'accueil et contribuent ainsi à un certain rééquilibrage du marché du travail, ces travailleurs occupant des postes qui n'ont pas les faveurs des nationaux. Je pense notamment aux pénuries de main-d'œuvre que notre marché connaît aujourd'hui, dans le bâtiment ou la restauration par exemple.
M. le président de la commission des affaires sociales faisait d'ailleurs le même constat tout à l'heure, mais il concluait qu'une ouverture graduelle dans ces secteurs serait opportune et préférable à une ouverture totale. Cette position se défend et présente un caractère prudentiel.
Cette position présente aussi plusieurs inconvénients, car cette restriction sera discriminatoire à l'égard de certains secteurs ou de certains pays. Comment la gérera-t-on, selon quels critères précis, selon quel calendrier ?
Voilà, monsieur le ministre, un certain nombre de questions que nous vous posons.
N'oublions pas non plus que les risques liés au maintien de ces restrictions sont aussi très importants pour le marché national du travail, notamment en ce qui concerne le travail clandestin, ce que l'on appelle aussi le « travail au noir ».
Avant le 1er mai 2006, les douze pays pratiquant ces restrictions doivent notifier leurs intentions quant au maintien ou à l'abolition de celles-ci, alors qu'aucune limitation ne sera plus autorisée à partir de 2011. La Finlande, l'Espagne et le Portugal semblent prêts à renoncer à ces limitations. Peut être, et c'est l'avis du groupe Union centriste – UDF, serait-il temps d'engager la France dans la même direction ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord élever à mon tour une solennelle protestation sur les conditions dans lesquelles se déroule ce débat.
Je renouvelle ici la protestation que j'ai faite en séance publique, car les craintes que l'on pouvait avoir cet après-midi se confirment ce soir.
En réalité, ce débat se déroule dans de mauvaises conditions sur trois plans.
Sur le plan politique d'abord, une fois de plus, l'Europe apparaît comme la variable d'ajustement de nos discussions, comme la cinquième roue de la charrette. On renvoie le débat sur l'Europe dans une salle agréable au demeurant, mais qui ne donne pas à ce débat le cadre qui devrait être le sien.
Sur le plan institutionnel, j'ai appris cet après-midi à quinze heures trente que les choses étaient changées, alors même que des décisions avaient été prises lors de la conférence des présidents. Tout à coup, nous ne participions plus à la séance plénière à laquelle nous étions destinés, mais à cette réunion en forme de soirée sympathique qui n'a pas la même valeur qu'une séance plénière et publique.
Sur le plan matériel, enfin, mes chers collègues, comme cela a été dit tout à l'heure, nous sommes ici une dizaine de sénateurs. Sur une question aussi importante que la circulation des travailleurs dans les vingt-cinq pays de l'Union européenne, il me semble que le compte n'y est pas. Un certain nombre de nos collègues se trouvent en séance plénière, d'autres sont venus ici prononcer leur intervention et sont repartis ; on ne peut le leur reprocher.
J'estime que nos conditions de travail, aujourd'hui, ne sont pas bonnes, et je tenais à le souligner.
Sur le fond, nous savons tous que la libre circulation des personnes et des travailleurs est, depuis le début de la construction européenne, une des libertés les plus fondamentales garanties par le droit communautaire.
Il s'agit d'assurer à tous les ressortissants de l'Union le droit de se rendre dans un autre État membre pour s'y établir et y occuper un emploi.
Cette mobilité intracommunautaire contribue, devrait contribuer à façonner un état d'esprit permettant d'approfondir la construction européenne et d'incarner la réalité d'une Europe sans frontière, d'une Europe des peuples.
L'élargissement de l'Union en 2004 à dix pays supplémentaires a représenté une étape fondamentale de cette grande aventure et devrait constituer une vraie chance pour tout notre continent.
Notons tout d'abord qu'en toute hypothèse, comme M. Haenel l'a dit tout à l'heure, l'application généralisée du principe de libre circulation des travailleurs sera effective en 2009, éventuellement en 2011, y compris pour les ressortissants des huit pays qui font aujourd'hui l'objet de restrictions dans ce domaine.
Précisons également les concepts, car j'ai le sentiment qu'il y a une certaine confusion dans la réflexion. Nous ne sommes pas, selon moi, dans un débat portant sur l'immigration. La question du jour porte sur la mobilité intracommunautaire. Ces deux sujets importants n'ont pas grand-chose à voir, me semble-t-il, l'un avec l'autre.
Je m'inscris donc en faux lorsque j'entends parler de « cohérence globale de notre politique d'immigration », car on introduit une sorte de confusion dans l'opinion publique entre les règles du fonctionnement intracommunautaire et celles qui régissent l'arrivée de personnes extérieures à l'Union européenne. Ce n'est pas du tout la même chose, les deux dossiers ont leurs logiques et leurs enjeux propres.
Le développement de la construction européenne, qui entraîne nécessairement un droit à la mobilité pour les ressortissants des États membres, n'a strictement rien à voir selon moi avec une quelconque « immigration choisie ». Ce sont deux concepts différents. Chaque État définit sa politique d'immigration. C'est en revanche le droit communautaire qui s'impose en toute hypothèse à l'ensemble des États de l'Union.
La question qui se pose aujourd'hui est la suivante : faut-il que la France lève les restrictions qu'elle a imposées depuis deux ans dès le mois de mai prochain, ou vaut-il mieux attendre le terme ultime de la transition, en 2009 ou en 2011 ?
Je veux, tout d'abord, rappeler la responsabilité qui est aujourd'hui celle de la France à l'égard de ses partenaires européens.
L'échec du référendum, le 29 mai dernier, a été perçu par la plupart des nouveaux membres de l'Union, qu'on le veuille ou non, comme l'expression d'une certaine défiance à leur égard. On se rappelle notamment du débat légèrement teinté de xénophobie sur le fameux plombier polonais.
Il est bien clair que les mesures transitoires spécifiquement applicables aujourd'hui aux ressortissants de l'Union européenne des huit – c'est-à-dire les dix nouveaux États membres moins Malte et Chypre, ou UE 8 – peuvent être vécues par les intéressés comme étant discriminatoires.
De grâce, ne leur donnons pas de surcroît l'impression que nous les considérons comme des citoyens européens de seconde zone, dont il faudrait se méfier. Il me semble que nous pouvons tous nous retrouver sur ce point.
La position négative adoptée par les Français sur le projet de Constitution européenne a, me semble-t-il, également fait douter de la volonté de notre pays de continuer à jouer un rôle moteur dans la construction européenne.
Bref, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réponse que nous allons donner à la question qui nous est aujourd'hui soumise sera examinée avec la plus grande attention par nos partenaires.
Je voudrais également rappeler que je suis fondamentalement hostile à une sorte d'« Europe à la carte », où chaque État définit lui-même son degré d'adhésion au projet européen.
Au contraire, chaque fois que c'est possible – et cela ne l'est peut-être pas toujours, je suis un pragmatique –, nous devons faire tous les efforts pour avancer ensemble, au même rythme. La construction européenne est une œuvre collective qui doit peu à peu gommer les disparités entre les différents pays
J'examinerai maintenant le fond du dossier.
En ce qui concerne les mesures transitoires, l'expérience des deux dernières années démontre à l'évidence que les craintes qui avaient pu conduire à leur mise en place se sont finalement révélées injustifiées.
Le rapport de la Commission européenne rendu public le 8 février dernier, ainsi que les conclusions de la conférence interparlementaire qui s'est tenue le 14 novembre 2005 à Prague vont dans le même sens.
Les quotas maxima de ressortissants des pays de l'UE 8 qui pouvaient être admis à travailler en Italie n'ont même pas été atteints, et de très loin.
Quant aux trois pays qui avaient immédiatement et intégralement appliqué le principe communautaire de libre circulation – le Royaume-Uni, l'Irlande et la Suède –, ils n'ont pas été submergés par une quelconque vague de travailleurs originaires des nouveaux membres de l'Union; c'est le moins que l'on puisse dire.
Dans le cas de ces trois pays, il me paraît particulièrement intéressant de souligner que les études réalisées démontrent qu'il n'y a pas eu d'effet d'éviction des travailleurs nationaux au profit de ressortissants de l'UE 8.
Bien au contraire, les travailleurs des nouveaux États membres sont venus utilement combler la pénurie de main-d'œuvre rencontrée dans un certain nombre de secteurs.
Si nous n'avons pas connu jusqu'à présent de mobilité intracommunautaire importante entre l'UE 15, regroupant les États membres de l'Union avant l'élargissement, et l'UE 8, il n'y a aucune raison pour que les choses changent fondamentalement dans l'avenir.
L'augmentation sensible des niveaux de vie de la population dans les nouveaux États membres, grâce notamment à leurs taux de croissance soutenus, ne devrait pas encourager particulièrement une mobilité importante.
De plus, la réforme en cours des fonds structurels devrait encore renforcer cette dynamique.
En ce qui concerne plus spécifiquement la France, je crains, malheureusement, qu'elle ne soit pas très attirante pour les travailleurs des nouveaux pays membres de l'Union européenne.
Nous savons bien que la motivation qui conduit une personne à s'installer dans tel ou tel pays, c'est d'abord la perspective d'y trouver un emploi rapidement et facilement.
Or, nous pouvons en convenir, la situation de l'emploi n'est guère florissante chez nous aujourd'hui, et je n'ai pas le sentiment que les perspectives soient de ce point de vue très encourageantes.
À cet égard, précisons que c'est bien parce que la situation économique est plus favorable en Grande-Bretagne ou en Irlande qu'un certain nombre de ressortissants de l'UE 8 s'y sont installés : ils peuvent y envisager un avenir de manière plus sereine, plus facile peut-être qu'en France, car c'est bien un emploi que ces citoyens européens viennent chercher, et il n'y pas aujourd'hui de raison pour qu'ils viennent en chercher chez nous plutôt que chez les autres.
Par ailleurs, la crise du logement que nous connaissons ne faciliterait certainement pas non plus l'arrivée de travailleurs étrangers, qui seraient obligés de payer très cher des logements chez nous.
Enfin, last but not least, le problème de la maîtrise de la langue française est également un handicap pour l'installation en France. Pour pouvoir briguer un emploi, il faut si possible maîtriser la langue du pays. Or, on sait bien que le français n'est pas la langue qui se développe le plus en Europe ; on peut le regretter.
Avec le simple rappel de ces quelques éléments et de l'expérience avérée de ces deux dernières années, je crois évident que les mesures protectionnistes actuellement en vigueur sont pour le moins inutiles.
Je ne peux donc que souhaiter que l'on arrête, en utilisant la formule d'ouverture éventuelle « graduelle et mesurée », d'entretenir la crainte d'une sorte d'« invasion », à mon avis totalement injustifiée.
J'ajouterai que ces mesures me paraissent non seulement inutiles, mais incohérentes et même néfastes.
Où est la cohérence entre une liberté d'établissement d'ores et déjà applicable aux ressortissants des vingt-cinq États membres et les obstacles encore posés à la liberté de circulation des travailleurs ?
Ainsi, concrètement, un ressortissant de l'UE 8 peut déjà aujourd'hui s'installer en France avec sa famille, mais ne peut pas y travailler sans autorisation. Cela me paraît tout à fait incohérent.
J'irai même plus loin, et comme on l'a déjà dit, ces mesures transitoires me paraissent néfastes, parce qu'elles favorisent finalement le dumping social.
Faut-il rappeler ici que les travailleurs migrants de l'Union européenne, une fois admis à exercer leur activité sur le territoire national, sont soumis, de facto et de jure, à l'intégralité de notre droit du travail et de notre protection sociale ?
Aucune mesure discriminatoire à leur égard n'est légalement possible : ils sont assimilés aux salariés français. Il n'y a par conséquent à craindre aucune distorsion de concurrence quelconque, dont les salariés pourraient faire les frais.
Ce n'est pas le cas dans le cadre notamment des prestations de services.
Les entreprises prestataires de services établies dans les nouveaux États membres bénéficient déjà, depuis le 1er mai 2004, de la liberté d'effectuer des prestations de services en France dans l'ensemble des secteurs d'activité. Ainsi, elles peuvent d'ores et déjà détacher temporairement des salariés en France, en les rémunérant sur la base de leur pays d'origine.
J'attends encore de voir ce qui va se passer exactement au niveau européen avec la fameuse directive « services » – appelons-la directive Bolkestein 2 –, qui ne peut à mon sens que renforcer ce mouvement.
De même, des travailleurs se déclarent aujourd'hui abusivement indépendants, lorsqu'ils ne se livrent pas au travail clandestin, pour échapper à l'application de mesures transitoires qui ne sont restrictives uniquement qu'à l'égard des salariés. Pour ne pas être salariés, ils se déclarent indépendants ; encore faut-il qu'ils le fassent !
Je pense donc que le risque de dumping social, de concurrence économique déloyale, se trouve là, et non pas dans l'arrivée de quelques travailleurs étrangers intégralement soumis au droit français du travail et de la protection sociale.
Il y a là, me semble-t-il, un vrai sujet de réflexion, et vous aurez compris que, pour moi, le maintien de mesures transitoires protectionnistes a, en fait, des effets négatifs qu'il ne faut pas faire perdurer.
Je ne crois donc pas qu'il y ait de craintes particulières à nourrir quant à la levée par la France des mesures transitoires actuellement en vigueur. Elles sont, j'ai essayé de le démontrer, au mieux inefficaces et au pire contre-productives.
Cela ne veut pas pour autant dire qu'il nous faille renoncer à être vigilants. Le système d'enregistrement des travailleurs, expérimenté au Royaume-Uni depuis deux ans, permettrait à mon sens de surveiller de manière très fine, secteur par secteur, l'évolution de la situation.
Je vous rappelle à ce sujet que même un État ayant relevé toutes ses restrictions temporaires peut faire jouer la clause de sauvegarde en cas de perturbation forte de son marché du travail. Le risque est donc nul.
Faisons le pari de l'avenir et donnons-nous les moyens de réagir, le cas échéant, s'il devait s'avérer que, par impossible, on assiste à une perturbation lourde de notre marché du travail.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais certainement vous étonner en disant que j'ai été un travailleur étranger dans un autre pays, soit le cas inverse de ce qui a déjà été évoqué.
Je représente les Français établis hors de France et ceux qui vont s'y établir. Plus de la moitié des 2 200 000 Français de l'étranger sont installés, ou veulent s'installer, dans les quinze pays de l'Union européenne bien sûr, mais aussi dans les dix nouveaux pays membres, pour autant qu'ils puissent s'y établir.
Aujourd'hui, la France accorde au compte-gouttes des permis de travail aux ressortissants de ces pays.
La règle de réciprocité s'appliquant, les Français qui veulent travailler dans ces pays doivent eux aussi obtenir un permis de travail. C'est le cas en Pologne.
Notre position, qui consiste à observer une période transitoire à l'égard de ces pays, entraîne des conséquences pour nos propres compatriotes qui veulent s'y installer. C'est un aspect du problème qu'il ne faut pas oublier.
Il faut noter que la France est le pays le plus restrictif. Comme l'Allemagne et l'Autriche, nous avons décidé de conserver un système de permis de travail que nous octroyons de façon très limitée.
On peut comprendre cette position dans le cas de l'Autriche et l'Allemagne, parce que ce sont des pays frontaliers des nouveaux États membres. Or l'ouverture des frontières, pour eux, c'est l'ouverture à un marché noir quotidien, puisque les gens viennent travailler durant la journée et repartent le soir dans leur pays d'origine. Des mesures transitoires de restriction paraissent donc relativement justifiées.
Par exemple, à Vienne, tous les matins, des cars et des trains venant de Bratislava, qui n'est qu'à quarante-cinq kilomètres, amènent sur le marché du bâtiment autrichien des travailleurs, qui repartent le soir. Cela pose de sérieux problèmes.
Les travailleurs polonais, slovaques ou autres ne peuvent pas venir travailler en France le matin et repartir le soir !
Les représentants des nouveaux États membres ont demandé – ce ne fut pas une surprise – la fin de cette période transitoire.
Ils allèguent que le pourcentage des travailleurs des nouveaux États membres qui souhaitent chercher un emploi dans les anciens États membres est relativement faible et qu'il n'y a donc pas de justification économique au maintien des restrictions.
Ils invoquent aussi l'expérience positive des trois anciens États membres qui ont ouvert le marché.
Enfin, comme cela a été souligné, ils disent que les restrictions ne sont pas comprises par les nouveaux États membres.
Dans les États appliquant le principe de libre circulation, l'ouverture du marché du travail s'est plutôt bien passée.
Lors de mes fréquents voyages dans les nouveaux États membres, je constate que leurs habitants ont le sentiment d'être considérés comme des Européens de seconde zone, de ne pas être à égalité avec les anciens pays membres.
Les restrictions à la libre circulation des travailleurs en Europe vont-elles se maintenir ? Alors que la plupart des anciens États membres doivent répondre à cette question le 30 avril, la Commission européenne a publié début février un rapport dans lequel elle précise que les flux de travailleurs enregistrés dans les pays qui n'appliquent aucune restriction à la libre circulation des travailleurs représentent moins de 1 % de la population en âge de travailler de ces pays
La conclusion du rapport est sans appel : la libre circulation n'a pas causé de perturbations sur le marché du travail des quinze anciens membres et s'est, au contraire, avérée profitable. L'ouverture du marché du travail ne devrait donc pas poser de problèmes.
Il revient bien sûr à chaque pays, et notamment au Gouvernement français, de décider s'il souhaite continuer à appliquer ces restrictions pendan
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