M. Richard Yung rappelle à M. le ministre délégué à l'industrie que la défense de la langue française passe aussi par le terrain scientifique. La langue utilisée pour le dépôt et la procédure de délivrance des brevets d'invention en est une illustration éclatante. La France est fondatrice de l'Organisation européenne des brevets (OEB) créée par la convention de Munich, signée en 1973. Celle-ci prévoit que les dépôts de demandes de brevet européen doivent se faire dans une des trois langues suivantes : allemand, anglais, français. Les dépôts faits dans une autre langue doivent être traduits dans une de ces trois langues et, une fois le brevet délivré, le texte complet doit être traduit, pour la quasi-totalité des pays européens, dans la langue nationale. Le coût de ces traductions est considéré comme prohibitif par l'industrie européenne, qui considère qu'il s'agit là d'une pénalisation grave. Soucieux de trouver une solution, le gouvernement français a invité les Etats membres de l'OEB à une conférence intergouvernementale à Paris en 1998. Celle-ci a été suivie d'une autre conférence intergouvernementale à Londres en 1999, au cours de laquelle a été élaboré l'accord de Londres prévoyant que les brevets déposés en français seront valables sans traduction dans tous les pays européens ; de dispenser les déposants d'avoir à traduire la description dans les langues nationales. Ainsi l'accord maintient-il l'avantage aux entreprises françaises, dans la mesure où les revendications de tous les brevets européens sont obligatoirement publiées en français. L'accord de Londres, signé par la France, doit entrer en vigueur après ratification par huit pays dont l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Huit pays ont déjà ratifié, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Les objections relatives à la constitutionnalité ont été levées par un avis rendu par le Conseil d'Etat en septembre 2000. La ratification de l'accord de Londres est une priorité pour notre action en matière de propriété industrielle comme pour la défense de notre langue dans le domaine scientifique. Sa non-ratification par la France aurait pour conséquence de mettre fin au système proposé. Plus grave encore, il encouragerait les partisans nombreux en Europe d'un accord qui établirait le dépôt et la procédure dans une seule langue, à savoir l'anglais. Cela serait très difficile à combattre et représente à terme une menace majeure pour notre langue. Il souhaite donc lui demander quelles sont les intentions du Gouvernement en vue de procéder le plus rapidement possible à la ratification de l'accord de Londres.
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, ma question est relative à la ratification par la France de l'accord de Londres, signé en octobre 2000, qui concerne le régime de traduction des demandes de brevets déposées auprès de l'Office européen des brevets, l'OEB. A ce jour, cet accord a fait l'objet de onze ratifications, de la part notamment de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne.
Un tel accord a un double objet.
Premièrement, il permettrait de réduire sensiblement le coût des traductions dans le système européen, qui nous paraît effectivement prohibitif.
Le coût moyen d'obtention d'un brevet auprès de l'Office européen des brevets est de 24 000 euros, contre 7 000 euros aux Etats-Unis, soit un rapport de un à quatre environ. Sur les 24 000 euros, 14 000 euros sont imputables aux traductions.
Une telle situation pénalise donc l'industrie européenne, alors que tous les professionnels et tous les scientifiques savent bien que ces traductions ne servent à rien. Personne ne les consulte, chacun préférant se référer uniquement à la langue originale dans laquelle a été élaborée la demande de brevet.
Selon un calcul rapide, mais M. le ministre me corrigera si je me trompe, le coût des traductions représente une enveloppe de l'ordre de un milliard d'euros, alors que ces traductions sont, pour l'essentiel, inutiles. Mieux vaudrait utiliser cette somme pour encourager la recherche et le développement.
Deuxièmement, cet accord permettrait de maintenir le statut de la langue française.
Contrairement à ceux, bien intentionnés sans doute, qui craignent une deminutio capitis pour la langue française, je pense tout au contraire que cet accord constitue, en fait, le dernier rempart qui garantit à la langue française sa place parmi l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets.
Si la France ne ratifie pas cet accord dans un bref délai, nous sommes un certain nombre à redouter que l'ensemble des autres pays se mette d'accord pour imposer un système de brevets qui n'utilise que l'anglais. Ce sera donc la fin de la langue française dans le domaine des brevets.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, quels sont les projets du Gouvernement en la matière ? Quel calendrier entend-il suivre pour la ratification de l'accord de Londres ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Yung, le français constitue aujourd'hui, avec l'allemand et l'anglais, l'une des trois langues de procédure de l'Office européen des brevets. Les déposants français, en particulier les PME, ont ainsi l'avantage de pouvoir gérer en français leur procédure de demande à l'Office européen des brevets. Le fait que l'OEB soit, en outre, présidé par l'un de nos compatriotes, le professeur Alain Pompidou, est un autre témoignage de la place et de l'influence de notre pays dans ce dispositif.
Le système européen des brevets paraît aujourd'hui cohérent, mais il est perfectible.
A ce jour, l'Office européen des brevets comprend trente et un Etats, soit plus que l'Union européenne, et recueille près de 200 000 dépôts de brevets par an. Toutefois, force est de constater que le brevet européen est plus cher à l'obtention que le brevet américain ou japonais. En Europe, il faut désigner huit pays dans lesquels s'effectuera le dépôt du brevet, les trente et un Etats membres n'étant donc pas automatiquement sélectionnés. En moyenne, cela coûte 25 500 euros en Europe, contre seulement 7 600 euros aux Etats-Unis et 10 600 euros au Japon.
Le coût du brevet européen constitue un handicap pour les acteurs économiques et un obstacle à la création d'emplois fondée sur l'innovation dans les pays pour lesquels le dépôt pourrait assurer une viabilité plus certaine ou moins risquée dans le cadre d'une création d'entreprise.
La traduction obligatoire dans toutes les langues de l'intégralité du texte, lorsqu'il est délivré, constitue, il est vrai, le principal élément du coût spécifique du brevet européen. Selon les estimations, une traduction coûte ainsi en moyenne 2 500 euros par langue, voire le double pour des langues très difficiles.
Dans ce contexte, l'application de l'accord de Londres du 17 octobre 2000 par les dix Etats signataires, dont la France, diminuerait de 25 % à 30 %, selon les Etats désignés, le coût de traduction du brevet européen.
Avec cet accord, le français demeurerait, au même titre que l'allemand et l'anglais, l'une des trois langues de procédure de l'Office européen des brevets. Le seul texte faisant foi resterait le texte original tel que délivré par l'office. En cas de litige, le brevet devrait, comme c'est le cas actuellement, être intégralement traduit dans la langue exigée par le tribunal compétent.
L'entrée en vigueur de l'accord de Londres est subordonnée au dépôt des instruments de ratification par huit Etats membres de l'OEB, dont les trois Etats dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens ont pris effet en 1999, c'est-à-dire le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. A ce jour, l'accord de Londres a été ratifié par six pays, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Slovénie, Monaco, l'Islande et la Lituanie ; un Etat, le Danemark, l'a transposé dans sa législation nationale sans avoir encore déposé les instruments de ratification. L'entrée en vigueur de l'accord de Londres pourrait être ainsi subordonnée à sa ratification par la France.
Dans ce contexte, nous avons le souci de faire évoluer le système des brevets dans un sens favorable à l'innovation et à la compétitivité, tout en veillant parallèlement à préserver la place de notre langue, au même titre que l'allemand ou l'anglais, comme langue de l'information technologique en Europe. Nous sommes donc très attentifs à l'évolution de la situation. Pour ma part, j'examine très précisément tous les cas de figure et les entreprises qui pourraient être concernées, afin de prévoir, le cas échéant, une adaptation dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, je suis un peu déçu de votre réponse, car j'aurais aimé vous entendre exprimer une volonté plus forte en la matière.
Comme je l'ai dit, la ratification de cet accord est importante non seulement pour l'Europe, notamment pour son industrie grâce aux réductions de coûts que j'ai indiquées, mais aussi pour la langue française.
A défaut de ratification, la menace est très précise, car il est vraisemblable que tous les grands industriels européens s'accorderont pour mettre en place un système dans lequel les brevets européens ne seront plus accessibles que dans la langue anglaise. Il en sera alors fini de la langue française. Dans ce domaine, les campagnes menées en faveur des traductions multiples cachent, en fait, des intérêts corporatistes, mais cela n'a rien d'essentiel ni pour l'industrie française ni pour l'industrie européenne. La France doit donc avancer dans la voie de la ratification.
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