M. Roland Courteau appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur l'importance de la crise qui frappe la viticulture française et, plus particulièrement, celle de certaines régions, comme le Languedoc-Roussillon. Dans un tel contexte de crise qui perdure, depuis plusieurs années, et qui va en s'aggravant, il lui demande, une nouvelle fois, s'il n'estime pas nécessaire, a fortiori au vu de la récolte 2005, de mettre en oeuvre, sans délais, des mesures véritablement adaptées à l'ampleur des problèmes humains et économiques que cette situation entraîne (allègements des charges sociales et fiscales, réaménagement des prêts... ; fixation d'un prix minimum pour éviter la spéculation à la baisse des cours, distillation supplémentaire ([article 29] pour dégager les stocks, relance forte des exportations... ; obligations d'utiliser les moûts concentrés endogènes sur l'ensemble des régions, lors des opérations d'enrichissement, primes de stockage... Il lui rappelle, d'autre part, sa précédente question n° 785 par laquelle il attirait son attention sur l'importance du préjudice causé aux vignerons, notamment français, par les plantations illicites, effectuées dans un passé récent en Grèce, en Italie et en Espagne sur des superficies pouvant atteindre, selon certaines informations, 150 000 hectares. Il lui demande donc si la France a pris des initiatives, et lesquelles, afin d'exiger l'arrachage de ces plantations illicites et s'il est en situation de lui faire un point précis sur l'évolution de ce dossier.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, le 28 juin dernier, j'avais ici même, devant vous, et avec le soutien de mon collègue Raymond Courrière, lancé un cri d'alarme en évoquant l'extrême gravité de la crise viticole.
Je persiste aujourd'hui, car la situation s'est encore dégradée à la suite des comportements spéculatifs à la baisse observés au cours des jours qui ont précédé la vendange.
M. Raymond Courrière. On ne nous écoute pas !
M. Roland Courteau. Dans ces conditions, le climat, qui était déjà extrêmement tendu, est devenu explosif.
M. Raymond Courrière. Tout à fait !
M. Roland Courteau. Comme mon collègue Raymond Courrière peut le confirmer, il est vrai qu'il y va de la vie ou de la mort d'un grand nombre d'exploitations.
Nous vous confirmons donc ce que nous vous avions dit au début de l'été, monsieur le ministre : les mesures annoncées ne sont pas au niveau de l'ampleur de la crise. Par exemple, les mesures de trésorerie, trop restrictives dans leur application et d'un faible montant, n'ont pas eu l'impact attendu face à la détresse matérielle d'un grand nombre de viticulteurs.
Des ajustements s'avèrent donc nécessaires, accompagnés d'allègements conséquents de charges sociales et fiscales, à commencer par le dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti, qui doit être élargi au-delà des seuls bénéficiaires des mesures de trésorerie.
Mais s'il convient d'aider impérativement nos viticulteurs à franchir le cap de la crise, chacun s'accorde aussi à penser que l'avenir de notre viticulture passe par le redressement du marché. Il importe donc de proposer des mesures visant à restaurer son équilibre.
Cela passe par la relance du marché intérieur, et je vous invite, sur ce point, à faire vôtres les propositions figurant dans notre rapport sur l'avenir de la viticulture de juillet 2005.
Depuis cette date, celles-ci sont hélas restées lettre morte, ce qui nous amène à nous interroger sur un autre point : à quand la mise en oeuvre du conseil de modération, pourtant promise et sans cesse reportée ?
Nous devons par ailleurs consentir des efforts plus importants à l'exportation. L'aide annoncée de 7 millions d'euros constitue un premier pas mais reste cependant insuffisante si on la compare aux crédits engagés par l'Espagne, qui sont six à sept fois plus élevés.
Sur les autres mesures de restauration du marché, comme par exemple l'élimination des excédents, je ferai deux remarques.
La première concerne la distillation, qui fait l'objet de l'article 29.
Nous nous interrogeons sur le point de savoir si, compte tenu de la saturation du marché de l'alcool de bouche, il ne serait pas plus opportun de solliciter des instances européennes la mise en oeuvre de l'article 30 sur la distillation de crise.
Ma deuxième remarque est relative à l'utilisation de ces excédents dans la filière des biocarburants. Même si la vocation du viticulteur est autre, nous suggérons que l'on puisse avancer en ce domaine, d'autant que la hausse récente mais durable des prix du pétrole rend compétitif l'usage des biocarburants.
Puis-je connaître votre sentiment sur ce point, monsieur le ministre ?
S'agissant encore de la diminution des volumes, je crois savoir que, faute de pouvoir recourir à l'arrachage temporaire, mesure toujours réclamée, la profession sollicite des mesures d'arrachage primé. C'est dire si la crise est sévère et si la situation des vignerons est catastrophique, l'arrachage primé étant perçu comme un outil de rééquilibrage de l'entreprise et comme un moyen de réduire son endettement, ou bien encore comme une solution sociale à coupler avec la préretraite.
J'ai noté qu'un arrêté du 12 août en définissait les zones géographiques. Il reste cependant à lever la contrainte fixée par l'arrêté du 20 mars 2001, qui prive du bénéfice de l'arrachage primé les exploitants ayant bénéficié des transferts de droits ou de nouveaux droits dans les cinq ans précédant la demande.
Je conclurai en évoquant deux points particuliers.
Tout d'abord, je souhaite revenir sur une question que j'avais évoquée il y a deux ans, à savoir le traitement fait par l'Union européenne aux 150 000 hectares de plantations illicites effectuées notamment en Espagne et en Italie.
(M. Raymond Courrière approuve.)
Où en est-on de cette affaire, monsieur le ministre ?
Ensuite, je veux attirer votre attention sur le projet d'accord sur le commerce du vin entre l'Union européenne et les Etats-Unis.
Il semble que la Commission européenne n'ait pas mesuré toutes les conséquences d'un tel projet qui, de fait, entraînerait une profonde modification de la définition traditionnelle du vin à travers la reconnaissance des pratiques américaines, très éloignées de notre conception du vin, en France et en Europe.
Vous allez, monsieur le ministre, débattre prochainement, avec M. le ministre des affaires étrangères, de ce projet en Conseil européen. Il importe que la France refuse de signer un tel accord, au demeurant très déséquilibré, qui donnerait un avantage compétitif aux Américains sur les pratiques oenologiques, tandis que nos exploitations se transformeraient en simple apporteur de matières premières pour de grandes unités de vinification.
La Commission doit renégocier de telle sorte que les intérêts des consommateurs soient pris en compte à travers, d'une part, la fin des usurpations des noms de nos appellations d'origine par les marques américaines et, d'autre part, l'interdiction de commercialiser en Europe des vins élaborés à partir de pratiques très éloignées de notre conception du vin.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, avec M. Courrière, qui s'est associé à vos propos, vous avez raison de rappeler une fois de plus la crise que traverse le Languedoc-Roussillon, première région productrice de vins de table et de vins de pays, avec 196 000 hectares et 12,4 millions d'hectolitres sur la campagne de 2003.
Il est vrai que la campagne de l'an passé a été très dure pour les viticulteurs, les prix des vins de table ayant chuté et les volumes vendus ayant diminué alors que, paradoxalement, cette campagne 2004 était bonne en termes de quantité, comme le sera - je le pense, du moins je le souhaite - celle de cette année.
Je rappellerai les mesures prises par le Gouvernement et que vous avez commentées, monsieur le sénateur.
J'évoquerai tout d'abord la distillation de crise pour les appellations d'origine contrôlée : sur un peu plus d'1 million d'hectolitres portés à la distillation, le Languedoc-Roussillon a participé fortement, soit à hauteur de 137 000 hectolitres, ce qui représente un total d'aides communautaires de 5,5 millions d'euros.
S'agissant ensuite des aides nationales sociales, vous avez raison, monsieur Courteau, on peut toujours faire mieux. Mais nous avons agi en fonction de nos disponibilités. Ainsi, pour les aides à la trésorerie, les départements de votre région, le Languedoc-Roussillon, se sont vu attribuer 6,3 millions d'euros, soit 37 % de l'enveloppe nationale de 17 millions d'euros.
Par ailleurs, comme je l'ai indiqué aux responsables agricoles de votre région, j'ai décidé qu'un complément de 2 millions d'euros, non consommés sur l'enveloppe des autres départements, serait affecté au Languedoc-Roussillon.
Pour les prêts de consolidation propres aux caves coopératives, l'enveloppe régionale affectée à cette région est de 14,5 millions d'euros sur une enveloppe nationale de 26 millions d'euros.
En ce qui concerne les charges fiscales et sociales, en réponse à ma demande, Jean-François Copé, ministre délégué au budget, a confirmé la généralisation à votre département de la mise en place d'un guichet unique pour examiner conjointement les éventuelles facilités de paiement des dettes sociales et fiscales des exploitants les plus fragilisés.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, j'ai reçu à nouveau l'ensemble des professionnels de la filière le 22 septembre et nous avons discuté ensemble des mesures à prendre pour que la nouvelle campagne démarre dans les meilleures conditions. L'effort fait sur les rendements pour les vins d'appellation et la mise en place d'une réserve sur les vins de pays par l'ANIVIT, l'Association nationale interprofessionnelle des vins de table et des vins de pays - c'est la première fois que cette association fait une réserve, mais ce cas existait dans d'autres AOC - devraient permettre de mieux maîtriser les volumes commercialisés.
J'ai rappelé à cette occasion que la baisse des prix sur le marché des vins de table, des vins de pays et des appellations d'origine contrôlée avait été excessive et avait entraîné des comportements spéculatifs à la baisse auxquels un terme devait être mis. De telles évolutions sont préjudiciables à l'ensemble de la filière viticole, y compris au négoce. Les mesures prises devraient avoir un effet positif et nous permettre d'atteindre - c'est du moins ce qu'estiment les représentants de la profession - un seuil de 3 euros par degré et par hectolitre de vins de table.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous soulignez que, dans un contexte de surproduction européenne, la question des plantations illicites en Espagne, en Italie et en Grèce doit être réglée.
Ces pays doivent respecter leurs engagements : les vignes plantées illicitement après le 1er septembre 1998 doivent être arrachées. Pour les vignes plantées avant cette date, une régularisation est prévue par la réglementation communautaire sous forme d'arrachage de superficies équivalentes ou d'achat de droits de plantation.
Ce dossier sera repris en 2006 dans le cadre de la réforme de l'organisation commune des marchés vitivinicole. Il n'y a pas de raison que la France soit le seul pays à être strict dans le contrôle des superficies viticoles.
Quant à l'utilisation des excédents de vins dans la filière des biocarburants, j'estime que c'est une bonne idée et je rappelle que la distillation des marcs et lies permet déjà de produire du bioéthanol utilisé pour les biocarburants. Je suis tout à fait d'accord pour que soit étudiée la possibilité de développer les biocarburants dans la filière viticole.
M. Raymond Courrière. Il faut le faire !
M. Dominique Bussereau, ministre. Nous le faisons, monsieur Courrière, d'autant que le plan « biocarburants », annoncé par le Premier ministre, va nous conduire à sextupler le volume et que nous sommes entrés dans la réforme de l'organisation commune du marché viti-vinicole : voilà donc deux bonnes occasions !
Monsieur Courteau, vous m'avez ensuite interrogé sur l'accord auquel les Etats-Unis et l'Europe sont, après vingt ans de négociation, enfin parvenus sur le commerce du vin, point que Mme Lagarde connaît bien également.
Même s'il n'est, comme tout accord, pas parfait parce que fondé sur des concessions réciproques, cet accord est important pour nous, car les Etats-Unis représentent, vous le savez, le premier débouché des exportations françaises de vins et spiritueux, soit, pour mémoire, 1,6 milliard d'euros en 2004, alors que les exportations américaines vers la France dans ce domaine n'ont représenté que 44,7 millions d'euros. Le déséquilibre est évident.
Au-delà de l'acceptation réciproque de nos pratiques oenologiques, qui sont diverses, cet accord conduit à un renforcement de la protection des indications géographiques européennes aux Etats-Unis.
Le gouvernement américain s'est en effet engagé à présenter au Congrès une proposition tendant à changer pour l'avenir le statut des « semi-génériques » que l'on retrouve aux Etats-Unis tels que bourgogne, champagne, chablis ou, si je pense à nos amis Portugais, porto.
Comme je l'ai rappelé au secrétaire d'Etat américain à l'agriculture, M. Mike Johanns, qui était la semaine dernière à Paris, nous souhaitons que cette proposition passe rapidement devant le Congrès et s'accompagne peut-être aussi d'une modification de la loi d'Amato.
En contrepartie, nos entreprises françaises et européennes ne seront pas soumises à la procédure de certification renforcée qui nous « pendait au nez » et qui aurait été fort coûteuse, voire impossible à mettre en place, en particulier pour les vins primeurs.
L'accord prévoit par ailleurs une deuxième phase de négociations qui interviendra quatre-vingt-dix jours après son entrée en vigueur.
Avec Mme Lagarde, nous veillerons à ce que les engagements pris par les autorités américaines soient respectés afin d'obtenir une protection complète de nos indications géographiques sur le sol américain.
Enfin, s'agissant du conseil de la modération, j'ai signé le décret, qui est maintenant soumis pour signature à mon collègue chargé de la santé et qui devrait donc paraître incessamment au Journal officiel de la République française.
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