M. Roland Courteau expose à M. le ministre de la culture et de la communication que l'année 2007, marquera le centenaire du mouvement des vignerons du Languedoc Roussillon, qui a particulièrement marqué l'histoire des régions du sud de la France et du département de l'Aude, notamment .
Aussi, afin de donner à cette commémoration un réel retentissement, le conseil général de l'Aude a décidé d'apporter le plus grand soin à la préparation de cet anniversaire.
C'est ainsi, qu'a été sollicitée l'inscription de cette commémoration, au titre des grandes célébrations nationales de l'année 2007. A la suite de cette démarche, le haut comité des célébrations nationales, réuni en juin dernier, a retenu cet anniversaire sur la liste de ceux qui lui seront présentés, comme susceptibles d'être inscrit au titre des célébrations nationales de 2007
Il lui demande donc, s'il entend, comme cela est ardemment souhaité tant, en Languedoc Roussillon que dans l'Aude, donner son accord à cette demande, afin de rappeler le souvenir d'événements exceptionnels, qui ont profondément marqué l'histoire de la région et de la Nation.
M. Roland Courteau. L'année 2007 sera celle du centenaire du mouvement des vignerons du Languedoc-Roussillon, un événement qui a marqué l'histoire non seulement du Midi, et tout particulièrement du département de l'Aude, mais également de la France.
Afin de donner à cette commémoration le retentissement qu'elle mérite, le conseil général de l'Aude a sollicité auprès de vous, monsieur le ministre, l'inscription de cette dernière au titre des grandes célébrations nationales de l'année 2007.
Monsieur le ministre, l'histoire de la viticulture, c'est l'histoire de nos régions du Sud ; c'est notre histoire, notre culture, ce sont nos racines. Cette histoire a modelé les paysages, façonné le coeur et l'esprit des habitants. Elle est parfois douloureuse, tout particulièrement en ce moment, et parfois aussi dramatique, comme le furent les événements de 1907, qui ont marqué à jamais un peuple et une région.
L'année 1907, c'est une crise viticole majeure, avec des rassemblements populaires jamais égalés dans l'histoire de la République, par leur nombre, leur force, mais aussi par leur côté pacifique, discipliné, digne et déterminé à la fois. C'est aussi de grandes figures de l'histoire du Midi, comme Marcellin Albert, le leader, Ernest Ferroul, le maire de Narbonne, et d'autres encore. Mais c'est aussi l'attentisme de l'État, le durcissement du mouvement, le drame, avec la mort de plusieurs civils, les émeutes et la mutinerie d'un régiment d'infanterie qui rendront ces événements dramatiques. Ce fut très certainement le tout premier mouvement de défense régionale de grande ampleur émanant d'hommes et de femmes qui ne demandaient qu'à vivre dignement du fruit de leur travail.
Toutefois, ce mouvement n'a pas été sans conséquences sur l'histoire non seulement de la région, mais également de la nation.
Il représente, tout d'abord, une étape importante dans l'intervention de l'État pour réguler l'économie de marché dans le domaine agricole. Il conduira d'ailleurs, quelques années plus tard, au vote d'un ensemble de lois connues sous le nom de « statut de la viticulture », puis, ultérieurement, à la création des offices.
Ce mouvement débouchera également sur la mise en place de la Confédération générale des vignerons du Midi, la CGVM, une organisation syndicale ayant pour ambition de rassembler l'ensemble de la profession viticole du Midi, ce qu'elle fit tout au long du xxe siècle.
Mais les événements de 1907 auront aussi des conséquences nationales. Ainsi, à la suite de la mutinerie du régiment d'infanterie, tout au long du xxe siècle, les conscrits seront affectés loin, très loin, de leur région d'origine.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, l'année 1907 constitue toujours et encore le terreau d'une création artistique et littéraire, prouvant ainsi combien la conscience collective aura été durablement marquée. Ne dit-on pas qu'un peuple sans mémoire est un peuple sans identité et que « jamais les hommes ne devraient imaginer le futur en oubliant leur propre histoire » ? Voilà pourquoi je souhaite vous convaincre, monsieur le ministre, au nom du président du conseil général de l'Aude et de mes collègues parlementaires, du bien-fondé de l'inscription de cette commémoration au titre des grandes célébrations nationales de l'année 2007.
Vous le savez, le Midi a le sentiment, très justifié d'ailleurs, de n'être pas souvent entendu de Paris.
(M. le ministre s'exclame.)
Dans le contexte de crise très sévère que rencontre la viticulture méridionale, cent ans après les événements de 1907, une réponse positive constituerait un signe, monsieur le ministre. Reste à savoir si je suis parvenu à vous convaincre.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Pour accueillir chacune et chacun, se projeter vers l'avenir et s'ouvrir à la création, un grand peuple doit connaître son histoire et ses racines. De ce point de vue, vous nous invitez, monsieur le sénateur, à une belle page d'histoire, que je rappellerai brièvement.
Au printemps 1907, à la faveur d'une très grave crise de mévente du vin dans une région de monoculture viticole, se produisent dans les principales villes du Languedoc méditerranéen et du Roussillon quelques-uns des plus importants rassemblements populaires qu'ait connus la IIIe République. Leur objectif est d'obtenir de l'État des mesures législatives contre la fraude sur les vins, considérée comme la cause unique de la crise, notamment par la taxation du sucre d'origine betteravière. Les dirigeants du mouvement, autour de leur leader Marcellin Albert, réussissent à entraîner à leurs côtés la grande majorité des habitants de la région, encore occitanophones et catalonophones pour une large part, et à susciter la sympathie dans d'autres régions du sud de la France.
Ces rassemblements interclassistes, disciplinés et pacifiques, se faisant sous la bannière tricolore, affirment ainsi l'appartenance nationale de leurs participants.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Toutefois, le soutien apporté au mouvement par les royalistes, par les républicains adversaires des radicaux de gouvernement et par une partie des socialistes avec Ernest Ferroul, la conviction juste que la crise de mévente est due plus à la surproduction qu'à la fraude ainsi que le souci de ne pas voir se développer une opposition entre Midi viticole et Nord betteravier expliquent la méfiance et l'attentisme du gouvernement Clemenceau. Il s'ensuit un durcissement du mouvement, ...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. ... - démission de municipalités, grève de l'impôt - qui provoque la réaction de l'État, avec l'arrestation des leaders et la mort de plusieurs civils à Narbonne, événements qui sont eux-mêmes cause d'émeutes dans plusieurs villes de la région et de la mutinerie d'un régiment d'infanterie.
Devant la gravité de la situation, dirigeants viticoles, parlementaires et gouvernement prônent l'apaisement. Celui-ci survient après le vote de la loi du 29 juin 1907 tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus de sucrage, texte qui réprime la fraude sur le vin à tous les stades de sa fabrication et de sa commercialisation, et après le refus du gouvernement de traduire les dirigeants viticoles devant la justice civile et les mutins devant la justice militaire. Les premiers sont libérés dès le mois de septembre, tandis que les seconds accomplissent plusieurs mois supplémentaires de service militaire.
Ces événements, ainsi replacés dans leur contexte historique et débarrassés de toute hagiographie et de toute mythologie, méritent à plusieurs titres d'être rappelés pour leur centième anniversaire.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Ils représentent tout d'abord une étape importante dans l'intervention de l'État pour réguler l'économie de marché dans le domaine agricole, politique qui conduit dans les années trente au vote d'un ensemble de lois connues sous le nom de « statut de la viticulture », puis à la création de l'Office national interprofessionnel du blé.
M. Roland Courteau. C'est ce que je vous ai dit !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Ce mouvement apparaît sinon comme le premier, du moins comme l'un des premiers mouvements de défense régionale, dont la seconde moitié du xxe siècle offre de multiples exemples. Il débouche d'ailleurs sur la création d'une organisation syndicale, la Confédération générale des vignerons du Midi, la CGVM, dont l'ambition est de regrouper l'ensemble de la profession viticole du Midi et dont l'existence contribue à réguler la protestation viticole tout au long du xxe siècle.
Enfin, ces événements ont montré aux pouvoirs publics les failles de la conception qu'ils avaient à l'époque du maintien de l'ordre, à savoir l'utilisation d'une armée de conscription peu préparée à ce rôle et de surcroît à recrutement régional. Comme vous l'avez indiqué, les conscrits seront dès lors affectés loin de leur région d'origine, sans qu'on franchisse néanmoins le pas consistant à mettre sur pied des corps spécialisés dans le maintien de l'ordre.
Tels sont les faits historiques. Ils méritent qu'on les fasse revenir dans la mémoire au xxie siècle. Ces événements n'ont jamais cessé de constituer tout au long du xxe siècle le terreau d'une création artistique et littéraire, attestant leur place dans la conscience collective régionale et nationale.
Souhaiter commémorer le mouvement des vignerons du Languedoc et du Roussillon en 2007 pour son centième anniversaire n'est en rien proposer à l'approbation générale tous les aspects d'un mouvement multiforme et plein de contradictions, non plus que commémorer la Révolution française n'était approuver la totalité des faits et gestes de ceux qui, à un moment donné, s'en sont réclamés. C'est essentiellement rappeler le souvenir d'événements exceptionnels qui n'ont pas été sans conséquence à la fois pour l'histoire de la région et pour celle de la nation.
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Comme je vous l'ai indiqué, c'est la maîtrise de l'histoire qui permet d'affronter avec audace et énergie l'avenir. Voir les événements du passé avec lucidité ne pose aucun problème, du moment qu'on laisse chaque fois les historiens libres de faire leur travail, car c'est leur liberté et leur indépendance intellectuelle qui est en jeu.
M. Roland Courteau. Vous ne m'avez pas répondu !
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je vous ai répondu « oui » !
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. J'aurais aimé, monsieur le ministre, que vous répondiez d'une façon précise à ma question : oui ou non accepterez-vous d'inscrire la commémoration des événements de 1907 au titre des grandes célébrations nationales pour l'année 2007 ?
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je vous ai fait part de mon intérêt pour une telle commémoration. Les décisions interviendront dans les prochaines semaines. Reconnaissez que j'ai eu des propos très positifs !
M. Roland Courteau. Cela veut dire qu'on en est toujours au même point depuis six mois ! Vous avez tort de tergiverser, monsieur le ministre !
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