Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l'attention de M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement sur la proposition de loi dont elle est l'auteur avec le groupe CRC, tendant à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort. En l'adoptant, le 12 février 2002, le Sénat faisait sien ce texte et s'honorait de poursuivre l'oeuvre abolitionniste du Parlement français qui votait, le 9 octobre 1981, la suppression de la peine de mort dans notre pays. Si on peut constater de par le monde une tendance à la baisse des condamnations à mort et des exécutions, il n'en reste pas moins que de nombreux pays continuent de l'appliquer. Encore récemment, au Texas, une femme, qui, de surcroît, a toujours clamé son innocence, a été exécutée. Des pays - le Tchad, l'Inde - reprennent les exécutions capitales. En France, il y a un an et demi, quarante-sept députés ont déposé une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d'actes de terrorisme. C'est dire combien il demeure indispensable d'agir pour la disparition de ce châtiment barbare partout dans le monde. En décidant de mettre en oeuvre en France une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort, la représentation nationale y contribuerait. Elle lui demande les dispositions qu'il entend prendre pour que la proposition de loi votée par le Sénat soit enfin mise à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'aurais souhaité poser cette question au mois d'octobre, mais le calendrier parlementaire ne l'a pas permis.
Je rappelle que, le 9 octobre 1981, le Parlement votait l'abolition de la peine de mort, sur proposition de notre collègue Robert Badinter, alors garde des sceaux. Ce faisant, notre pays, tardivement, certes, s'honorait de faire avancer des valeurs consacrées par le droit international et contribuait à bâtir un modèle de sanctions sur des fondements autres que ceux qu'il condamnait.
Plus de vingt ans après, la situation dans le monde est contrastée.
Certaines avancées sont à noter, puisque l'Europe exige l'abolition de la peine de mort comme condition d'entrée en son sein ; globalement, le nombre des condamnations à mort et des exécutions a décru et un certain nombre d'autres pays ont aboli la peine de mort : la Turquie, la Bosnie-Herzégovine, l'Arménie, Samoa et le Chili.
Cependant, certains reculs sont à déplorer.
C'est ainsi que l'Irak a rétabli cette sentence barbare. Après un long moratoire, les exécutions ont repris au Tchad, aux Philippines et en Inde. Depuis le 11 septembre 2001, des pays - l'Indonésie, le Maroc - ont condamné à mort des terroristes. En Chine, la peine de mort est, hélas ! largement appliquée : Amnesty International relevait, à la fin de 2004, un minimum de 6 000 exécutions par an !
Quant aux Etats-Unis, près de 3 500 personnes attendent dans le couloir de la mort. Il y a trois ans, je me suis rendue à la prison de Philadelphie pour rencontrer Mumia Abu-Jamal, journaliste noir condamné à mort pour un crime dont il est innocent. Il est enfermé depuis plus de vingt ans. Son exécution a été repoussée par deux fois grâce à la mobilisation internationale. C'est un univers terrible.
Le 14 septembre, une femme noire a été exécutée, soit la onzième depuis 1976 aux Etats-Unis. Stanley « Tookie » Williams, noir américain, doit être exécuté le 13 décembre. Cet homme a été proposé à cinq reprises pour recevoir le prix Nobel de la paix ! Tous deux ont toujours clamé leur innocence.
Pourtant, quarante-sept députés français n'ont pas hésité à déposer, l'an dernier, une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort pour les auteurs d'actes de terrorisme commis en France.
Notre pays, même s'il a mis longtemps à abolir la peine de mort, est porteur de valeurs de défense des droits de l'homme. Il peut et doit contribuer à construire un monde en mesure d'opposer à la barbarie non pas la vengeance, mais la justice.
C'est ce qu'a souhaité la quasi-unanimité des sénateurs en votant, le 12 février 2002, la proposition de loi que j'avais présentée et tendant à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort.
Cette proposition de loi n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Je vous demande, monsieur le ministre, d'y remédier. Votre Gouvernement s'honorerait à le faire.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, la proposition de loi que vous avez déposée, et que le Sénat a adoptée le 12 février 2002, visait, effectivement, à instituer en France une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort ; elle retenait pour ce faire la date du 9 octobre, en référence à la date de la loi qui, en 1981, a aboli la peine de mort dans notre pays.
A l'époque, la France était le trente-cinquième Etat à abolir cette peine. Depuis lors, plusieurs dizaines de pays se sont engagés dans la même voie. Aujourd'hui, une nette majorité de pays ont aboli légalement ou de fait la peine de mort.
Mais l'institution d'une « journée nationale » est-elle de nature, comme vous semblez le penser, à accélérer l'abolition de la peine de mort dans les pays où celle-ci existe encore ?
Une telle journée - dont l'instauration ne nécessite d'ailleurs pas l'intervention de la loi - aurait, certes, valeur de symbole, mais n'aurait que la force d'un symbole, étant dépourvue de toute portée juridique.
Or, sur le plan juridique - c'est-à-dire au-delà des symboles et, qui plus est, au niveau international - la France s'est d'ores et déjà engagée beaucoup plus avant.
D'abord, la charte européenne des droits de l'homme prévoit que nul ne peut être condamné à la peine de mort ni exécuté ; la France est naturellement signataire de cette charte.
Mais, surtout, la France a signé deux engagements internationaux majeurs relatifs à l'abolition de la peine de mort.
Il s'agit, d'une part, du protocole n° 13 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances.
Il s'agit, d'autre part, d'un protocole facultatif qui se rapporte au pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.
Le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République de la question de la conformité à la Constitution de ces deux accords, s'est prononcé il y a quelques jours : il a considéré que, si le protocole n° 13 ne soulevait pas de difficultés, en revanche, le second protocole ne pouvait être ratifié qu'après une révision de la Constitution.
Le Président de la République et le Gouvernement vont donc devoir se prononcer sur la suite qu'ils entendent donner à ces deux engagements, ainsi que sur les procédures qu'il conviendra d'engager à cette fin. Dans cette optique, le Parlement sera naturellement appelé, le moment venu, à se prononcer.
C'est la raison pour laquelle, compte tenu de l'importance qui s'attache à ces deux accords, le Gouvernement n'envisage pas, madame la sénatrice, d'inscrire dans l'immédiat votre proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, lequel sera particulièrement chargé au cours des semaines à venir : une telle inscription ne pourrait intervenir avant plusieurs mois.
Pour autant, je me permets de vous le rappeler, le groupe communiste de l'Assemblée nationale a bien entendu la faculté de demander l'inscription de cette proposition de loi dans l'une des « niches » de l'ordre du jour qui est réservée aux parlementaires. C'est d'ailleurs lors d'une séance consacrée à cet ordre du jour réservé que la proposition de loi à laquelle vous avez fait allusion a été adoptée, ici même, en 2002.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, je ne suis pas sans savoir que le groupe communiste de l'Assemblée nationale peut demander l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi en profitant d'une « niche » parlementaire ! Toutefois, si je vous interroge, monsieur le ministre, c'est parce que je crois à la valeur des symboles, surtout au moment où, en France, certains députés proposent de rétablir la peine de mort.
Concernant le protocole n° 13, je souhaite que le Parlement ait effectivement à se prononcer sur ce point au travers d'une révision de la Constitution, comme le souhaite le Conseil constitutionnel. Cela étant, il me semblerait intéressant - je ne suis pas la seule à le penser - qu'un débat ait lieu sur ce sujet, débat à l'occasion duquel je me ferai fort de militer à nouveau en faveur d'une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort.
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