M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, vendredi dernier, le 2 juin, la Bourse européenne Euronext NV, société cotée néerlandaise, a annoncé sa décision de fusionner avec celle de New York.
La promesse d'une « fusion entre égaux » paraît d'ores et déjà illusoire, puisqu'une majorité des membres du conseil d'administration de la future structure sera issue de la Bourse américaine.
Nous pouvons également nous interroger sur la pérennité du droit de veto dont Euronext est censée disposer pour les décisions importantes relatives à l'organisation de la Bourse transatlantique. Aujourd'hui, vous le savez très bien, monsieur le ministre de l'économie, les acteurs financiers européens, notamment français, se voient imposer des directives américaines à l'influence grandissante.
L'Europe économique et financière, en panne d'une réelle dynamique d'intégration et d'efficacité, mérite la création d'une grande Bourse continentale. Certaines déclarations entendues ce matin dans plusieurs places européennes, à Milan et à Zurich notamment, vont dans le sens de la création d'une telle Bourse.
L'option d'un rapprochement avec la Bourse allemande Deutsche Börse a fait l'objet de négociations entre Euronext, Francfort et Londres, depuis déjà plus de cinq ans. Certes, la localisation des centres de décision et l'organisation verticale d'une telle Bourse font actuellement l'objet d'importantes divergences entre Paris et Francfort, au point qu'une telle fusion, si j'ai bien compris, semblerait en contradiction avec les intérêts économiques d'Euronext et le fonctionnement des plateformes informatiques.
Par conséquent, monsieur le ministre, pouvons-nous encore espérer que la Bourse de Francfort infléchisse sa position afin de trouver un compromis avec Euronext, notamment dans le cadre d'un élargissement des fusions entre les Bourses continentales ?
Dans ce contexte, l'intervention politique tardive du Président Chirac est peut-être due au manque de réactivité des opérateurs administratifs et financiers, qui n'ont pas su le mettre en garde suffisamment tôt. Mme Merkel a également déçu hier, en précisant que ce dossier dépassait le strict cadre politique. Le soutien affiché par le ministre italien de l'économie et des finances à une solution européenne sera-t-il relayé par les acteurs financiers ?
En définitive, monsieur le ministre, pouvons-nous encore agir ? N'est-il pas trop tard ?
(Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et sur certaines travées de l'UMP. - M. Jean-Pierre Michel applaudit également.)
M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, Euronext est une entreprise européenne rassemblant les sociétés de bourse de quatre grands pays européens. Dans cette activité, il s'agit d'un succès indéniable : nous avons su bâtir une plateforme technologique reconnue comme étant l'une des meilleures au monde, si ce n'est la meilleure.
Vous l'avez rappelé, Euronext fait l'objet depuis quelques mois de sollicitations émanant, d'une part, de Deutsche Börse et, d'autre part, du New York Stock Exchange. Or le conseil d'administration d'Euronext a récemment choisi la solution américaine, signant avec la Bourse de New York une lettre d'intention non liante. Le processus est donc en cours.
Comme le Président de la République l'a déclaré officiellement, la France, lorsqu'elle a les capacités d'agir, en tant qu'actionnaire notamment, est bien entendu toujours favorable à des solutions privilégiant la construction européenne.
Mme Nicole Bricq. Jusqu'où ?
M. Robert Bret. Ce sont les Américains qui mènent le jeu !
M. Thierry Breton, ministre. En l'espèce, il s'agit d'entreprises qui sont totalement indépendantes. Au nom du Gouvernement et au nom des acteurs de la place, j'ai rappelé que quatre éléments étaient dirimants.
Premièrement, la plateforme technologique, qui s'est constituée pour l'essentiel à Paris, doit être sauvegardée et, avec elle, les emplois correspondants.
Deuxièmement, il importe de maintenir une compétition suffisante sur ces marchés, car c'est ce qui garantit les meilleurs prix aux utilisateurs.
Troisièmement, il convient de conserver le système fédéraliste, qui fait la différence d'Euronext et qui permet à l'ensemble des pays concernés, notamment la France, les Pays-Bas et la Belgique, de préserver leurs spécificités et leurs cultures locales.
Quatrièmement, il faut que le système actuel de régulation continue de fonctionner dans ces pays, et ce quelles que soient les évolutions capitalistiques.
En définitive, c'est bien à l'aune de ces quatre principes clés que les projets seront considérés. Aujourd'hui, nous avons fait valoir notre position. Si, à l'image de Deutsche Börse, d'autres projets apparaissent, nous les étudierons bien entendu avec intérêt.
M. Paul Raoult. Les Allemands n'en veulent pas !
M. Thierry Breton, ministre. Pour mémoire, Euronext a été cotée sur les marchés en 2000. À l'époque, la seule phrase que j'ai entendue de la part de ceux qui étaient au pouvoir était : « On verra plus tard ! »
(Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Roland Courteau. Mais on ne vous a rien dit !
Mme Nicole Bricq. Regardez un peu devant vous, au lieu d'avoir toujours les yeux fixés sur le rétroviseur !
M. Paul Raoult. Les Allemands n'en veulent pas !
M. Thierry Breton, ministre. « On verra plus tard », c'est aussi, hélas, ce que j'entends trop souvent aujourd'hui. Le parti socialiste, qui est en pleine rédaction de son projet pour 2007, devrait cesser de s'interroger constamment sur le coût financier pour justifier son attentisme sur ce sujet ! Oui, on verra plus tard... Et la charge de la dette que tous les Français ont désormais à supporter ? Ce n'est pas comme cela que l'on fait de la politique !
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Paul Raoult. Baratin !
Mme Raymonde Le Texier. Cela n'a rien à voir !
M. Thierry Breton, ministre. Au contraire, il est grand temps de regarder les réalités en face et de prendre nos responsabilités !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
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