M. Georges Mouly rappelle à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales que l'une des mesures phares de l'Acte II de la décentralisation, prévue par la loi n° 2004-809 du 3 août 2004, provoque l'inquiétude des responsables politiques locaux en termes de finances publiques. En effet, le transfert des personnels TOS (techniciens, ouvriers et de service) des collèges et lycées ainsi que celui des agents de la DDE génère des coûts exorbitants en raison, d'une part, d'un déficit de personnel de l'État, notamment de cadres, et d'autre part, des incidences inéluctables sur les comptes de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNARCL). Il lui demande comment peuvent être apaisées les incertitudes pesant sur la réalité des compensations financières afin que soient prises en compte l'existence de coûts indirects
(acquisition de locaux, recrutement de cadres, régime de retraite...).
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 1173, adressée à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.
M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, la fin de votre réponse à la question de mon collègue Jean Boyer pourrait servir en quelque sorte de conclusion à ma question, que je me permets néanmoins de développer.
Le processus de décentralisation, qui s'est considérablement accéléré au cours des dernières années, a permis de rapprocher le « pouvoir » des citoyens. Cette plus grande proximité est sans conteste une avancée majeure dans l'exercice de la démocratie. La décentralisation est une réalité dans notre pays !
Néanmoins, la décentralisation n'a pas toujours eu pour les contribuables toutes les conséquences espérées. Ainsi, je pense à la diminution des coûts, qui était l'un des objectifs recherchés, par une gestion plus proche du terrain.
Certes, le financement par l'État des transferts de compétences est aujourd'hui une réalité : la loi est respectée et la méthode d'évaluation des charges, je le reconnais, paraît satisfaisante. C'est du moins le constat formulé par un rapport d'information de l'Assemblée nationale. Lors de certains transferts, l'État est même allé au-delà de ses obligations légales.
Cependant, l'une des mesures phare de l'acte II de la décentralisation, prévue par la loi du 13 août 2004, provoque l'inquiétude des responsables politiques locaux en termes de charges financières nouvelles, directes ou indirectes : le transfert des personnels TOS, techniciens, ouvriers et de service, des collèges et lycées et celui des agents de la direction départementale de l'équipement, la DDE.
En réalité, grâce à l'exceptionnelle mobilisation des collectivités pour garantir la continuité du service public local, la réforme se déroule plutôt bien sur le terrain et les agents, malgré les réticences de syndicats, optent en majorité pour le statut de la fonction publique territoriale. Mais le transfert de ces personnels génère des coûts importants en raison, d'une part, d'un régime souvent plus favorable et d'un déficit de personnel de l'État, notamment de cadres - la majorité des départements et des régions envisagent de procéder à des recrutements supplémentaires après avoir fait le constat que les établissements transférés ne pouvaient fonctionner dans de bonnes conditions et, pour ce qui concerne les DDE, les élus évoquent une rétention des emplois d'encadrement par l'État - et, d'autre part, des incidences inéluctables sur le compte de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, avec l'arrivée massive des personnels TOS relativement plus âgés. C'est donc mathématique !
Les collectivités doivent gérer ces nouveaux transferts et poursuivre parallèlement la mise en oeuvre des transferts précédents qui font l'objet de surcoûts imprévus, mais que personne ne songerait à regretter - je pense au revenu minimum d'activité ou aux contrats d'avenir - ou qui sont susceptibles de connaître une augmentation importante, et là aussi c'est une affaire de chiffres, s'agissant des personnes âgées ou des personnes handicapées.
L'Observatoire de la décentralisation du Sénat a dressé un bilan encourageant des transferts des personnels TOS et des agents de la DDE, mais face aux perspectives inquiétantes pour les finances publiques locales, il avance des propositions intéressantes.
À ces surcoûts imprévus ou prévisibles s'ajoutent des disparités gommant l'image d'équilibre qui prévaut à l'échelle du pays. Certes, grâce au pacte de croissance et de stabilité, les collectivités disposent de marges de manoeuvre, mais les situations sont très variables : l'afflux de recettes ne se réalise pas toujours là où les dépenses sociales sont les plus fortes, et les ressources restent fragiles. S'imposent une mise en oeuvre du principe de péréquation, ce qui suppose un ciblage plus fin des collectivités les plus fragiles - c'est peut-être plus facile à énoncer qu'à faire, mais c'est bien le fond du problème -, notamment en zone rurale, ainsi qu'une prise en compte de leurs inégalités objectives de ressources et de charges.
Monsieur le ministre, quelles dispositions pourraient-elles être envisagées pour apaiser l'inquiétude des élus locaux face à l'ampleur des défis à relever dans le cadre d'une maîtrise de la dérive des dépenses publiques, tout en permettant de définir un lien véritable entre le contribuable et la collectivité, lien cher aux élus locaux, pour donner corps aux principes de péréquation et d'autonomie financière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, la question de la compensation financière des transferts de compétences est effectivement sujette à de nombreux débats et rumeurs. Votre question me fournit donc l'occasion d'apporter les clarifications nécessaires.
Premièrement, l'acte II de la décentralisation ne peut en aucun cas être accusé de toutes les difficultés rencontrées par certaines collectivités.
Tout d'abord, parce que le Gouvernement a honoré ses obligations constitutionnelles et législatives en matière de compensation.
Ensuite, parce que l'impact des transferts issus de la loi relative aux libertés et responsabilités locales sur les finances des départements et des régions doit être ramené à ses exactes proportions : les charges transférées en 2005 et 2006 représentent 0,5 % des budgets départementaux et 5,9 % des budgets régionaux.
Enfin, parce que l'autofinancement des régions a progressé en 2005 de 15 % et celui des départements de 13 %. Le taux d'épargne qui rapporte l'autofinancement aux recettes de fonctionnement atteint 33,7 % pour les régions et 18,3 % pour les départements.
Plus que jamais auparavant, les gouvernements successifs depuis 2002 ont témoigné de leur volonté de soutenir fermement les collectivités territoriales et la décentralisation. En renouvelant le contrat de croissance et de solidarité, alors que l'État s'applique à lui-même des contraintes drastiques, en compensant de façon transparente et irréprochable les transferts issus de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, en accompagnant les départements dans la prise en charge du RMI, le Gouvernement continue d'en donner des gages incontestables.
M. René-Pierre Signé. C'est insuffisant !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Deuxièmement, les transferts de compétences effectués au profit des collectivités locales ont fait l'objet d'une compensation financière intégrale.
S'il en avait été autrement, le Conseil constitutionnel n'aurait pas manqué de le rappeler au Gouvernement et au Parlement en censurant les différentes lois dont il est saisi. Il ne l'a pas fait ! Il faut donc en conclure que le Gouvernement a respecté l'ensemble de ses obligations constitutionnelles en ce domaine.
En outre, 2007 sera la troisième année de mise en oeuvre des transferts de compétences prévus par cette loi. Au total, les charges ainsi transférées en trois ans, au titre de 2005, 2006 et 2007, s'élèvent à plus de 3,5 milliards d'euros.
Dans un certain nombre de cas, dans le cadre des débats au sein de la commission consultative sur l'évaluation des charges, la CCEC, le Gouvernement a accepté de déroger à la loi du 13 août 2004, dont l'article 119 prévoit une compensation des charges de fonctionnement sur la base de la moyenne des dépenses actualisées de l'État au cours des trois années précédant le transfert de compétences. Il a accepté une solution plus favorable adossant le droit à compensation à la dépense de l'État au cours de l'année précédant le transfert.
Au total, par rapport à un droit à compensation théorique, le Gouvernement a été conduit à faire un effort supplémentaire de 157,755 millions d'euros.
Enfin, s'agissant des transferts de personnels, plusieurs décisions favorables aux collectivités locales ont été prises : la compensation des personnels se fera, s'agissant des cotisations « patronales », sur la base des dépenses supportées par les collectivités territoriales ; ....
M. René-Pierre Signé. Mais il manquait des personnels !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... les dépenses sociales, les dépenses annexes liées au fonctionnement courant des structures ainsi que la nouvelle bonification indiciaire, la NBI, seront également intégrées dans le calcul du droit à compensation ; le 1 % formation sera compensé pour un montant supérieur à celui consacré par l'État au cours des trois années précédant le transfert ; les comptes épargne-temps, acquis au moment du transfert de services, seront compensés en une seule fois au moment du transfert effectif aux collectivités territoriales des premiers agents ayant pris leur option ; s'agissant des dépenses de médecine préventive, notamment de la compensation de la visite médicale, le droit à compensation sera calculé non pas sur la base des dépenses de l'État au cours des trois dernières années, mais dans le souci de permettre aux collectivités territoriales d'appliquer les obligations de la fonction publique territoriale en la matière.
Troisièmement, je tiens à vous rassurer quant à l'équilibre de la CNRACL.
Effectivement, les agents transférés qui opteront pour l'intégration dans la fonction publique territoriale seront affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Celle-ci leur versera une pension pour l'ensemble de leur carrière dans la fonction publique, État et collectivité territoriale confondus.
En 2005, la caisse dénombrait 1,849182 million de cotisants. À supposer que les 125 000 fonctionnaires transférés optent pour l'intégration dans la fonction publique territoriale, cela se traduirait par une augmentation d'environ 7 % de ses affiliés.
L'âge moyen des personnels concernés se situe aux alentours de quarante-cinq ans.
Tout porte à croire que les personnels en fin de carrière opteront plutôt pour le détachement et que les personnels plus jeunes demanderont leur intégration. Nous nous situerons donc sur un volume et une moyenne d'âge inférieurs
S'agissant des agents qui conserveront leur statut de fonctionnaires d'État, à savoir ceux qui opteront pour le détachement, ils continueront de relever du code des pensions civiles et militaires de retraite ; en d'autres termes, c'est l'État qui continuera de payer leurs pensions.
Quant aux conséquences que cela aura sur l'équilibre général de la CNRACL, elles ne peuvent être appréciées tant qu'on ne connaît ni le volume exact ni le profil démographique des personnels transférés. Cependant tout laisse à penser qu'il s'agit pour la CNRACL plutôt de « bons clients » qui ne viendront pas modifier son équilibre.
Quoi qu'il en soit, il faut rappeler que l'État est garant de l'équilibre de la caisse et qu'il existe des mécanismes de solidarité entre les différents régimes.
Je vous précise, enfin, monsieur le sénateur, que l'État compense les dépenses sur la base des taux de cotisation de la fonction publique territoriale. Or les cotisations à la CNRACL, s'agissant des agents détachés sans limitation de durée, sont passées au 1er janvier 2007 de 33 % à 39,5 %. C'est donc sur cette nouvelle base que l'État compensera ces cotisations.
Par ailleurs, qu'il me soit permis sur ce sujet qui me passionne en tant qu'élu local de vous dire que je me suis toujours enthousiasmé pour les lois de décentralisation.
Vous l'avez très bien souligné, monsieur le sénateur, dans un certain nombre de domaines, plus on rapproche le lieu de décision et de compétence de l'ensemble de nos administrés, et mieux l'action publique est comprise !
M. Alain Dufaut. Et efficace !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. J'ai soutenu les premières lois de décentralisation de Gaston Defferre.
M. René-Pierre Signé. Cela n'a pas été le cas de tous les parlementaires de droite !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. En ce qui me concerne, je veux le dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui êtes des représentants des élus locaux, chaque loi de décentralisation dans notre pays, qu'elle ait été mise en place par un gouvernement de gauche ou par un gouvernement de droite, a largement contribué à la modernisation de la France.
Pourtant, les lois de décentralisation de Gaston Defferre, je le dis devant M. Jean-Claude Gaudin, n'ont jamais été compensées, ni en moyens humains, ni en moyens matériels, ni en moyens financiers !
Le transfert par l'État au 1er janvier 1986 des collèges aux conseils généraux et des lycées aux conseils régionaux sans les transferts de moyens, alors que le parc d'établissement scolaire dans notre pays n'avait pas évolué depuis trente ou quarante ans et se trouvait dans un état déplorable, témoigne combien cette loi a été porteuse de modernité en matière d'éducation nationale.
Pourquoi, d'ailleurs, les rectorats ont-ils conservé l'ensemble du personnel qui gérait ces établissements scolaires au lieu de le transférer vers les collectivités ? La charge a été énorme en matière de dépenses publiques, entre les personnels qui sont restés à tort affectés aux services de l'État et ceux qui ont été recrutés par les collectivités locales pour leur permettre de faire face à leurs nouvelles compétences !
Quoi qu'il en soit, cet état de fait n'a pas empêché les conseils généraux et les conseils régionaux de moderniser le patrimoine scolaire avec rapidité, j'en veux pour exemple la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, que présidait à l'époque M. Jean-Claude Gaudin, et son plan « lycées réussite ».
M. Alain Dufaut. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Et les écoles primaires !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Regardons aujourd'hui les lycées et les collèges de France : dans chaque région, dans chaque département, il s'agit d'établissements qui, pour la plupart d'entre eux, satisfont aux exigences modernes en matière de sécurité et d'optimisation de l'accueil des élèves !
Cette loi, je me répète, a donc été porteuse de modernité pour ce qui concerne l'éducation nationale.
Nous sommes passés à l'acte II de la décentralisation et nous avons choisi de procéder de manière différente que lors des lois Defferre.
D'abord, nous avons fait adopter une loi constitutionnelle. Ensuite, nous avons garanti que tous les transferts de compétences seraient assortis des transferts de moyens humains, matériels et financiers.
Bref, là aussi, dans le prolongement des lois Defferre, notre pays ne pourra que se réjouir d'ici à quelques années de cet acte fort du gouvernement français et de l'État, acte qui contribuera, une fois de plus, à moderniser les territoires de France.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, je vous remercie vivement de votre réponse détaillée, précise et concrète !
Tout comme vous, je ne pense que du bien de la décentralisation dont on perçoit aujourd'hui, de façon tangible, les heureux résultats.
Je suis tellement partisan de la décentralisation que, à l'époque des lois Defferre, nouvellement arrivé au Sénat, j'avais été l'un des rares à les approuver !
C'est dire, quant au fond, que je suis tout à fait d'accord avec vous.
En tout état de cause, il est difficile d'aborder le problème des transferts de compétences et de charges tant ces derniers donnent lieu, vous l'avez dit, monsieur le ministre, parfois, voire souvent, à des rumeurs.
J'ai cru devoir traduire ici le sentiment des élus de terrain. Je suis heureux de pouvoir leur apporter en toute conscience cette réponse précise, détaillée concrète, dont, encore une fois, je vous remercie beaucoup.
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