M. Alain Milon attire l'attention de M. le ministre de la santé et des solidarités sur la situation des familles touchées par la perte d'un enfant avant sa naissance, ce qui est tragique, surtout lorsque cette disparition se produit avant le stade des vingt-deux semaines. En effet, l'administration ne reconnaît pas un statut particulier à ces enfants morts nés, donc ne permet pas un droit de sépulture. Il ne s'agit pas pour ces familles de bénéficier ou percevoir quoi que ce soit, ni de remettre en cause la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, mais simplement et logiquement de pouvoir faire le deuil de ces enfants en fixant un seuil minimal par exemple à seize semaines d'aménorrhées pour bien le distinguer de l'interruption volontaire de grossesse et en permettant leur inscription sur les livrets de famille ou l'établissement d'actes dressés par les services de l'état civil, par exemple sous la dénomination « d'enfant non viable présenté sans vie ». La législation actuelle est difficilement compréhensible par les familles confrontées à ce drame. Leur demande semble pourtant simple, pouvoir permettre l'établissement d'un acte d'enfant non viable sans vie comme pour les enfants nés après vingt-deux semaines d'aménorrhée ou dont le poids est supérieur à 500 grammes. Il souhaiterait connaître le point de vue du Gouvernement face à la situation de ces malheureux enfants morts nés avant vingt-deux semaines d'aménorrhée et connaître s'il est favorable à une évolution de la législation qui leur permettrait une reconnaissance officielle dans le but de leur attribuer une filiation et un nom, et donnerait aux familles éprouvées la possibilité de leur accorder des funérailles, donc un lieu où elles peuvent se recueillir.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, auteur de la question n° 1202, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.
M. Alain Milon. Si l'attente d'un enfant reste ce qu'il y a de plus beau dans la vie, rien n'est plus tragique que la perte de celui-ci. Un tel malheur va à l'encontre de la loi de la nature, qui veut logiquement que les plus « anciens » partent les premiers.
Cette situation dramatique est d'autant plus difficile à vivre lorsque la perte de cet enfant se produit avant même sa naissance. La peine et le chagrin des familles douloureusement touchées par un tel malheur sont accentués lorsque la perte de l'enfant se produit avant le stade des vingt-deux semaines par le fait que l'administration ne reconnaît pas de statut particulier à ces enfants mort-nés, ce qui ne leur permet pas d'avoir droit à une sépulture. Les familles ne disposent alors pas de lieu pour se recueillir.
Il ne s'agit pas pour ces familles de percevoir quoi que ce soit ni de remettre en cause la loi sur l'IVG. Ces familles veulent simplement et logiquement pouvoir faire le deuil de ces enfants. En fixant, par exemple, un seuil minimal à seize semaines d'aménorrhée afin de bien opérer une distinction avec l'IVG, en inscrivant l'enfant sur le livret de famille ou en obtenant des actes dressés par les services de l'état civil sous la dénomination « d'enfant non viable présenté sans vie », on permettrait aux familles d'obtenir une reconnaissance officielle des enfants nés sans vie afin d'établir leur filiation, de leur attribuer un nom et de leur donner une sépulture.
Les récentes affaires qui se sont déroulées dans les hôpitaux de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-Antoine montrent bien que, sans cadre législatif, n'importe quelle dérive reste possible. Si l'on veut réellement prévenir de nouvelles dérives, respecter la douleur des familles et leur choix quant au devenir du corps de leur enfant, il faut leur accorder la possibilité de l'enregistrer à l'état civil, de pratiquer les funérailles qu'elles souhaitent ou de leur permettre d'en faire don à la science.
La législation actuelle est difficilement compréhensible par les familles confrontées à cette situation, dont le traumatisme est accentué par le fait que la perte de l'enfant intervient avant le cap des vingt-deux semaines d'aménorrhée. Leur demande est donc simple : permettre l'établissement d'un acte d'enfant non viable sans vie comme pour les enfants nés après vingt-deux semaines d'aménorrhée ou dont le poids est supérieur à 500 grammes.
Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître le point de vue du Gouvernement sur la situation de ces malheureux enfants mort-nés avant vingt-deux semaines d'aménorrhée. J'aimerais également savoir s'il est favorable à une évolution de la législation permettant cette reconnaissance officielle qui donnerait aux familles éprouvées la possibilité d'organiser des funérailles.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le sénateur, vous abordez, vous aussi, un point sensible. Sachez que je partage la douleur de ces parents et que je comprends ce que peut représenter pour eux la naissance, après plusieurs mois de grossesse, d'un enfant mort-né dont l'identité ne sera pas reconnue par les lois de la République.
Selon l'article 79-1 du code civil, tel qu'il résulte de la réforme du 8 janvier 1993, « lorsque l'enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l'état civil, l'officier de l'état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d'un certificat médical indiquant que l'enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès ». Ce double critère établit la personnalité juridique de l'enfant et ouvre l'ensemble des droits qui y est attaché. « À défaut du certificat médical [...], l'officier de l'état civil établit un acte d'enfant sans vie ».
L'instruction générale relative à l'état-civil révisée le 29 mars 2002 précise à cet égard que cet acte ne sera dressé par l'officier de l'état-civil que lorsqu'il n'est pas établi que l'enfant est né « vivant et viable », c'est-à-dire lorsque l'enfant, sans vie au moment de la déclaration à l'état-civil, est né vivant mais non viable, quelle que soit la durée de gestation, ou que l'enfant est mort-né après plus de vingt-deux semaines d'aménorrhée ou ayant atteint un poids de 500 grammes.
Une circulaire de 2001 indiquait qu'un acte d'enfant sans vie ne devait pas être dressé lorsque l'enfant était mort-né après une gestation inférieure au seuil fixé. L'« acte d'enfant sans vie » ne peut donc être dressé si, au vu du certificat médical fourni, la grossesse n'a pas atteint un niveau de développement suffisant, niveau établi par des critères médicaux appréciés par le professionnel de santé.
Cette circulaire interministérielle s'appuyait sur les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé selon lesquelles, sur la base d'un consensus médical largement établi, en deçà d'une durée de gestation inférieure à vingt-deux semaines d'aménorrhée ou d'un poids du foetus inférieur à 500 grammes, ce foetus ne saurait être considéré comme viable au regard des données biologiques et médicales relatives au stade de développement et de maturité des organes - je reprends telle qu'elle l'expression utilisée.
Parviendrait-on à régler la question avec un seuil de viabilité ramené à seize semaines d'aménorrhée ? En réalité, je crois que l'on ne ferait que déplacer le problème. Les parents, surtout la maman qui ne serait pas allée au bout d'une grossesse qu'elle désirait, seraient confrontés à la même douleur.
Tout seuil peut paraître arbitraire. Les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé ont cependant l'avantage de reposer sur des critères médicaux et de correspondre à un consensus scientifique. Au regard des conclusions de l'avis de l'Académie de médecine de juin 2006 relatif à l'extrême prématurité, on peut considérer que ces recommandations offrent déjà une large possibilité d'appréciation aux médecins.
Comment faire, si l'on ne déplace pas le seuil à partir duquel un acte d'enfant sans vie peut être dressé, pour que les parents puissent voir leur deuil reconnu par la société, ce qui serait une source évidente de réconfort dans leur épreuve ?
Tout ce que nous pourrons faire pour aménager les pratiques actuelles en vue d'humaniser davantage la prise en charge des familles concernées ira dans le bon sens. C'est pourquoi le Gouvernement a d'ores et déjà cherché à améliorer la situation en reconnaissant aux parents le droit de réclamer le corps de leur enfant né sans vie et de procéder à son inhumation ou à sa crémation. Cette nouvelle mesure est très importante.
Je vous prie de me pardonner, mais je vais utiliser des termes qui peuvent résonner de manière cruelle. En effet, le foetus ne constitue pas un déchet opératoire. Le respect du foetus constitue donc un geste d'humanité. Ce progrès, nous nous devions de l'accomplir.
C'est aujourd'hui chose faite puisque le décret du 1er août 2006 a amélioré la prise en charge des corps des enfants pouvant être déclarés sans vie à l'état civil dans les établissements de santé en accordant aux parents concernés le droit de réclamer le corps au même titre que celui de toute personne décédée. Une réécriture de la circulaire de 2001 est actuellement en cours de concertation avec les associations des familles concernées afin d'améliorer encore l'accompagnement des familles endeuillées.
Par ailleurs, les pratiques des communes consistant à accueillir dans leurs cimetières les corps des foetus et à recueillir les déclarations des familles sont encouragées.
Dans la perspective d'une meilleure prise en compte de ces situations et pour aller dans le sens que vous souhaitez, monsieur le sénateur, la circulaire du ministère de la justice du 30 juin 2006, prise à l'occasion de la réforme du droit de la filiation, a modifié le modèle de l'acte d'enfant sans vie afin de permettre que les noms des deux parents y soient portés, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse qui me semble assez complète.
Cela étant, nous devrions encore faire évoluer la législation, car ne pas admettre le seuil de seize semaines pour la reconnaissance d'un enfant non viable et l'accepter pour une IVG pose un problème. Une grossesse dure quarante semaines. Seize semaines, c'est pratiquement la moitié d'une grossesse. À ce stade, une femme sent son enfant dans son utérus.
Il est nécessaire d'avoir tous ces aspects de la question présents à l'esprit pour faire évoluer la loi. En attendant, ce qui a déjà été fait a été bien fait. Continuons !
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