M. Dominique Leclerc attire l'attention de Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports sur le fait que la Commission européenne vient de demander à la France d'ouvrir le capital de toutes les professions libérales exerçant sous forme de SEL (société d'exercice libéral) en application stricte des principes d'établissement et de libre circulation des capitaux à travers l'Union européenne conformément à l'article 43 du traité de Rome.
La Commission demande ainsi une ouverture totale du capital social des sociétés d'exercice libéral avec pour conséquence de faire passer toutes les professions libérales et particulièrement les professions de santé sous le contrôle absolu de groupes financiers dont les objectifs sont capitalistiques et antinomiques avec l'exercice d'une profession de santé libérale.
Aujourd'hui le Gouvernement français a répondu à l'avis motivé de la Commission concernant les laboratoires d'analyses médicales mais il y a un risque potentiel de glissement du problème vers les officines et d'une manière générale vers tous les professionnels de santé exerçant dans le cadre d'une SEL.
A l'heure où les tendances ultra libérales de la Commission sont souvent dénoncées, il ne pense pas que la Commission soit une machine froide et impersonnelle mais une administration qui reste soumise au contrôle de ses tutelles dont les États eux-mêmes sont les instigateurs.
Il appartient donc à la France et à son Gouvernement, d'apporter les arguments dans ce débat pour conserver cette harmonie qui repose sur trois piliers indissociables, le monopole, la propriété et la répartition démo-géographique.
Une mise en application de la libre circulation et de l'ouverture à des capitaux extérieurs à la profession quels qu'ils soient et quel qu'en soit le niveau aurait des conséquences irrémédiables sur notre politique de santé construite au service du malade. Avec comme effets, la disparition des professions de santé dans les zones économiquement les moins attractives, la perte de l'indépendance du professionnel face à l'hégémonie des groupes capitalistiques et une mise en place d'une concurrence dans un domaine où le malade doit reste la pierre angulaire du système.
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, auteur de la question n° 16, adressée à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
M. Dominique Leclerc. Madame la ministre, la Commission européenne a adressé à la France, le 12 décembre 2006, un avis motivé concernant les sociétés d'exercice libéral, les SEL, des professions de santé.
Cet avis motivé faisait suite à une plainte déposée auprès de la Commission le 11 janvier 2005, puis à une mise en demeure adressée à la France le 4 avril 2006 et restée sans réponse.
La Commission considère que la réglementation française des SEL constitue une entrave à la liberté d'établissement, prévue à l'article 43 du traité communautaire. Elle demande une ouverture totale du capital social de ces SEL et s'oppose aussi à la limitation des prises de participation dans ces mêmes SEL.
Cette position de la Commission remet en cause des dispositions fondamentales de la loi du 31 décembre 1990 applicable à toutes les professions libérales exerçant sous forme de société.
Actuellement, en France, les SEL exigent que le capital soit majoritairement détenu par des professionnels diplômés et qu'ils exercent effectivement leur profession au sein de ces structures.
Cette position de la Commission est très grave, car elle a pour conséquence de faire passer toutes les professions libérales, et particulièrement les professions de santé, sous le contrôle de groupes financiers, dont les objectifs sont essentiellement capitalistiques et, bien sûr, antinomiques avec l'exercice d'une profession libérale.
Dans le domaine de la santé, elle ne garantit de façon prioritaire la protection de la santé publique, la qualité du système de soins, la déontologie, la proximité des structures de santé et donc l'accès aux soins.
Elle favorise la création de réseaux diffus, difficilement contrôlables, et instaure surtout de nouveaux monopoles qui remettent en cause l'exercice du libre choix du patient et la libre concurrence entre les professionnels de santé.
Cette position va à l'encontre du principe d'indépendance professionnelle et financière qui est la clef de voûte de l'exercice en SEL des professions libérales de santé.
La Commission persiste à considérer la santé comme une prestation de service ordinaire alors que les services de santé ont été exclus de la dernière rédaction de la directive sur les services dans le marché intérieur.
L'article 152 du traité communautaire garantit le principe de subsidiarité dans l'organisation des services de santé des États membres.
À l'avis motivé de la Commission, le gouvernement français doit répondre en prenant en considération l'ensemble des professions libérales, en particulier les professions de santé.
C'est pourquoi, devant une situation aussi grave qu'incertaine, nous ne pouvons nous contenter d'attendre simplement la décision de la Commission.
De plus, il n'est pas concevable qu'un bouleversement aussi considérable se produise une fois de plus en catimini, sans que la représentation nationale soit informée de l'importance de l'enjeu, de sa gravité et sans l'organisation d'un débat, surtout au moment où il est question de revaloriser le rôle du Parlement. Il est toujours intéressant de parler des sucreries dans les écoles et de bien d'autres hochets, mais là encore ne soyons pas hypocrites.
Madame la ministre, premièrement, quelle est votre position au regard des dispositions européennes concernant l'organisation et le fonctionnement des structures libérales de soins ?
Deuxièmement, voulez-vous défendre le principe de subsidiarité dans l'organisation et le fonctionnement des professions libérales et des professions de santé ?
Troisièmement, le Gouvernement souhaite-t-il laisser les financiers capitalistiques mettre en coupe réglée les professions libérales et les professions de santé pour créer de nouveaux monopoles qui permettront, nous le savons tous, de sélectionner les professionnels et les patients ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, le Gouvernement, en concertation avec la profession, a effectivement répondu en février dernier à un avis motivé de la Commission européenne concernant les sociétés d'exercice libéral de biologistes. La Commission fait grief à la France de limiter à 25 % le capital pouvant être détenu dans les sociétés d'exercice libéral par des personnes physiques ou morales autres que les biologistes.
Or, la France - tel est aussi mon sentiment - considère que la législation et la réglementation en vigueur sont proportionnées à l'objectif de protection de la santé publique. Ces dispositions permettent de préserver l'indépendance de l'exercice des professionnels de santé et de faire respecter les principes déontologiques régissant cet exercice.
Comme vous le soulignez, une éventuelle ouverture du capital des sociétés d'exercice libéral concernerait l'ensemble des professions libérales qui, tels les pharmaciens d'officine, sont autorisées à exercer sous cette forme conformément à la loi du 31 décembre 1990.
C'est pourquoi, dans l'hypothèse où la Commission ne serait pas satisfaite par notre réponse, je demanderais alors à mes services d'organiser une concertation avec le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, ainsi qu'avec le ministère de la justice, compétents en cette matière.
Par ailleurs, je vous précise que la France a également répondu fin juin à une mise en demeure de la Commission européenne concernant certaines dispositions de la législation française relatives aux officines de pharmacie.
La Commission reprochait à la législation française de réserver la propriété des officines aux seuls pharmaciens, d'interdire à un pharmacien d'exploiter plus d'une officine et de prévoir l'incompatibilité entre l'exploitation d'une officine et l'exercice d'une autre profession.
De même, pour le contentieux relatif aux laboratoires, les autorités françaises ont insisté sur le fait que les restrictions à la liberté d'établissement identifiées par la Commission se justifiaient par une raison impérieuse d'intérêt général - en l'occurrence, la protection de la santé publique - et par des mesures légitimes et proportionnelles à la défense de cet intérêt général.
Je partage donc votre point de vue, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Madame la ministre, j'ai eu connaissance de la position que vous avez prise récemment concernant les biologistes, mais mon propos s'étend non seulement aux professions de santé, mais aussi à l'ensemble des professions libérales.
Aujourd'hui, en matière de santé, les directives européennes visent à favoriser la libre circulation des patients et des professionnels dans un souci de qualité.
J'avais cru comprendre que les professionnels de santé étaient exclus de la directive sur les services, le principe de subsidiarité devant s'appliquer.
L'ouverture totale, telle qu'elle est demandée par certains, signifierait la disparition d'un des piliers de notre société, c'est-à-dire l'expression libérale pour certaines professions,...
M. Jean-Marc Pastor. C'est terrible !
M. Dominique Leclerc. ...qui, au travers des SEL, ont optimisé l'exercice professionnel, mais aussi le service rendu aux patients. On en connaît les avantages : proximité avec les patients, accès aux soins, meilleure gestion et adaptation aux réglementations de plus en plus contraignantes.
C'est pourquoi il est essentiel, pour préserver la qualité de l'offre de soins, d'exiger que seuls les professionnels diplômés puissent détenir majoritairement le capital des SEL dans le domaine de la santé.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
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