M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur les contradictions entre les discours privilégiant le pragmatisme, l'efficacité en matière d'enseignement de la lecture et les textes officiels dans ce domaine. Ces textes qui, malgré quelques toilettages superficiels et sous couvert du sacro-saint principe de la liberté pédagogique, encouragent encore des combinaisons entre les méthodes d'apprentissage de la lecture. Il lui demande si, rejoignant en cela l'attente des parents, les pouvoirs publics vont adopter une ligne privilégiant unité et efficacité vis-à-vis de cet apprentissage de la lecture, case indispensable de la réussite d'un parcours scolaire.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, « des années d'expérience ont montré ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas en matière de pédagogie. On sait par exemple depuis longtemps que la fameuse méthode globale d'apprentissage de la lecture a eu des conséquences catastrophiques. Même si elle était très rarement utilisée, personne ne l'avait pour autant interdite. Les nouveaux programmes l'écartent résolument ». Ce propos a été tenu par Jack Lang, l'un de vos prédécesseurs. Il n'a pas été suspecté, lui, de réintroduire « des méthodes réactionnaires », qui ont eu l'insigne utilité – excusez du peu – d'apprendre à des générations d'adultes à lire, à écrire, à compter ; et pour cause, rien n'a été écarté.
On en arrive au paradoxe que, même en connaissant les conséquences catastrophiques de telles méthodes, les enseignants préconisent à leurs collègues devant faire l'objet d'une inspection de ne surtout pas pratiquer, durant ladite inspection, un quelconque exercice qui rappellerait la méthode syllabique, à savoir la lecture et les dictées des syllabes !
Face à la cohorte de cas de fausses dyslexies et autres troubles du langage, des orthophonistes commencent à pointer du doigt l'une des causes principales de ces proliférations, à savoir les méthodes globales, semi-globales, les méthodes de reconnaissance des mots à leur silhouette et autres divisions pédagogiques des temps modernes.
Avec le recours à ces méthodes, on renforce les inégalités sociales. Seront en effet épargnés les élèves dont la famille, l'entourage vont pouvoir leur apprendre à lire de façon cohérente, bref, des enfants qui sauront lire véritablement, qui n'auront pas l'illusion de savoir lire en proposant des mots ressemblant à ceux qu'ils ont devant les yeux.
À leur sortie des écoles normales, et au-delà de tous les clivages politiques, les maîtres ont permis à des écoliers d'apprendre à lire et à écrire. On peut aujourd'hui les moquer : ils appliquaient, loin des bavardages pseudo-pédagogiques d'« experts » autoproclamés, des principes simples. N'avaient alors pas été découvertes les méthodes globales, semi-globales, hypothético-déductives – je vous en passe et des meilleures ! –, tellement hypothético-déductives, d'ailleurs, que certains élèves ne comprennent pas l'énoncé des problèmes mathématiques, n'étant pas capables de le lire correctement.
Je me moque d'être considéré comme un rétrograde par certains de mes collègues. Ce qui compte, c'est l'avenir des écoliers, avenir qui passe par un apprentissage, dans des conditions correctes, de l'écriture, de la lecture, cette lecture qui conditionne tous les autres savoirs. Les parents d'élèves qui ont été confrontés à ces situations me comprendront. Tout élève n'a pas des enseignants dans sa famille. Tout élève n'a pas les moyens de bénéficier de cours du soir.
En conclusion de mon propos, je vous demande, monsieur le ministre, si, en matière d'apprentissage de la lecture, la liberté pédagogique devra toujours être synonyme de trouvailles éducatives, ou alors si cet apprentissage, via une méthode qui a fait ses preuves, renforcera l'égalité républicaine.
Condorcet ne disait-il pas que l'instruction joue un rôle premier dans la construction par l'élève de son autonomie dans le monde ? Et la lecture est la base de l'éducation.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, vous pointez du doigt un sujet d'actualité. Comment concilier la liberté pédagogique et la valorisation des méthodes dont on connaît l'efficacité ?
La liberté pédagogique est inscrite dans la loi et figure désormais dans la partie législative du code de l'éducation, à l'article L912-1-1, aux termes duquel « la liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection. »
Le respect de ce principe suppose de laisser aux enseignants une entière liberté de choix quant aux méthodes et aux manuels qu'ils décident d'employer. Il appartient ensuite aux corps d'inspection de veiller à ce que les connaissances et compétences prévues par les programmes officiels soient effectivement acquises régulièrement par les élèves au cours de l'année scolaire, et ce d'autant plus que les professeurs des écoles disposeront, à compter de la rentrée prochaine, de deux heures hebdomadaires pour aider les élèves en difficulté à combler leurs lacunes.
Je n'insisterai pas davantage sur la liberté pédagogique. Il faut faire confiance à l'immense majorité des enseignants.
À côté de cet aspect, il y a les prescriptions, les programmes, le souhait de la nation, exprimés par l'intermédiaire du ministre de l'éducation nationale. Le Gouvernement est très clair à cet égard. Je vous renvoie à la lecture des nouveaux programmes de l'école primaire qui ont été publiés le 19 juin dernier et qui vont entrer en application dès la rentrée prochaine.
Ces programmes sont sans ambiguïté sur la question qui vous préoccupe, monsieur le sénateur, à savoir l'apprentissage de la lecture, la maîtrise des fondamentaux, des mécanismes et des automatismes qui permettront de lire correctement.
Les instructions ministérielles rappellent que « au cours préparatoire, l'apprentissage de la lecture passe par le décodage et l'identification des mots et par l'acquisition progressive des connaissances et compétences nécessaires à la compréhension des textes. Le code alphabétique doit faire l'objet d'un travail systématique dès le début de l'année. » On ne peut pas être plus clair. Les méthodes que vous défendez, monsieur le sénateur, sont donc respectées.
Pour que soient conciliées liberté pédagogique et instructions, il fallait aussi que tous les acteurs du secteur soient d'accord. L'une des innovations introduites par le Gouvernement concerne la transparence des programmes de l'école primaire à l'égard des familles et de leurs utilisateurs. À la rentrée prochaine, seront distribués gratuitement aux parents 4,3 millions d'exemplaires de ces programmes, rédigés de façon claire, simple ; ils tiendront en quelques pages et contiendront des tableaux extrêmement pragmatiques, que tout un chacun pourra comprendre.
Un consensus entre l'école et la famille pourra alors se dégager autour d'un objectif clair : la maîtrise de la lecture à partir des outils traditionnels et des méthodes les plus utilisées jadis comme aujourd'hui et qui sont également les plus fonctionnelles.
Monsieur Souvet, votre préoccupation légitime renvoie à ce qui a motivé, en partie, la rénovation des programmes de l'enseignement primaire. Petit à petit, nous devrions voir les élèves retrouver des assises en matière d'acquisition de la langue, dont ils ont bien besoin.
Je suis très sensible aux propos que vous avez tenus sur le fait que tout élève n'a pas les moyens de se faire accompagner par ses parents, par sa famille. Puis-je vous rappeler qu'à la rentrée prochaine le Gouvernement mettra en place, dans les écoles primaires relevant de l'éducation prioritaire, un système d'accompagnement éducatif quatre soirs par semaine, et poursuivra la mise en œuvre de dispositifs de remédiation en fin d'école primaire, en CM1 et CM2, sous forme de stages ? D'ailleurs, au cours de la première semaine des vacances de Pâques, 85 000 élèves en ont profité. Ils seront encore plus nombreux cet été. Ce matin même, je me suis rendu à Mantes-la-Jolie, et j'ai pu le constater : des élèves, par petits groupes de cinq, se préparent, sous la responsabilité de leur professeur qui vérifie leurs connaissances, à entrer en sixième en se remettant un peu à niveau.
Monsieur le sénateur, votre préoccupation de donner plus, de donner « clair » à ceux qui ont le moins et qui ne vivent pas toujours dans l'environnement adéquat pour devenir des élèves performants, est également celle du Gouvernement.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre je vous remercie de votre réponse. Bien évidemment, je n'ignore rien des améliorations qui sont prévues à la fois pendant les vacances et à la rentrée, notamment l'octroi de deux heures supplémentaires hebdomadaires aux enseignants pour aider les élèves en difficulté. Mais je préférerais que l'on n'ait pas tant à rattraper. L'application de la méthode globale a nécessité une remise à niveau constante d'élèves qui ne comprenaient pas. J'espère que la méthode syllabique, utilisée précédemment, procurera de meilleurs résultats et ne donnera pas autant de travail de rattrapage aux enseignants.
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