M. Claude Bérit-Débat attire l'attention de M. le ministre de la défense sur l'annonce faite par son ministère de ne plus équiper l'armée de brodequins fabriqués par l'entreprise Marbot-Bata située sur la commune de Neuvic en Dordogne.
À travers cette décision, il souhaite l'interroger sur les intentions du Gouvernement de poursuivre ou non le désengagement de l'armée, donc de l'État dans ce département.
La parole est à Claude Bérit-Débat, auteur de la question n° 414, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le secrétaire d'État, le ministère de la défense a décidé de ne plus faire appel à la société Marbot-Bata, implantée sur la commune de Neuvic en Dordogne, pour la fabrication de brodequins destinés à l'armée de terre.
Alors que cette décision condamne une usine et pénalise toute une région, les raisons techniques pour justifier ce choix sont discutables et peu convaincantes.
L'armée a en effet reconnu depuis longtemps le savoir-faire incontesté de l'entreprise périgourdine, savoir-faire qui a été breveté.
Or, aujourd'hui, le ministère de la défense préfère désormais faire appel aux services de la société allemande Meindl et de la société Argueyrolles, qui sous-traite une partie de sa production en Tunisie.
Vous imaginez très certainement l'incompréhension de la direction et le désarroi des salariés de Marbot-Bata, ainsi que leur colère de voir partir à l'étranger un contrat d'équipement destiné à nos propres forces armées, avec lesquelles cette société travaillait depuis plus de cinquante ans.
L'appel de cette décision auprès du tribunal administratif de Versailles vient d'être rejeté. Ce jugement sonne le glas de Marbot-Bata, pour qui les commandes de l'armée représentent près de 70 % de sa production. Déjà en chômage partiel, les salariés de l'entreprise, qui comprend en grande majorité des femmes, vont donc bientôt connaître le chômage tout court.
Voilà comment un obscur raisonnement sur l'ergonomie des brodequins menace la survie d'une entreprise et le maintien de soixante-quinze emplois dans un bassin économique déjà affecté par le recul de l'industrie de la chaussure. Cette décision vient après l'annonce de la fermeture programmée de l'ESCAT – l'Établissement spécialisé du commissariat de l'armée de terre – de Bergerac en 2014, dans le cadre de la restructuration des activités de défense nationale et de la révision de la carte militaire. Or ce site emploie 124 personnes, dont 113 civils.
Certes, l'armée n'a pas pour mission de créer des emplois. Le Gouvernement pourrait cependant s'abstenir de faire de cette institution un « outil à délocaliser ».
En Dordogne, les élus locaux et les citoyens s'interrogent, légitimement, sur la stratégie de l'État. N'ont-ils pas entendu le Président de la République affirmer à diverses reprises que les usines devaient rester en France ? C'est tout de même un comble de constater que, malgré les appels au patriotisme économique lancés par le chef de l'État, l'armée française délocalise ses commandes !
Monsieur le secrétaire d'État, face à cette crise qui n'épargne pas la Dordogne, département dont le taux de chômage a augmenté de 17 % en un an, frappant plus particulièrement les jeunes, je souhaiterais connaître les mesures que vous comptez prendre pour sauver cette entreprise et ainsi permettre au Gouvernement et au chef de l'État de mettre enfin en concordance leurs paroles et leurs actes.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur Claude Bérit-Débat, le ministère de la défense, par l'intermédiaire de l'état-major de l'armée de terre, a annoncé sa volonté d'équiper son personnel de nouvelles chaussures de combat mieux adaptées aux conditions d'engagement actuelles des unités, en particulier en opérations extérieures. Sur le principe, il était temps ! Je suis en effet très souvent en contact avec des unités sur le terrain : le changement de type de chaussures était attendu depuis longtemps, surtout si l'on compare l'équipement de notre armée à celui d'autres pays, en Europe ou ailleurs.
Un appel d'offres a donc été lancé afin de notifier un marché public de réalisation de nouvelles chaussures de combat. Jusque-là, il n'y a rien à redire. Dans le cadre de la consultation ouverte au niveau européen – obligation que la loi nous impose, je le rappelle –, plusieurs entreprises ont soumissionné, dont Marbot-Bata.
Il n'y a eu aucune communication du ministère de la défense sur la confirmation du choix de son ou de ses futurs fournisseurs, la notification officielle du marché public n'ayant toujours pas été effectuée.
Monsieur le sénateur, vous y avez fait allusion, la procédure a en effet été suspendue en raison d'un recours précontractuel introduit auprès du tribunal administratif de Versailles par l'entreprise Marbot-Bata, qui a ainsi, en préalable de son action contentieuse, pris l'initiative de communiquer les résultats de l'appel d'offres.
Face au mécontentement manifesté par l'entreprise, M. le ministre de la défense a reçu personnellement, le 28 janvier dernier, M. Jean-Claude Jégou, dirigeant de l'entreprise, ainsi que le maire de la commune de Neuvic, où se trouve Marbot-Bata.
La décision du tribunal administratif est aujourd'hui connue : le recours de Marbot-Bata a été rejeté. La notification du marché peut désormais intervenir.
Soucieux de la situation de cette entreprise dont les activités sont, vous l'avez souligné, très fortement dépendantes des marchés de la défense faute d'une diversification de ses activités, en tout cas à ce jour, M. le ministre a demandé qu'une attention particulière soit portée aux autres commandes en cours ou à celles qui peuvent être passées dans le cadre des marchés dont bénéficie par ailleurs l'entreprise avec la marine et l'armée de l'air.
Enfin, en ce qui concerne les mesures annoncées en juillet 2008 de restructuration des implantations militaires, le ministère de la défense, en liaison notamment avec celui qui est chargé de l'aménagement du territoire, veille à ce que les sites concernés bénéficient des mesures d'accompagnement et de redynamisation adéquates, en parfaite relation avec les acteurs territoriaux.
Monsieur le sénateur, après vous avoir écouté, j'ai bien conscience qu'il faut être particulièrement attentif à ce que la transition puisse s'effectuer de la façon la plus douce et la plus adaptée possible entre, d'une part, une nécessaire diversification – à laquelle je suis certain que l'entreprise travaille – ainsi que la poursuite des marchés en cours et, d'autre part, les effets que peut avoir la perte de ce marché de chaussures sur le plan de charges et, donc, sur les emplois. Le fait que le ministre de la défense ait reçu le responsable de l'entreprise il y a quelques semaines montre bien l'attention toute particulière que nous portons à la situation de Marbot-Bata.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais remettre en perspective la décision de ne plus faire appel à la société Marbot-Bata pour l'équipement de l'armée en chaussures. L'usine avait 2 000 salariés dans les années quatre-vingt. À l'issue de la crise qui a touché l'industrie française de la chaussure et de l'article chaussant, notamment en Dordogne, l'entreprise, qui compte aujourd'hui soixante-quinze salariés, s'est recentrée sur le créneau, qui était porteur, de la fabrication de chaussures pour l'armée.
Les chaussures produites par Marbot-Bata – j'aurais pu vous en apporter une paire ! – font la satisfaction de nombreux militaires qui les utilisent. J'ai évoqué l'ergonomie, mais les raisons pour lesquelles l'armée va changer de fournisseur sont assez obscures. Par ailleurs, la société Marbot-Bata est parfaitement capable de s'adapter et de fournir un autre type de chaussures.
Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi d'être dubitatif sur les éléments de réponse que vous m'avez apportés. Il est vrai que le dirigeant de Marbot-Bata a été reçu, avec le maire de Neuvic, par M. le ministre de la défense, mais, aujourd'hui, les 70 % de la production de cette entreprise qui sont destinés au ministère des armées sont mis en péril.
Je rappelle que la décision prise l'année dernière de fermer l'ESCAT de notre département entraîne la suppression de 130 emplois, qui, ajoutés aux 75 emplois de la société Marbot-Bata, concernent plus de 200 personnes. C'est un coup dur porté à la Dordogne !
Encore une fois, sans vouloir faire de la politique politicienne, à l'heure où l'on entend dire qu'il faut faire preuve de patriotisme économique, il me semble que l'État, en particulier l'armée, devrait donner l'exemple.
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