M. Richard Yung interroge Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur les modalités d'expulsion des étrangers par voie aérienne. Il lui indique que, le 18 avril dernier, il a été témoin de troubles suscités par une opération de reconduite à la frontière au départ du vol AF732 à destination de Niamey. Confrontés aux protestations de la personne expulsée, qui était alors menottée à son siège, une partie des passagers a naturellement manifesté son soutien et son indignation. L'on peut en effet aisément comprendre que des passagers ayant payé pour bénéficier d'un voyage dans des conditions normales n'apprécient guère ce genre de situation (i.e. la présence de la police, un passager menotté ainsi que les tensions qui en résultent) et que d'autres, choqués par ces méthodes de reconduite à la frontière, les vivent comme des manifestations de racisme et de néo-colonialisme. À la suite de ces mouvements de protestation, le commandant de bord a demandé l'évacuation de l'avion de la personne expulsée. Un agent de la police de l'air et des frontières (PAF) et son supérieur ont alors rejeté cette demande, sans doute au nom de l'application stricte de la politique de quota annuel d'expulsions. Le chef d'escale d'Air France, appelé sur les lieux, a appuyé la demande du commandant de bord. Finalement, devant le refus de la police, celui-ci a dû menacer de faire quitter l'avion à l'équipage et aux passagers et d'annuler le vol. C'est seulement devant cette menace que la personne expulsée – qui entre-temps avait fait un malaise – a été évacuée. Cet événement a retardé le vol de 2 heures. Il tient à souligner la courtoisie et le professionnalisme des agents de la PAF qui, dans des circonstances difficiles, ont toujours gardé leur calme. Il en a été de même du personnel de cabine d'Air France, qui a été soumis à de fortes pressions et n'a pas toujours été clairement distingué de la police par les passagers. Cet événement met en évidence un grave problème : l'existence d'un conflit d'autorité entre le commandant de bord, « maître à bord », et la police tant que l'avion est au sol, portes ouvertes. Il lui demande donc s'il ne serait pas nécessaire de mettre sur pied un mécanisme d'arbitrage ou de prise conjointe de décision afin d'éviter de telles situations et savoir à qui appartient l'autorité en la matière. Il lui rappelle que ce type de situation est dommageable pour la société Air France, qui subit là un dégât commercial difficile à mesurer mais réel (non pas tant les 2 heures de retard que le climat de tension) alors même que les liaisons avec l'Afrique sont celles qui contribuent le plus au résultat d'Air France. Il va sans dire que la politique détestable de quotas est à l'origine de ces situations qui se renouvellent plusieurs fois par semaine et que les ravages qu'elles font dans les opinions publiques africaines sont considérables. Par conséquent il lui demande quelles mesures le Gouvernement envisage de prendre à court terme pour résoudre ces difficultés.
M. Richard Yung. Ma question porte sur les modalités d'expulsion par voie aérienne d'étrangers en situation irrégulière.
Le 18 avril dernier, j'ai été le témoin de troubles suscités par une opération d'expulsion d'un étranger en situation irrégulière au départ d'un vol de la compagnie Air France à destination de Niamey.
Confrontés aux protestations légitimes de la personne expulsée, déjà à bord au moment de l'embarquement, qui se trouvait menottée à son siège et entourée d'une demi-douzaine d'agents de la police aux frontières, la PAF, de nombreux passagers lui ont manifesté leur soutien, se sont indignés des méthodes utilisées et ont longuement interpellé les représentants de la PAF.
Je ne porte pas de jugement sur le fond. Tout le monde peut comprendre que les passagers, qui s'attendent à effectuer un vol « normal », soient choqués et répugnent à voyager dans des conditions qui rappellent plutôt les trains vers l'Allemagne.
Je tiens à rendre hommage aux officiers de la PAF, qui n'exercent pas un métier facile. Leur comportement a été exemplaire : ils ont toujours fait montre de courtoisie et de sang-froid. Je n'oublie pas non plus le personnel commercial d'Air France, qui sert d'intermédiaire, de go between entre la police aux frontières et les différentes autorités, et qui est souvent assimilé aux forces de l'ordre par les passagers, qui confondent les uniformes. Lui aussi a fait preuve de diplomatie et de patience.
Alors que l'avion aurait dû décoller depuis plus de deux heures, le commandant de bord a considéré que la sécurité à bord n'était pas assurée et a demandé aux responsables de la PAF de faire descendre la personne en voie d'expulsion. Sans succès. Ce refus a entraîné une situation de blocage et a empêché que le calme ne revienne.
Estimant que la sécurité n'était plus assurée à bord et qu'il ne pouvait assurer ce vol dans des conditions normales, le commandant de bord a alors décidé d'annuler le vol et s'est retiré avec son équipage, demandant aux passagers de quitter l'avion. Ce n'est qu'à ce moment-là que la PAF a reconsidéré sa position. Il convient d'ajouter que, entre-temps, l'étranger en situation irrégulière avait été pris d'un malaise et était en voie d'évacuation pour des raisons sanitaires.
Je ne m'intéresse pas aujourd'hui à la dimension humaine du problème. Cet événement a surtout révélé l'existence d'un conflit d'autorité entre le commandant de bord et la PAF.
Par référence à la marine, le commandant de bord est souvent présenté comme le seul maître à bord. Or les textes précisent qu'il n'en est ainsi qu'à partir du moment où les portes de l'appareil sont fermées et que les moteurs commencent à tourner. Avant, l'aéronef fait partie du territoire national et se trouve notamment sous l'autorité de la police. Dans le cas que je relate, la PAF exerçait sa mission et exécutait une décision de justice.
Il convient par conséquent de se pencher sur cette question et, à défaut d'élaborer en amont une politique raisonnable d'organisation des expulsions des étrangers en situation irrégulière, de trouver un moyen de gérer ces situations qui, reconnaissez-le, nous ramènent en plein Moyen Âge !
En outre, ces troubles sont tout à fait dommageables à Air France et ne peuvent qu'avoir des effets négatifs sur son image. Il est assez pénible que les passagers d'un vol, qui ont payé leur billet, subissent un retard de deux heures et demie et assistent à des heurts.
Monsieur le ministre, comment appréhendez-vous ces difficultés et quelles mesures envisagez-vous de prendre pour éviter que ces situations ne se reproduisent à l'avenir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Monsieur le sénateur, avant de répondre très précisément à votre question, je souhaite revenir sur certains de vos propos.
Vous avez tout d'abord affirmé ne pas vouloir vous prononcer sur le fond. Vous avez pourtant toute légitimité pour le faire ! Il s'agit de savoir si vous adhérez à une politique européenne qui entend favoriser l'immigration légale, seul vecteur d'intégration, lutter contre l'immigration illégale et les filières de l'immigration clandestine et privilégier le développement solidaire, c'est-à-dire l'aide à la création d'emplois dans les pays d'immigration. Si tel est le cas, vous reconnaissez alors la nécessité des reconduites à la frontière.
Vous avez ensuite prononcé des paroles ambiguës – j'espère avoir mal compris et, si tel est le cas, je vous présente d'emblée mes excuses –, en assimilant les techniques de reconduite à la frontière aux trains qui partaient vers l'Allemagne.
Autrement dit, vous semblez assimiler l'action menée par le Gouvernement aux convois de la mort, c'est-à-dire à l'extermination des juifs et des tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis.
M. Richard Yung. Oh là là !
M. Éric Besson, ministre. J'ose espérer, monsieur le sénateur, que telle n'est pas votre volonté et vous aurez l'occasion de nous le préciserez à l'issue de mon propos.
Sur le fond, j'accepte toute suggestion. Les personnes hostiles aux reconduites à la frontière – et je prends en compte leur opinion – m'expliquent que les expulsions ne peuvent pas avoir lieu par vols groupés, par « charters », comme certains, par le passé, ont dénommé ces vols, car ce serait indigne. Il ne pourrait pas non plus s'agir de reconduites individuelles aériennes. Par conséquent, monsieur le sénateur, je suis très intéressé par les propositions que vous pourrez formuler sur ce sujet.
Je veux maintenant répondre très précisément à la question que vous m'avez posée relative à d'éventuels conflits d'autorité entre le commandant de bord et la police, lors de l'expulsion d'un étranger par voie aérienne.
Il me paraît nécessaire de rappeler les textes qui font référence aux pouvoirs du commandant de bord et ceux qui décrivent le processus d'embarquement d'une personne éloignée.
Pour ce qui concerne le commandant de bord d'un vol commercial, les articles L. 422-2 et L. 422-3 du code de l'aviation civile précisent clairement qu'il est responsable de l'exécution de la mission et qu'il a autorité sur toutes les personnes embarquées. Ainsi, il peut différer ou suspendre le départ et, en cours de vol, changer éventuellement de destination chaque fois qu'il l'estime indispensable à la sécurité, sous réserve d'en rendre compte en fournissant les motifs de sa décision.
De plus, son autorité sur toutes les personnes embarquées lui donne la faculté de débarquer tout passager susceptible de présenter un danger pour la sécurité, la salubrité ou le bon ordre à l'intérieur de l'aéronef.
Lors de la mise en œuvre d'une reconduite à la frontière d'un étranger en situation irrégulière, le commandant de bord du vol concerné est systématiquement informé par télécopie transmise par sa compagnie de la présence de personnes reconduites avec ou sans escorte, au minimum trois heures avant le décollage.
Sur place, l'accès à l'appareil par la personne reconduite et son escorte ne se fait qu'après confirmation verbale de l'accord du commandant de bord ou du chef de cabine, avant l'embarquement des passagers.
Dans le cas que vous avez évoqué, il s'agissait non pas d'une reconduite à la frontière, mais du réacheminement d'une personne non admise sur le territoire national, car elle ne remplissait pas les conditions d'entrée en France. Ne possédant pas les documents nécessaires, elle avait été embarquée à bord du vol retournant dans son pays d'origine.
Mais quel que soit le cadre juridique de l'opération, la procédure d'embarquement d'une personne réacheminée, mise en œuvre par les services de police, obéit à l'instruction du directeur général de la police nationale du 17 juin 2003. Elle tient compte des pouvoirs attribués au commandant de bord et consiste, à chaque instant, à assurer la sécurité du vol et des personnes présentes : personnes reconduites, escorteurs, personnel naviguant, passagers. Pour d'évidentes questions de sécurité, l'appréciation du commandant de bord s'impose aux escorteurs, et j'insiste sur ce point.
Les incidents enregistrés lors de l'exécution d'opérations de reconduite à la frontière par voie aérienne demeurent, et c'est heureux, extrêmement marginaux, d'autant que l'essentiel de ces retours s'effectuent sans escorte policière. Depuis le début de cette année, seulement 23 % des reconduites à la frontière par voie aérienne ont nécessité une telle escorte. Ce n'est que dans vingt-quatre cas que l'administration s'est vu opposer un refus d'embarquement par le commandant de bord.
Actuellement, il n'est donc pas envisagé de modifier ce dispositif légal, qui permet de concilier les impératifs de sécurité aérienne et les besoins de l'autorité administrative en matière de lutte contre l'immigration irrégulière.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, nous sommes respectueux de la loi. Lorsqu'une décision de justice sanctionne des entrées illégales sur le territoire national, elle doit évidemment être exécutée. Je souligne, même si tel n'est pas le sujet de ma question, que les employeurs qui ont recours à des travailleurs illégaux sont largement laissés en paix…
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que toute reconduite à la frontière est soumise à l'appréciation du commandant de bord et s'impose aux escorteurs, ce qui semble de bon sens.
Dans le cas de figure que j'ai évoqué, le commandant de bord, auquel j'ai parlé à de nombreuses reprises, défavorable à la reconduite, a demandé explicitement que la personne concernée, qui n'était pas encore entrée sur le territoire national, soit débarquée de l'avion. La police aux frontières lui a opposé un refus têtu, pendant plus de deux heures, alors que le commandant de bord est détenteur de l'autorité légitime. Cette situation est anormale, même si vous n'avez relevé, monsieur le ministre, que vingt-quatre cas similaires. Mais ce type d'affaire est toujours minimisé.
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