M. Roger Madec attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la vétusté de la maison d'arrêt de la Santé.
Le 14ème arrondissement de Paris abrite une des prisons les plus médiatiques, mais aussi les plus délabrées de France : la maison d'arrêt de la Santé. Insalubrité, vétusté des bâtiments, difficultés du suivi médical, absence presque totale d'outils de formation font de la maison d'arrêt de la Santé un lieu emblématique de la situation actuelle des prisons françaises. Il rappelle que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur l'état de ses prisons.
Il lui demande en conséquence de lui préciser la nature des actions entreprises par le ministère de la justice afin de pallier les conditions d'incarcération accablantes des détenus à la maison d'arrêt de la Santé.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, en remplacement de M. Roger Madec, auteur de la question n° 578, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord d'excuser notre collègue Roger Madec, qui a été retenu pour une raison totalement indépendante de sa volonté et ne peut être présent parmi nous. J'aurai donc l'honneur de poser la question en son nom. Elle porte sur l'état de vétusté de la maison d'arrêt de la Santé.
Le XIVe arrondissement de Paris abrite l'une des prisons les plus médiatiques de notre système judiciaire : la maison d'arrêt de la Santé, centre pénitentiaire qui reste l'un des plus délabrés de France.
Construite en 1867, la maison d'arrêt de la Santé est la dernière prison intra-muros de Paris. Tout comme la majorité du parc pénitentiaire datant d'avant 1920, elle n'est plus conforme aux normes d'hygiène et de sécurité obligatoires pour l'hébergement de personnes écrouées.
Il s'agit aujourd'hui d'une petite structure qui accueille un centre de détention et un quartier de semi-liberté. Les conditions de vie y sont inacceptables.
La maison d'arrêt de la Santé tombe en ruine. Elle montre un grand état de délabrement dû à la défection de l'État. Le bâtiment a subi une détérioration irréversible qui s'est accélérée au cours des dernières années. La corrosion qui attaque les fondations internes des murs a conduit, pour des raisons de sécurité, à la fermeture de deux blocs sur quatre en 2006. Depuis, aucune rénovation, aucune transformation, aucune reconstruction de ces blocs n'a été entreprise. Ils sont aujourd'hui à l'abandon.
La grande vétusté entraîne une insalubrité croissante rendant difficiles les conditions de travail des agents de l'administration pénitentiaire ainsi que les conditions de détention. Les murs s'effritent, les plafonds s'écroulent. La maison de la d'arrêt de la Santé, usée par le temps, se transforme en ruine.
La détérioration de l'établissement ne permet pas de proposer de programme de formation tel que la loi le préconise. En effet, les locaux adaptés à la formation sont en nombre trop insuffisant. Il en est de même pour le travail, qui n'est pas proposé pour des raisons, là aussi, de locaux non conformes aux normes en vigueur. Les activités sportives sont elles aussi très limitées. L'agencement architectural de la maison d'arrêt ne permet pas le déroulement de séances de sport en extérieur. Seule une salle de musculation est proposée pour l'ensemble des détenus.
Depuis 2000, la restructuration de la Santé est à l'étude. Des travaux de rénovation ont été programmés pour 2008 et estimés à 150 millions d'euros. Or, à la suite d'un audit mené dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, ce projet a été suspendu, ce qui reculerait la rénovation à 2013-2016.
Cette suspension des travaux aggrave les conditions de travail des agents de l'administration pénitentiaire, qui pourtant font preuve d'une grande conscience professionnelle. Les grèves qui ont touché la maison d'arrêt de la Santé au mois de mai dernier ont démontré l'existence d'un malaise profond parmi eux.
Depuis trente ans, les rapports sur les prisons françaises se suivent et se ressemblent, sans grand effet sur les conditions de détention… Vous savez, madame la ministre, que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Nos prisons font l'objet de critiques, que ce soit au niveau national ou, avec les rapports de l'ONU ou du Comité européen pour la prévention de la torture, le CPT, au niveau international. Je rappelle que le Comité dénonce depuis 1991 – et, plus récemment, dans un rapport de 2007 faisant suite à des visites menées en 2006 – des « traitements inhumains et dégradants ».
Hier, mes chers collègues, nous étions à Versailles, où nous avons pu entendre le Président de la République s'indigner de l'état de nos prisons, qualifiant ledit état de « honte pour notre République ». C'était d'ailleurs, je crois, le titre d'un rapport parlementaire qui avait été établi sur l'initiative de la commission des lois du Sénat…
Face à un projet de réfection estimé à 150 millions d'euros, madame la secrétaire d'État, vous prévoyez un financement à hauteur d'un montant de 771 000 euros. La différence entre les deux sommes est évidente ! On est loin des engagements pris en 2005 pour la réhabilitation de l'établissement de la Santé.
Après cet exposé, madame la ministre, notre collègue Roger Madec souhaiterait connaître quelles dispositions vous entendez prendre afin d'honorer les engagements de l'État concernant la réhabilitation de la maison d'arrêt de la Santé.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité attirer mon attention sur la situation de la maison d'arrêt de la Santé, et vous avez raison, puisque, je l'ai déjà indiqué à plusieurs reprises, l'état que vous décrivez est réel, en particulier la vétusté, les difficultés du suivi médical et l'insuffisance d'outils de formation à l'égard des détenus.
Vous souhaitez connaître les actions que nous avons entreprises et mises en œuvre afin de pallier ces conditions d'incarcération.
La maison d'arrêt de la Santé, vous le rappeliez, a été construite en 1867. Sa capacité originelle était de 1 204 places. Elle comprend un quartier haut et un quartier bas. Les cellules sont toutes équipées de WC et lavabo, les douches étant, c'est vrai, collectives.
Ainsi que vous le souligniez, le bâti a subi une détérioration irréversible au cours de ces dernières années, du fait de la corrosion de la structure à l'intérieur même des murs. On sait très bien que, pendant très longtemps, on a laissé cet établissement se dégrader sans faire de travaux, je ne saurais polémiquer sur ce point.
La fermeture de trois blocs est devenue inévitable pour des raisons de sécurité, aussi bien pour les détenus que pour les personnels pénitentiaires. La capacité de détention s'en est évidemment trouvée réduite d'autant, passant de 1 204 à 455 places. Au 1er mai 2009, l'établissement accueillait 573 détenus.
Un nouveau projet a donné lieu à une évaluation à la fin de 2008 – vous y avez fait allusion –, et des orientations actualisées font aujourd'hui l'objet d'études de faisabilité, notamment pour ce qui concerne la réhabilitation.
Il convient dans l'immédiat, pour la partie du site qui demeure en activité, d'identifier les actions à mener afin de garantir le fonctionnement de la structure. Des actions sont donc entreprises, visant pour l'essentiel à préserver la capacité d'accueil. Vous vous souvenez certainement du débat qu'a suscité la question de savoir s'il fallait fermer l'établissement de la Santé pour en ouvrir un plus grand, par exemple en augmentant la capacité de l'établissement de Fleury-Mérogis, qui est déjà le plus grand établissement pénitentiaire d'Europe.
J'ai pris la décision de maintenir cet établissement, en pensant notamment aux audiences qui se tiennent tardivement au palais de justice de Paris, mais aussi à des procès particulièrement importants, qui se déroulent parfois sur plusieurs semaines. Il me semblait nécessaire que les détenus soient accueillis non loin du tribunal.
Voilà pourquoi nous avons souhaité maintenir cet établissement, le rénover et le réhabiliter.
Contrairement à ce que vous avez dit, des travaux ont été engagés en 2008 et 2009 à hauteur de 771 000 euros pour l'extension et la rénovation du quartier de semi-liberté.
Par ailleurs, dans le cadre du plan de relance 2009 ont été engagés d'autres travaux et études à hauteur de 100 000 euros ainsi que des travaux de rénovation électrique, 36 000 euros, de sécurisation, 31 500 euros et de protection contre les risques incendie, 64 500 euros.
Concernant le suivi médical des détenus réalisé au sein de l'unité de consultation et de soins ambulatoires de l'établissement, je vous rappelle qu'il dépend de l'hôpital Cochin. Nous n'avons plus de médecine pénitentiaire depuis 1994, ce n'est donc pas l'administration pénitentiaire qui organise les soins ou le suivi médical, c'est le ministère de la santé et l'hôpital dont dépend l'établissement.
Par ailleurs, la maison d'arrêt de la Santé est dotée d'équipements collectifs permettant d'offrir aux détenus un éventail élargi d'activités socio-éducatives, grâce à l'intervention de nombreuses associations et personnes extérieures.
Ainsi, au cours de l'année 2009 sont programmés des cours organisés par l'éducation nationale : de l'alphabétisation jusqu'à la préparation du baccalauréat et des diplômes d'études supérieures. Il y aura également des ateliers d'art plastique et des conférences d'histoire de l'art mis en place par des intervenants du Musée du Louvre. Des ateliers de théâtre seront animés par des professionnels – je suis allée dans cet établissement et j'ai constaté qu'ils y sont très présents – il y aura différents concerts de musique, un atelier vidéo piloté par le musée Carnavalet, des ateliers d'initiation informatique et des activités sportives.
En outre, une offre de formation bureautique complétée récemment par une permanence du Pôle emploi et d'une association d'insertion professionnelle, permet aux détenus de préparer leur future réinsertion professionnelle.
Vous avez soulevé la question de l'activité professionnelle. Dès lors que les détenus sont classés, ils peuvent travailler. Le taux d'activité est assez élevé à la Santé, mais vous avez raison, l'établissement ne peut pas accueillir beaucoup plus d'activités compte tenu des contraintes liées au bâtiment. Tant que nous n'aurons pas fait des travaux de rénovation, l'activité professionnelle sera limitée.
Par ailleurs, tous les nouveaux établissements pénitentiaires et ceux qui seront construits – M. le Président de la République souhaite relancer un programme de construction – intègrent la nécessité de l'activité professionnelle par la création de grands ateliers.
Mais à la Santé, même si on réhabilite les locaux, on ne pourra pas avoir des ateliers comparables à ceux des nouveaux établissements pénitentiaires. Cela permettra néanmoins d'accueillir de nouvelles activités professionnelles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la garde des sceaux, mon collègue Rober Madec prendra connaissance avec attention de vos déclarations.
J'ai bien pris note de tout ce que vous avez dit sur la situation de la maison d'arrêt de la Santé et sur les nécessaires rénovations. J'ai pris note aussi des chiffres que vous avez donnés. Vous avez annoncé quelques milliers d'euros en plus des 771 000 euros. J'ai fait une rapide addition : cela fait environ 884 000 euros, ce qui est loin des 150 millions d'euros nécessaires pour la réfection totale de cette maison d'arrêt, telle que fixée en 2005.
Nous serons bien sûr vigilants et je pense que Roger Madec sera attentif à l'action de votre successeur.
Par ailleurs, comme c'est peut-être l'une des dernières fois que nous avons l'occasion de dialoguer, du moins dans ce cadre, nous formons des vœux pour votre action européenne, madame la garde des sceaux.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ces mots aimables. Vous savez que j'ai eu, comme vous, à cœur d'améliorer les conditions de vie en prison. Nous avons travaillé ensemble dans une bonne entente sur l'amélioration des conditions de vie aussi bien des personnels que des personnes détenues.
Je garderai un bon souvenir de nos débats. Mais j'espère que ce combat se poursuivra dans le cadre européen et que nous pourrons nous retrouver sur ces enjeux.
M. le président. Madame la garde des sceaux, la présidence teint également à saluer la présence et l'écoute dont vous avez toujours su faire preuve devant la Haute Assemblée. Vous venez aujourd'hui encore d'en donner un nouvel exemple.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Merci, monsieur le président !
(Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
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