M. Roland Courteau attire l'attention de Mme la ministre de la santé et des sports sur l'inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire et la multiplication des zones de pénurie. Il lui indique que, par voie de conséquence, l'accès aux soins n'est plus véritablement garanti dans ces dernières zones.
Il lui indique que des mesures ont certes été prises, par l'État et l'assurance maladie, permettant la majoration d'honoraires de 20 % pour les médecins généralistes, sous certaines conditions, dans les zones déficitaires, ou encore l'exonération fiscale dans certaines zones soit déficitaires soit zones de revitalisation rurale. D'autres dispositions sont également prévues, comme la prise en charge totale ou partielle, non par l'État, mais par les collectivités territoriales, des frais d'investissement ou de fonctionnement liés à l'activité de soin (locaux, logement, etc…). D'autres mesures encore favorisent la diversification des modes d'exercice médical, sous certaines conditions, ou sont complétées par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 « hôpital, patients, santé et territoires ».
Il lui fait cependant remarquer que la plupart de ces mesures n'ont que très insuffisamment favorisé la démographie médicale et donc l'accessibilité aux soins, dans de nombreuses zones, tandis que dans d'autres secteurs, elles n'ont eu aucun effet. En fait, dans le département de l'Aude, l'espace rural manque d'ores et déjà de médecins.
Cette situation, ne va faire que s'aggraver, en raison de la pyramide des âges des généralistes qui y travaillent, lesquels pour un grand nombre vont très prochainement partir en retraite.
M. Roland Courteau. Madame la ministre, certaines régions françaises sont devenues ou vont à brève échéance devenir de véritables déserts médicaux. Des cantons entiers de mon département, l'Aude, et de la région Languedoc-Roussillon sont particulièrement touchés par le problème de la faible densité médicale.
Depuis des années, les médecins qui partent à la retraite ne sont plus remplacés. Et le mal ne fait que s'aggraver, année après année. Si le milieu rural profond est gravement touché, des problèmes semblables frappent aussi les gros bourgs ou même certaines villes moyennes, où les zones de pénurie se multiplient.
Disons-le tout net, l'accès aux soins n'est plus véritablement garanti dans certains secteurs. Aussi la question à se poser d'urgence est-elle la suivante : comment garantir à tous un égal accès à des soins de qualité, sachant que proximité et qualité sont bien souvent liées ?
Selon les prévisions de la direction de la recherche, des études et de l'évaluation et des statistiques, la DREES, le nombre de médecins en activité devrait baisser d'environ 10 % au cours de la prochaine décennie. Ainsi, jusqu'en 2020, les cessations d'activité seront supérieures à l'arrivée de nouveaux diplômés. Toujours selon la DREES, l'évolution de la démographie médicale dépendra largement des décisions prises aujourd'hui. Dans l'Aude, par exemple, la situation ne devrait pas s'arranger rapidement puisque la moitié du corps médical audois est âgée de plus de cinquante-cinq ans.
On peut faire les mêmes observations pour l'ensemble de la région Languedoc-Roussillon, où les installations sont loin de compenser les départs estimés annuellement à 140.
Or, dans un système comme le nôtre, où les médecins disposent du libre choix de leur installation, les mesures permettant de réguler la démographie médicale ne peuvent guère être qu'incitatives. Force est de constater qu'elles n'ont malheureusement pas été particulièrement efficaces. Je ne méconnais pas celles qui sont déjà mises en œuvre, et elles sont nombreuses ! Mais toutes ces dispositions ont montré leurs limites. En fait, elles n'ont que très insuffisamment enrayé la multiplication des zones de pénurie et n'ont corrigé qu'à la marge l'inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire. Je peux même affirmer que, dans certains secteurs, elles n'ont eu aucun effet, ce qui rend plus alarmant encore le problème des inégalités territoriales.
En Languedoc-Roussillon, et en particulier dans l'Aude, des secteurs entiers peuplés de 3 000, voire de 4 000 habitants, répartis parfois sur de nombreuses communes, ne disposent que d'un seul médecin, contre cinq i1 y a quelques années à peine ! Dans l'Aude, sur 438 communes, 343, dont 22 de plus de 1000 habitants, n'avaient pas de médecin généraliste au 1er janvier 2010.
Dans un tel contexte, les solutions ne sont pas légions, d'autant que le mythe du médecin généraliste corvéable à merci sept jours sur sept n'est plus d'actualité !
Je souligne également qu'il est plus difficile encore de favoriser l'installation de leur famille dans les endroits où la plupart des services publics ont disparu, ou encore dans les secteurs où les hôpitaux de proximité ont été dépouillés de leurs services.
Alors, que faire ? Faut-il revoir l'organisation de la médecine générale, qui pourrait passer par la multiplication des maisons de santé pluridisciplinaires, susceptibles d'assurer une prise en charge globale des maladies en réunissant les professionnels dans ces lieux ? Ou bien faut-il conditionner toute installation dans une zone excédentaire à un départ, comme cela fut fait pour les infirmiers et infirmières ? Quelle politique attractive peut-on instaurer pour les jeunes médecins dans les cantons ruraux ? Quelle coopération envisager entre professionnels ? Bref, madame la ministre, quelles pistes le Gouvernement entend-il emprunter ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Je vous remercie, monsieur le sénateur Courteau, de cette question, car la répartition des professionnels de santé, et tout particulièrement des médecins, est un sujet de préoccupation constante pour le Gouvernement. Oserai-je vous dire, monsieur le sénateur, que nous ne nous soucions pas à cet égard du seul département de l'Aude ?
(Sourires.)
Du reste, on évoque souvent la désertification médicale comme un problème touchant exclusivement les zones rurales. Or il y a des déserts médicaux à quelques kilomètres du Sénat, dans certaines banlieues fragilisées !
M. Roland Courteau. C'est vrai !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je suis, comme vous, attachée à garantir à l'ensemble de nos concitoyens le meilleur accès possible aux soins.
Cela dit, c'est un problème qui touche le monde entier : à l'échelle de la planète, le déficit en professionnels de santé et en médecins atteint plusieurs millions.
De plus, nous sommes confrontés à des évolutions sociologiques, au demeurant très légitimes : en se féminisant, la profession exprime un désir croissant de concilier vie familiale et exercice médical. C'est en partie pour cette raison que le temps consacré à l'exercice de sa profession par chaque médecin a baissé.
Nous payons aussi durement, il faut le dire – mais c'est une responsabilité largement partagée –, le numerus clausus des années 1980 et du début des années 1990. Nous avons rétabli les choses puisque le numerus clausus a été porté à 7 500, alors que, voilà un peu plus de dix ans, il n'était que de 3 000 ! J'ai donc considérablement augmenté le numerus clausus, mais je suis consciente que ces jeunes étudiants en médecine n'entreront véritablement en activité que dans une dizaine d'années, ce qui signifie que la chute de la démographie médicale ne sera totalement enrayée qu'aux environs de 2025.
Autrement dit, ce mouvement n'est pas inéluctable, mais il n'empêche que nous devrons gérer une démographie médicale insuffisante au cours de la décennie à venir, voire un peu au-delà.
De nombreuses mesures ont d'ores et déjà été prises pour lutter contre la faible attractivité de la médecine générale dans certains de nos territoires. L'avenant n° 20 à la convention médicale, qui prévoit de relever de 20 % le prix des honoraires pour les médecins exerçant sur ces territoires, a été reconduit dans le règlement arbitral du 3 mai dernier, et l'on doit s'en féliciter.
Mais ce n'est pas seulement une question d'argent. En effet, si certains médecins sont sensibles à cette incitation, ils ne sont guère plus de 600, ce qui, à l'évidence, ne permet pas de résoudre le problème dans son ensemble.
Des dispositions plus structurelles ont donc également été arrêtées.
Pour encourager l'adhésion des étudiants en médecine à la discipline de médecine générale, j'ai renforcé, en coordination avec Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, la filière universitaire de médecine générale. C'est un vrai succès puisque, dès 2009, des postes supplémentaires d'enseignants dans cette discipline ont été créés, et ce mouvement va se poursuivre au cours des prochaines années. Nous avons donc enrayé le défaut d'attractivité de la médecine générale – on pouvait même parler de désamour pour celle-ci ! – et nous commençons de recueillir les fruits de cette politique : la proportion d'internes choisissant la médecine générale, qui était de 37 % en 2006, est ainsi passée à 49 % en 2009.
Par ailleurs, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST, va compléter les mesures déjà en place en mettant à la disposition des médecins de nouveaux outils. Vous avez évoqué, monsieur Courteau, les maisons de santé pluriprofessionnelles. Je pense aussi à la souscription de contrats collectifs sur la base du volontariat, aux coopérations professionnelles qui permettront aux médecins de s'organiser avec les autres professionnels pour la répartition des tâches. Il s'agit de libérer du temps médical.
Depuis 2008, une aide financière d'un montant de 50 000 euros est accordée pour la création de maisons de santé pluriprofessionnelles. Ce chiffre est doublé pour les projets concernant les quartiers qui relèvent de la dynamique « Espoir Banlieues ». Nous avons ainsi, soutenus par une aide remarquable des collectivités territoriales, accompagné 85 maisons de santé pluridisciplinaires en 2009. Je lance toutefois une mise en garde pour que les projets soient bien portés par des professionnels de santé : ceux qui relèvent d'un simple choix politique sont en général voués à l'échec.
Le Premier ministre a réuni le 11 mai dernier un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire. Un plan d'action y a été annoncé en faveur de la démographie médicale : 250 maisons de santé pluridisciplinaires seront financées d'ici à 2013 et 400 contrats d'engagement de service public sont prévus d'ici à 2012 en milieu rural. Vous connaissez le système : on attribue une bourse de 1 200 euros par mois à des étudiants en médecine qui s'engagent à exercer dans une zone fragile pendant une durée équivalente à celle durant laquelle ils ont perçu la bourse. Les schémas régionaux d'organisation des soins ambulatoires permettront, sous le pilotage des Agences régionales de santé, les ARS, de qualifier ces zones fragiles et de faire converger les aides et les politiques incitatives.
J'attire votre attention sur le rôle très important que vont jouer les ARS : pivots de l'organisation des soins, elles vont permettre aux professionnels de santé de communiquer les uns avec les autres. C'est dans le cadre des conférences de territoire, auxquelles vous participerez certainement, monsieur Courteau, que les acteurs concernés sont sollicités pour construire une offre de soins cohérente sur l'ensemble du territoire. Jusqu'à présent, l'administration décidait seule. Moi, je veux associer les professionnels de santé, les élus de proximité et les associations de malades à cette définition de la politique de santé, autour des ARS.
J'ai proposé au Président de la République de confier à Élisabeth Hubert la mission de dialoguer avec les professionnels de santé et d'envisager des réponses structurelles aux besoins d'accès aux soins dans le contexte de démographie médicale que nous connaissons.
Certes, monsieur le sénateur, ce sont des politiques à long terme, mais nous tenons à utiliser l'ensemble des leviers qui sont à notre disposition, sans jamais négliger le dialogue avec les professionnels de santé et avec les élus.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je reconnais que de nombreuses mesures incitatives existent. Mais, comme vous venez de le dire, ce sont des mesures dont les effets ne se feront sentir qu'à long terme.
Serais-je trop pessimiste ? J'ai, hélas, du mal à croire que le problème sera résolu prochainement !
Ce qui est certain, c'est que, lorsque le manque de médecins oblige à effectuer plusieurs dizaines de kilomètres pour se faire soigner, l'égal accès aux soins pour tous est de fait remis en cause, ce qui constitue en soi un problème majeur, et les inégalités territoriales se transforment rapidement en inégalités économiques et sociales.
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