Mme Marie-France Beaufils attire l'attention de M. le secrétaire d'État chargé des transports sur la situation dégradée du fret ferroviaire.
Elle s'inquiète que la SNCF confirme sa stratégie d'abandon à 60 % du service « wagon isolé » dans son plan fret, au grand dam des chargeurs, des associations de défense de l'environnement et des syndicats alors qu'une étude commanditée par la SNCF elle-même annonce comme conséquence de ce choix le rejet supplémentaire de gaz à effet de serre de l'ordre de 300 000 tonnes équivalent CO² par an.
Elle fait remarquer que cet abandon de la politique de volume est en contradiction avec les projets des opérateurs ferroviaires européens qui dans onze pays vont miser sur ce modèle de développement du wagon isolé. Elle souligne qu'un site comme celui de Saint-Pierre-des-Corps doit être maintenu pour répondre aux besoins locaux des entreprises comme celles-ci l'ont fait savoir.
Elle lui demande de revoir d'urgence le plan fret SNCF et propose un moratoire immédiat sur la partie « wagon isolé ».
Mme Marie-France Beaufils. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a trois ans, j'interrogeais ici même M. Bussereau, à qui s'adresse également cette nouvelle question, sur la fermeture de 262 gares. Je lui disais avoir rencontré des chargeurs inquiets et des salariés en colère. Trois ans après, malheureusement, ces sentiments n'ont fait que croître.
La situation du fret ferroviaire s'est effectivement fortement dégradée, et le secrétaire d'État chargé des transports en porte pour une part la responsabilité.
Comment comprendre l'objectif du Grenelle de porter à 25 % la part des modes non routiers et non aériens en 2022 alors que la politique gouvernementale engendre les effets inverses.
Ne vous apprêtez-vous pas, dans votre ministère, à autoriser les 44 tonnes routiers alors qu'un rapport de l'Assemblée nationale rappelait avec force qu'il fallait « faire échec à la généralisation des camions de très grande capacité en vue de préserver le wagon isolé ».
L'objectif du Grenelle me semble très éloigné des réalités d'aujourd'hui. Entre 2004 et 2008, vous avez mis 1,5 million de camions sur les routes. L'abandon des dessertes locales va y mettre 1,2 million de camions supplémentaires.
Le rapport que j'ai cité précédemment souligne que la réalisation de l'objectif du Grenelle supposerait une augmentation des trafics de 45 %. Or votre politique va totalement en sens inverse, puisqu'elle réduit les volumes transportés, en baisse de 6 % depuis 2002, toutes entreprises ferroviaires confondues. Cela démontre d'ailleurs que le choix de l'ouverture à la concurrence est un échec.
En 2009, M. Bussereau déclarait « On ne demande pas à la SNCF d'abandonner le wagon isolé mais on ne le subventionne pas ; on attend les propositions de la SNCF ». Pourtant, la SNCF est toujours une entreprise publique, l'État en est toujours l'actionnaire principal et peut donc peser sur ses choix.
Le nouveau plan fret de la SNCF, intitulé « schéma directeur pour un nouveau transport écologique de marchandises », n'a d'écologique que son titre. Trois cent cinquante personnalités viennent de le dire. Ce plan confirme l'abandon de 60 % du transport par wagon isolé.
Les conséquences environnementales et sociales, avec la suppression de 8 000 emplois, seraient catastrophiques.
L'étude, tenue secrète, réalisée en septembre 2009 par le cabinet Carbone 4 et présentée au Comité stratégique fret de la SNCF le 15 janvier 2010 seulement, montre que cet abandon va provoquer des rejets supplémentaires de gaz à effet de serre de l'ordre de 300 000 tonnes d'équivalent CO2 par an. Où sont donc, madame la secrétaire d'État, les engagements du Grenelle de l'environnement ?
Les syndicats, les associations de défense de l'environnement, les associations d'usagers, les industriels, les chargeurs sont vent debout contre votre décision de supprimer le wagon isolé. Vous voulez leur faire croire qu'elle serait prise pour des raisons essentiellement financières. Le wagon isolé coûterait trop cher.
Mais alors pourquoi sept grands opérateurs ferroviaires européens, dans un projet nommé X-Rail, dans onze grands pays européens, ont-ils choisi d'unir leurs efforts pour relever le défi de la lutte contre le changement climatique et celui de l'aménagement du territoire ? Pourquoi la SNCF s'est-elle retirée de ce projet ?
L'étude du cabinet Carbone 4 suggère de « maintenir un portefeuille large d'offres de fret » et de « garder la messagerie et bénéficier d'une spécificité française du réseau maillé fin ».
Vous avez, au contraire, décidé de réduire les volumes de façon drastique, alors qu'il faudrait, par une politique commerciale dynamique, relancer l'activité. La politique de réduction des volumes menée aujourd'hui dégrade les comptes de ce secteur et le fragilise toujours plus.
En proposant de réduire l'offre de fret, vous allez à l'encontre des intérêts écologiques de notre planète, des intérêts des chargeurs, des intérêts des salariés et des intérêts de l'entreprise.
Dans la réponse à ma précédente question sur le fret, M. Bussereau faisait les louanges des opérateurs ferroviaires de proximité, que vous avez évoqués voilà quelques instants, madame la secrétaire d'État, lors de votre réponse à une autre question orale. Il déclarait, en particulier : « Je suis donc favorable à la création d'opérateurs ferroviaires de proximité, comme celui que vous avez mis en place dans la région Centre ».
Au bout du compte, quel échec puisque l'opération Proxirail n'a jamais vu le jour ! M. Bussereau m'avait pourtant invitée à m'engager aussi dans ce sens, en disant : « Il n'y a pas de raison que ne soit pas mis en place un tel opérateur local sur un site de fret ferroviaire historiquement aussi important que celui de Saint-Pierre-des-Corps ».
À ma connaissance, à ce jour, un seul opérateur ferroviaire aurait été mis en place et ferait circuler des trains de marchandises depuis le 27 juillet 2010 : il s'agit du train touristique du Pays cathare et du Fenouillèdes. Sérieusement, nous sommes loin des annonces faites, et ce n'est pas à la hauteur des besoins.
Je suis, quant à moi, convaincue que le fret ferroviaire doit rester dans le giron public et que la SNCF a les capacités pour gérer ce secteur.
Je vous demande donc, madame la secrétaire d'État, de rouvrir le site de Saint-Pierre-des-Corps en le modernisant, de revoir de fond en comble avec la SNCF le plan fret et je vous propose qu'un moratoire immédiat soit décidé pour le « wagon isolé ».
Et je ne me trompe pas d'interlocuteur en m'adressant au Gouvernement, puisque les investissements nécessaires à cette relance nécessitent son accord et pourraient être accélérés si, de plus, ils bénéficiaient d'aides financières de l'État.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Madame la sénatrice, lors du Grenelle de l'environnement, vous l'avez rappelé, le Gouvernement s'est engagé à porter la part des modes de transports alternatifs à la route de 14 % à 25 % à l'horizon 2022.
Dans ce cadre, Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau ont présenté, le 16 septembre 2009, le plan d'engagement national pour le fret ferroviaire. Ce programme montre la volonté et l'ambition de l'État de donner un nouveau souffle au fret ferroviaire et permettra, à terme, d'éviter l'émission de plus de deux millions de tonnes de CO2 sur notre territoire.
Cet engagement national porte sur un investissement global en faveur du fret ferroviaire de plus de 7 milliards d'euros d'ici à 2020, auxquels s'ajoutera 1 milliard d'euros investis par la SNCF au service du même objectif.
En effet, le Gouvernement a demandé à la SNCF de s'engager résolument dans le développement du fret ferroviaire et d'investir dans les solutions innovantes de transport de marchandises. Il s'agit, en particulier, du développement des autoroutes ferroviaires, du transport combiné, du fret à grande vitesse, des opérations de logistique urbaine et de favoriser l'émergence d'opérateurs ferroviaires de proximité, qui devront avoir la capacité d'offrir de nouvelles solutions adaptées au fret local.
En cohérence avec cet engagement national, la SNCF finalise actuellement son projet de schéma directeur industriel et managérial pour un nouveau transport ferroviaire écologique de marchandises. Les grandes lignes de ce schéma directeur ont été présentées en conseil d'administration de la SNCF en septembre 2009. Les études de production se sont poursuivies au cours du premier semestre 2010.
Concernant l'activité « wagons isolés », ce schéma s'appuiera sur une organisation de transport qui comportera, d'une part, des services sur mesure pour les produits industriels lourds, encombrants et dangereux et, d'autre part, des trains composés de wagons « multi-lots multi-clients ». Dans ce cadre, les clients grands comptes dans un premier temps, puis les PME-PMI dans un second temps, ont été rencontrés afin de préciser leurs besoins.
Les plates-formes de réception des trains multi-lots multi-clients seront principalement approvisionnées par le mode ferroviaire. Les décisions concernant leur localisation seront arrêtées à l'issue de la concertation en cours.
En effet, tout en prenant en compte des considérations d'ordre économique et social, ce réseau de plates-formes sera principalement défini en fonction des besoins exprimés par les chargeurs, clients actuels ou potentiels de fret SNCF. Cette adaptation sera progressive sur une période de deux ans. Enfin, pour les clients qui ne peuvent pas intégrer les « multi-lots multi-clients », des services dédiés ont été proposés.
Le Gouvernement est également très vigilant sur la dimension territoriale des réformes envisagées par la SNCF, qui doivent prendre en compte un objectif de desserte du territoire correspondant aux besoins économiques et écologiques de notre pays.
La SNCF s'est ainsi engagée à mettre en place, en concertation avec les acteurs économiques et politiques locaux, des dispositifs d'accompagnement de son schéma directeur pour le transport de marchandises au service des territoires, dont Saint-Pierre-des-Corps qui est une plaque tournante importante.
La Délégation à l'aménagement des territoires ferroviaires, la DATF, créée au sein de la SNCF en fin d'année 2009, a pour mission d'organiser les échanges avec les acteurs économiques, politiques et institutionnels locaux en vue de répondre à cet objectif. Dans chaque région, elle est représentée par un délégué régional qui est l'interlocuteur privilégié pour mettre au point les différents axes de développement ferroviaire pouvant être mis en œuvre.
Tels sont, madame la sénatrice, les éléments que Dominique Bussereau m'a demandé de vous communiquer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. J'ai entendu les annonces dont Mme la secrétaire d'État vient de me faire part, en remplacement de M. Bussereau.
Je serai très attentive à ce que, sur le terrain, les échanges avec la délégation régionale à l'aménagement des territoires ferroviaires puissent se faire et que l'on entende véritablement nos soucis.
Nous avons en effet un certain nombre d'interrogations.
Ainsi, ces derniers jours, la direction de Primagaz et moi-même avons fait état auprès de la directrice régionale de la SNCF du souci auquel est confrontée actuellement cette entreprise, à Saint-Cyr-en-Val, dans l'arrondissement d'Orléans, s'agissant du transport d'une matière dangereuse, le gaz, qui est assuré sans sécurité.
Nos préoccupations concernent des réalités très concrètes, mais les réponses qui nous sont données aujourd'hui ne sont pas sécurisées quant à l'avenir. Voilà six ans, nous avions déjà rencontré de très grandes difficultés pour permettre d'inscrire la démarche de transport des entreprises dans une vision à plus long terme. On ne peut en effet tabler uniquement sur le court terme lorsque des entreprises de ce type sont installées.
Dans la région Centre, un certain nombre de secteurs d'activité continuent à être embranchés au secteur ferroviaire, sans avoir pour le moment de réponses sécurisées.
J'ai bien entendu l'idée de wagons « multi-lots ». Une telle formule apportera-t-elle véritablement une réponse ? Je n'en suis pas encore complètement convaincue, compte tenu de ce que j'ai pu observer.
Autre point d'interrogation, que vous pourrez peut-être relayer auprès de M. Bussereau : je n'ai toujours pas de réponse au sujet des motivations qui ont conduit la SNCF à abandonner le travail qui a été mené à l'échelon européen s'agissant de l'initiative X-Rail. J'avoue que je ne comprends pas cette décision.
Aujourd'hui, l'Allemagne, qui a persévéré dans cette démarche, est en train de relancer ce transport par wagon isolé, qui répond véritablement à un besoin. Le développement de ce mode de transport commence à se faire sentir dans les résultats du fret outre-Rhin. Par conséquent, je souhaite vivement avoir une réponse sur ce point, madame la secrétaire d'État.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
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