Mme Claudine Lepage appelle l'attention de Mme la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les cas de harcèlement moral dans la fonction publique, et plus particulièrement chez les fonctionnaires français à l'étranger.
En France, plus de 50 % des plaintes pour harcèlement moral sont issues de la fonction publique. Dans une réponse à la question écrite du Sénateur Alain Gournac, le secrétaire d'État à la fonction publique précise : « l'octroi de la protection (d'un fonctionnaire) entraîne l'obligation par l'administration, dès qu'elle a connaissance des faits de harcèlement, de mettre en œuvre, sans délai, tous les moyens de nature à faire cesser ces agissements. Dans ces conditions, il lui appartient d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'auteur du harcèlement, de l'éloigner de l'agent victime, et de rétablir l'agent dans ses droits ».
Mais qu'en est-il pour le fonctionnaire en poste à l'étranger ? Ces Français ne sont pas à l'abri du harcèlement moral. Parfois, les conséquences sont gravissimes, et plusieurs suicides ou des tentatives de suicide ont été constatés à travers le monde. Ces problèmes se révèlent d'autant plus aigus à l'étranger du fait de l'éloignement géographique de l'administration de rattachement, de l'isolement des petits postes d'une dizaine d'agents et parfois du stress généré par un pays hostile, où règne l'insécurité. Par ailleurs, quand les suppressions de postes, comme c'est le cas actuellement du fait des restrictions budgétaires, sont une menace qui guette chacun, la propension au conflit augmente.
Dans ces conditions, elle lui demande quelle aide peut recevoir, en cas de mal être au travail, de souffrance, de harcèlement moral, un agent en poste à l'étranger. Elle sollicite son avis sur la création d'un bureau apte à répondre aux plaintes venues de tous les pays. L'intérêt de ce bureau de la médiation, outre qu'il permettrait de recouper des témoignages et d'éviter à l'avenir la répétition d'un comportement de type harceleur chez un individu, offrirait aussi la possibilité de régler des conflits avant qu'ils n'atteignent une dimension juridique. Pour assurer une « neutralité » salutaire à ce bureau, il pourrait rendre compte non pas à la DRH mais directement à la DGA et pourrait agir pour apaiser les conflits par le dialogue, le conseil, la médiation, mettre en contact les interlocuteurs si nécessaire, orienter vers un psychologue, voire vers un syndicat qui pourra aider à entreprendre une action devant la justice pour les cas extrêmes.
Aussi elle lui demande son avis sur la création d'un tel bureau de la médiation dédié à la résolution des conflits et qui œuvrerait pour la prévention des cas de harcèlement.
Mme Claudine Lepage. Depuis quelques années, les cas de harcèlement moral, qui se multiplient, sont dénoncés. Sont-ils les symptômes d'une époque, d'un malaise individuel ou général ? Les analyses divergent sur l'interprétation de cette forme inédite de violence.
Pour ma part, je remarque que plus de 50 % des plaintes pour harcèlement moral sont déposées par des membres de la fonction publique.
Dans une décision rendue le 12 mars dernier, le Conseil d'État a reconnu à une fonctionnaire victime de harcèlement moral le bénéfice de la protection fonctionnelle instituée par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Cette décision confirme la réponse ministérielle apportée, en juillet 2008, à une question écrite du sénateur Alain Gournac : « L'octroi de [cette] protection entraîne l'obligation pour l'administration, dès qu'elle a connaissance des faits de harcèlement, de mettre en œuvre, sans délai, tous les moyens de nature à faire cesser ces agissements. Dans ces conditions, il lui appartient d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'auteur du harcèlement, de l'éloigner de l'agent victime et de rétablir l'agent dans ses droits […]. »
Mais qu'en est-il pour le fonctionnaire en poste à l'étranger ?
Des informations ou des témoignages que j'ai pu recueillir lors de mes visites aux communautés françaises de l'étranger montrent que celles-ci ne sont pas exemptes de cas de harcèlement moral. Pourquoi le seraient-elles, d'ailleurs ? Parfois, les conséquences sont gravissimes. Plusieurs suicides ou tentatives de suicide ont été constatés à travers le monde.
Nous nous devons de prendre conscience du handicap supplémentaire des agents en poste à l'étranger, à savoir leur éloignement géographique de la France – donc de leur administration de rattachement –, mais aussi, pour les petits postes d'une dizaine d'agents, l'isolement social et l'impression qu'ont les fonctionnaires de vivre en vase clos, loin de leurs familles et de leurs amis. Quand, en outre, ils résident dans un pays hostile, où règne l'insécurité, cela ne fait qu'ajouter à leur stress.
Les conflits entre agents ont toujours existé – on ne les a pas créés avec la révision générale des politiques publiques –, mais quand les suppressions de postes pleuvent, quand elles constituent une menace guettant chacun, la propension à l'affrontement augmente.
Dans ces conditions, quelle aide recevoir en cas de mal-être au travail, de souffrance, de harcèlement moral ?
Les différents cas de harcèlement moral constatés me semblent donc justifier la création d'un bureau de la médiation apte à répondre aux plaintes venues de tous les pays.
Ce bureau qui, dans une exigence de neutralité, rendrait compte, au sein du ministère, à la direction générale de l'administration – la DGA –, et non à la direction des ressources humaines, pourrait agir pour apaiser les conflits par le dialogue, le conseil, la médiation. Il pourrait mettre en contact les interlocuteurs, ou proposer une orientation vers un psychologue, voire vers un syndicat, apte à apporter son aide dans le cadre d'une action en justice, si celle-ci se révèle nécessaire.
Que pensez-vous, monsieur le ministre, de la création d'un tel bureau de la médiation, destiné tant à la résolution des conflits, quels qu'ils soient, qu'à la prévention du harcèlement – ce dernier débute souvent par une série de conflits qui ne se règlent pas et s'enveniment – et permettant aux protagonistes de retrouver un quotidien serein ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Permettez-moi tout d'abord, madame la sénatrice, de vous remercier d'avoir posé cette question, qui aborde un sujet très important : les cas de harcèlement moral dans la fonction publique, plus particulièrement chez les fonctionnaires français à l'étranger.
Michèle Alliot-Marie, qui n'a pu être présente ce matin du fait d'un déplacement – je vous prie d'excuser son absence –, attache une très grande importance à la gestion des ressources humaines de son ministère, l'expatriation répétée des agents, comme vous l'avez indiqué, pouvant conduire à des situations humaines douloureuses.
Dans les situations décrites sous le terme générique de harcèlement moral, on peut effectivement trouver d'autres composantes – problèmes liés au stress, à la vie familiale, à la gestion des déplacements, aux difficultés à assurer au mieux ses missions dans un contexte évolutif. Ces difficultés peuvent être exacerbées dans une situation d'expatriation, la transplantation dans un nouveau pays ou une nouvelle culture venant s'ajouter au choc du nouveau poste.
Nos équipes de gestion des ressources humaines ont donc développé des outils particulièrement innovants, qui constituent l'une des particularités du ministère des affaires étrangères et européennes.
Tout d'abord, pour repérer les problèmes, il faut les connaître ! Une politique de prévention a été développée, reposant sur la formation des agents : gestion d'équipe, traitement du stress, préparation spécifique au départ dans les postes. Ces dispositifs, reliés à une évaluation « à 360 degrés » que le ministère des affaires étrangères et européennes est le seul à mettre en œuvre au sein de la fonction publique, sont autant d'outils visant à prévenir les situations problématiques, plutôt qu'à les corriger a posteriori.
En outre, lorsqu'une situation paraît préoccupante, l'inspection générale, qui dépend directement du ministre, dépêche une mission sur place. Nous nous appuyons également sur le travail d'un psychologue, rattaché à la direction des ressources humaines, qui se tient à l'écoute des agents et n'hésite pas à effectuer des missions sur le terrain.
Bien évidemment, si un comportement inacceptable est avéré, le ministère engage une procédure disciplinaire à l'encontre de l'agent fautif et l'autorité disciplinaire peut être amenée à prononcer une sanction. Je précise d'ailleurs que Michèle Alliot-Marie n'hésitera pas à intervenir dans des cas où le comportement fautif est constitutif d'un délit – c'est le cas du harcèlement moral –, le parquet pouvant même être saisi.
Enfin, un cadre a été mis en place pour le dialogue social dans les postes à l'étranger, en accord avec les organisations syndicales.
Quoi qu'il en soit, madame la sénatrice, vous avez raison : même si les situations de harcèlement moral restent – heureusement – très exceptionnelles, elles ne doivent pas être sous-estimées et méritent toutes une réponse. Dans ce domaine, c'est la tolérance zéro qui doit prévaloir !
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Les cas que nous évoquons ici, monsieur le ministre, sont effectivement très sensibles et difficiles à régler.
Parfois, pour les victimes, le plus grand ennemi est le silence. En effet, toutes n'ont pas d'interlocuteur. Voilà pourquoi l'idée d'un bureau de la médiation prenait, dans le contexte de l'expatriation, toute son importance.
Outre la question de la neutralité, indispensable aux victimes, il faut noter que les cas de harcèlement se multiplient parfois dans un même poste, provoquant une réaction en chaîne et une succession d'arrêts de travail, sans que l'administration réagisse, parce que, peut-être, elle n'est pas immédiatement consciente de ce qui se passe.
Par exemple, je suis le dossier d'un agent qui, plusieurs mois après l'arrêt sans motif de son contrat, à un mois de sa titularisation, n'a toujours pas obtenu réparation du préjudice subi. Dans un autre pays, le responsable harceleur a été rappelé à Paris huit mois après les faits…
Cela dit, monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je suis certaine que le ministère des affaires étrangères et européennes sera attentif à toutes ces situations douloureuses.
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