Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous estimiez que, dans notre démocratie, la reconnaissance des talents et des mérites ne devrait pas dépendre de l'hérédité sociale et des hasards de la naissance. Et pourtant, depuis le début de la massification scolaire, qui a ouvert au plus grand nombre l'accès aux études longues, jamais notre école n'a été aussi inégalitaire.
Ainsi, les statistiques des services de votre ministère indiquent que 79 % des élèves provenant de catégories sociales favorisées obtiennent un bac général, contre seulement 18 % des élèves issus de milieux défavorisés.
M. Roland Courteau. Voilà ! Les chiffres parlent !
Mme Jacqueline Gourault. Par ailleurs, 55 % des bacheliers qui entrent dans les classes préparatoires aux grandes écoles ont un père cadre, chef d'entreprise, professeur ou membre d'une profession libérale, et 5 % seulement un père ouvrier.
L'inégalité sociale réside aussi dans le fait que des milliers d'enfants ne possèdent pas les éléments fondamentaux du savoir : la lecture, l'écriture et le calcul. Vous le savez, monsieur le ministre, le nombre d'élèves faibles dans ces matières de base a augmenté de façon spectaculaire d'une étude PISA à l'autre, notamment au sein des milieux les plus défavorisés socialement. Nous courons vers une école à deux vitesses !
M. Roland Courteau. On y est déjà !
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, je suis de ceux qui pensent que les paramètres fondamentaux sont le nombre d'enseignants et leur formation.
(Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Il ne s'agit pas de vous accuser de quoi que ce soit, monsieur le ministre : chaque gouvernement a sa responsabilité, mais je m'interroge sur la suppression de postes d'enseignant à la rentrée et sur celle de la formation des maîtres, même si le Président de la République a dit qu'il allait rouvrir ce dernier chantier.
(Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Luc Fichet. Il en dit, des choses !
Mme Jacqueline Gourault. Ce chantier, il aurait mieux fait de ne pas le fermer !
(Nouvelles marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, quand allez-vous nous présenter des objectifs précis et simples, fixés en concertation avec les acteurs de l'éducation nationale, pour préparer l'école de demain ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Luc Chatel, ministre. Madame le sénateur, vous avez raison de vous indigner contre l'importance du nombre des élèves qui quittent le système éducatif sans qualification, qui maîtrisent mal les savoirs fondamentaux. Je me permets toutefois d'attirer l'attention de la Haute Assemblée sur le fait que ce nombre n'a jamais été aussi peu élevé dans notre pays.
(Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Yannick Bodin. Depuis Charlemagne ?
M. Luc Chatel, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, quelle était la situation de notre système éducatif avant le collège unique, avant la création par Jean-Pierre Chevènement des bacs professionnels, cette grande avancée qui a permis de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes grâce à l'éducation nationale ? Il faut aussi considérer les résultats sur la longue durée !
Madame Gourault, vous avez certes raison de vous élever contre le fait que 20 % d'élèves maîtrisent insuffisamment les fondamentaux en sortant du primaire. Ce pourcentage est trop important, et nous devons nous mobiliser pour remédier à cette situation. Or c'est précisément ce que nous avons fait : j'ai décidé de mettre en place un plan de lutte contre l'illettrisme s'appuyant sur l'étude du vocabulaire et l'apprentissage par cœur, dès la classe de maternelle.
En effet, la véritable inégalité sociale tient au fait qu'un élève issu d'un milieu favorisé maîtrise entre 600 et 700 mots en entrant au cours préparatoire, contre 150 ou 200 seulement pour un élève venant d'un milieu défavorisé. On sait bien que ce second élève a beaucoup moins de chances d'apprendre à lire correctement que le premier.
Le rôle de l'école est d'inverser cette tendance en se mobilisant, dès la classe de maternelle, pour lutter contre l'illettrisme. C'est cette mobilisation que nous avons engagée.
Enfin, madame le sénateur, je tiens à vous rassurer à propos du nombre des professeurs : à la rentrée de 2011, notre système éducatif comptera plus d'enseignants qu'au début des années quatre-vingt-dix, alors que les élèves sont moins nombreux !
(Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour la réplique.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, nous ne disposons manifestement pas des mêmes statistiques, mais ce n'est pas grave…
Monsieur le ministre, ne prenez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire et ne considérez pas qu'il s'agit d'une attaque personnelle.
M. Ivan Renar. Si !
Mme Jacqueline Gourault. Voilà quelques semaines, vous avez évoqué l'apprentissage de l'anglais dès l'âge de 3 ans et l'enseignement des sciences physiques, de la chimie, des sciences de la vie et de la technologie par un enseignant unique. Pourquoi pas, mais il s'agit presque de niches ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Or, ce que les Français attendent, c'est que leurs enfants réussissent à l'école de la République, comme c'était le cas sous les iii e et ive Républiques.
M. Luc Chatel, ministre. Mais avec combien d'élèves ?
Mme Jacqueline Gourault. Pourquoi ne serions-nous pas capables d'atteindre un tel résultat aujourd'hui, afin que la France puisse être, dans l'avenir, un pays en pointe en matière de recherche, grâce à des têtes bien faites et bien pleines ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
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