M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, aujourd'hui, de Tunis au Caire, de Misrata à Sanaa, des peuples, au prix d'un lourd tribut, écrivent une nouvelle page de leur histoire.
Le profond changement de donne consécutif aux événements du printemps arabe appelle de la part de notre pays une redéfinition de sa politique envers les États concernés, tout en se gardant de comparaisons par trop simplificatrices quant aux situations vécues par chacun d'entre eux.
Évitons également l'écueil qui consisterait à nous positionner en vieille puissance moralisatrice, forte d'une révolution démocratique vieille de plus de deux cents ans.
L'heure est grave, en particulier en Libye. En tant que président du groupe d'amitié France-Libye du Sénat, je me suis exprimé le 21 février dernier, dès les premiers morts connus dans le pays. Deux mois plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies, aux termes de la résolution 1973 – adoptée grâce à votre détermination et votre savoir-faire, monsieur le ministre d'État – donnait tous les moyens, y compris militaires, à la communauté internationale pour protéger les populations civiles libyennes.
Permettez-moi de saluer ici l'action conduite sur l'initiative du Président de la République, qui a su appeler chacun à ses responsabilités, mobiliser et fédérer nos partenaires européens et les responsables de la Ligue arabe. L'organisation du sommet pour le soutien au peuple libyen, à Paris, le 19 mars en témoigne.
Combien de morts devrions-nous déplorer aujourd'hui si nous n'étions pas intervenus ? Certains craignent l'enlisement, un autre Irak, un nouvel Afghanistan ! En tout état de cause, le chemin sera long et difficile. Comme l'a déclaré Moustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition, « la liberté a encore besoin de temps pour l'emporter ».
Monsieur le ministre d'État, pouvez-vous esquisser les contours de la future politique de la France, non seulement envers le Conseil national de transition, mais également sur le plan des échanges, de l'aide et de l'accompagnement du peuple libyen vers la démocratie, aspiration profonde, symboliquement illustrée par l'appel, ce dimanche, des soixante et une tribus à l'unité, acte historique pour ce pays.
M. Alain Juppé, ministre d'État. Monsieur le sénateur, reportons-nous quelques semaines en arrière, rappelons-nous que, si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, le colonel Kadhafi ayant annoncé son intention de s'emparer de Benghazi et de se venger sur les populations civiles, nous risquions d'assister à un massacre, de devoir déplorer plusieurs milliers de morts. Je pense donc que nous avons fait notre devoir.
Aujourd'hui, le colonel Kadhafi continue d'utiliser des armes lourdes contre sa population. Il est manifestement discrédité sur la scène internationale. Cela fait l'objet d'un large consensus aux États-Unis comme au sein de l'Union européenne, de la Ligue arabe et d'une grande partie des pays de l'Union africaine.
Pour arriver au résultat, qui est de permettre à la population libyenne d'affirmer ses droits et de mettre en œuvre une véritable démocratie dans une Libye nouvelle, nous agissons d'abord par la pression militaire.
Nous avons décidé de continuer – parce que c'est, hélas ! le seul langage que comprend Kadhafi –, avec l'intensification des frappes aériennes, dans le souci de respecter le cadre de la résolution 1973 et donc de ne frapper que des cibles militaires comme cela a été le cas lors de la dernière frappe sur Tripoli.
Nous accentuons aussi la mise en œuvre des sanctions, mais nous sommes bien conscients que, au-delà de l'intervention militaire, seule la solution politique permettra de déboucher sur une issue durable.
C'est la raison pour laquelle nous travaillons à un cessez-le-feu qui en soit un, et surtout à la recherche d'un dialogue politique entre les différents acteurs : d'abord le Conseil national de transition, que nous essayons de renforcer, mais aussi d'autres acteurs, en particulier ceux qui, à Tripoli, auront compris qu'il n'y a d'avenir ni pour eux ni pour la Libye en restant solidaires de Kadhafi.
Tel sera l'objet de la réunion du prochain groupe de contact qui se tiendra à Rome jeudi prochain. Nous allons en particulier travailler à un mécanisme financier qui permette d'aider le Conseil national de transition, mais aussi d'ouvrir la voie à ce grand dialogue national afin, je l'espère, de parvenir à une solution politique démocratique.
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour la réplique.
M. André Trillard. Monsieur le ministre d'État, je rappelle que ce mouvement pour la liberté a ébranlé nos certitudes selon lesquelles les régimes autoritaires étaient un mal inévitable pour contrer la montée de l'islamisme.
Sachons qu'il existe d'autres voies qu'un choix binaire entre un « tyran laïc, pare-feu des extrémistes », et « une république islamique ». La relation de confiance qui s'instaurera entre la France et les pays en marche vers la liberté dépendra largement de notre capacité à comprendre les formes que prendra ce cheminement, à les accepter et à leur témoigner notre intérêt en soutenant ce mouvement qui me paraît ô combien profitable pour tous.
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