Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le 19 octobre 1961, ici même, le sénateur de la Seine Jacques Duclos interrogeait Roger Frey, ministre de l'intérieur, sur la journée tragique du mardi 17 octobre précédent.
Ce jour-là, des milliers d'Algériens, ouvriers dans les usines de la région parisienne, vivant pour beaucoup d'entre eux dans le bidonville de Nanterre, sont venus à Paris manifester sur les grands boulevards contre le couvre-feu discriminatoire décrété à l'encontre des Français musulmans par le préfet Papon.
M. Roland Courteau. Scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette manifestation pacifique a été réprimée avec une violence inouïe : des morts sur les trottoirs, des corps dans la Seine, des disparus, des inhumations anonymes au cimetière de Thiais. Voici le bilan officiel : « 11 500 arrestations, 2 morts, 8 blessés par balle. La police a fait son travail. »
M. Roland Courteau. C'est un scandale !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant, les témoignages, nombreux, de policiers, de journalistes, de photographes présents sur les lieux le 17 octobre amènent à estimer le nombre des victimes à plus de 200.
La vérité a fait son chemin ; nous la devons à Jacques Panijel, à Patrick Rotman et Alain Tasma, à Didier Daeninckx, à Jean-Luc Einaudi, à Yasmina Adi.
Toutefois, le travail de mémoire a été entravé. Deux conservateurs des archives de Paris ont été sanctionnés pour avoir témoigné au procès en diffamation intenté par Papon contre Jean-Luc Einaudi en 1999. Pourtant, Papon a perdu ce procès, premier pas vers la reconnaissance du crime du 17 octobre 1961.
Lundi dernier, des milliers de personnes, témoins survivants des événements, enfants, petits-enfants, jeunes d'aujourd'hui, ont défilé à Paris sur les grands boulevards, jusqu'à la plaque apposée par le maire de Paris sur le pont Saint-Michel, pour demander que soient enfin officiellement reconnus les massacres du 17 octobre 1961 et des jours suivants.
Mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, cinquante ans après, les hautes autorités de notre pays doivent une parole de vérité aux peuples français et algérien.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le crime commis doit être reconnu et les responsabilités établies. Les archives de l'État doivent être soumises aux règles communes et ouvertes, afin de permettre l'établissement des faits ; la recherche doit être encouragée dans un cadre franco-algérien. Les familles ont droit à la vérité !
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Une autre question sur ce même thème devant être posée tout à l'heure, ma réponse s'articulera selon deux parties.
Madame la sénatrice, comme toutes les grandes questions historiques, la question que vous soulevez touche très profondément chacun de nos compatriotes. Permettez-moi, à ce titre, de commencer mon propos en évoquant un souvenir personnel.
À 13 ans, au seuil de l'adolescence, j'ai joué dans un film au côté d'une jeune comédienne dont je suis tombé éperdument amoureux. À l'issue du tournage, le visage de cette femme absolument exquise, aux qualités humaines et intellectuelles remarquables, est apparu en première page de France-Soir : elle venait d'être arrêtée, pour avoir été à la tête d'un réseau de porteurs de valises. Pour l'enfant de 13 ans que j'étais, ce fut un grand choc, suivi quelques mois plus tard par celui des événements du 17 octobre 1961.
Ce fut l'une des innombrables meurtrissures provoquées par la guerre d'Algérie. Dans cet hémicycle, chacun d'entre nous, à un moment ou à un autre, a été touché personnellement par cette période tragique et passionnelle de notre histoire.
Il est vrai que, durant des années, il a été difficile de savoir ce qui s'était exactement passé le 17 octobre 1961. Cela étant, madame la sénatrice, lorsqu'on voulait savoir, on le pouvait. Certes, tout le monde ne partageait pas cette volonté de savoir, mais on ne peut pas prétendre que, pendant toutes ces années, il a été impossible de consulter des documents. Personnellement, j'ai toujours su ce qui s'était passé le 17 octobre 1961, parce que ce sujet m'intéressait particulièrement.
Cinquante ans après, toutes les archives sont ouvertes et peuvent être consultées. Les dispositions réglementaires nécessaires ont été prises et, désormais, le devoir de mémoire peut s'effectuer.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
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