Mme Catherine Procaccia attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sur l'incohérence des récentes mesures réglementaires concernant les piétons et cyclistes alors que la présentation « d'un plan de lutte contre l'insécurité routière » par le durcissement de la répression vient d'être annoncée.
Le décret n° 2010-1390 du 12 novembre 2010 qui vise à favoriser la coexistence des différents usagers de la rue, introduit des dispositions relatives à la traversée des piétons ainsi que la mise en place par les collectivités locales du « tourne-à-droite » aux feux tricolores pour les cyclistes. Alors que l'article R. 412-37 du code de la route tient compte de la visibilité, de la distance et de la vitesse des véhicules pour la traversée de la chaussée des piétons, ce décret précise que le conducteur d'un véhicule doit désormais « céder le passage, au besoin en s'arrêtant, au piéton s'engageant régulièrement dans la traversée d'une chaussée ou manifestant clairement l'intention de le faire ».
Le triste constat de désordre et de peu de respect du code de la route n'étant plus à démontrer : traversée hors des passages protégés sans se soucier ni de la signalisation des feux ou de la circulation, elle craint que ce décret n'intensifie la déresponsabilisation et discrédite la pédagogie de prévention ; en particulier à l'égard des enfants qui verront leurs parents ne pas emprunter les passages piétons situés à plus de 50 mètres. Par quel moyen faire apprécier et contrôler cette distance afin d'éviter des contestations de la part de piétons et d'automobilistes mais aussi la mise en jeu de leur responsabilité ? Les mairies devront-elles munir leurs agents d'instruments de mesure ou même effectuer des marquages au sol délimitant cette distance ?
Elle souhaite voir lever l'imprécision de la notion consistant à « manifester de façon claire l'intention de traverser » et requiert une signification claire de celle-ci. Elle attire aussi l'attention du ministre sur l'inadaptation de ces dispositions dans les quartiers où les piétons sont très nombreux et traversent déjà actuellement en forçant la circulation. Elle craint que la marge d'interprétation de ce texte engendre davantage d'abus de la part des piétons et occasionne de graves accidents.
Enfin, s'agissant des tourne-à-droite cyclistes aux feux tricolores, qu'en est-il de leur matérialisation ? Le ministère a-t-il évalué le coût de cette transformation de la signalisation ? Sans compter qu'en cas d'accident, la responsabilité du maire risque fort d'être engagée et mise en cause par les accidentés.
Elle s'étonne de cet assouplissement qui va à l'encontre des actions de prévention ainsi que de la faiblesse de l'amende symbolique de quatre euros pour les piétons qui n'est ni dissuasive, ni applicable compte tenu du coût de recouvrement. Les usagers vulnérables paient lourdement le tribut de l'insécurité routière mais le partage de l'espace public entre toutes les catégories d'usagers nécessite un comportement adéquat de chacun.
C'est la raison pour laquelle elle aimerait vivement connaître les raisons objectives qui ont conduit à cet assouplissement et si une évaluation est prévue sur quelles bases elle sera effectuée.
Mme Catherine Procaccia. Je souhaite interroger le Gouvernement sur de récentes dispositions réglementaires relatives au code de la route ou, plutôt, au « code de la rue ».
Le ministère de l'intérieur a récemment présenté un plan de lutte contre l'insécurité routière prévoyant un durcissement de la répression. Or les dispositions qui figurent dans le décret du 12 novembre 2010 portant diverses mesures de sécurité routière vont, me semble-t-il, à l'encontre de ce plan.
Loin de favoriser la coexistence des différents usagers de la rue, ce décret, faisant fi des notions de visibilité, de distance et de vitesse des véhicules qui existaient jusqu'à présent, sera source de conflits et d'accidents. Il y est notamment indiqué que l'automobiliste doit « céder le passage, au besoin en s'arrêtant, au piéton s'engageant régulièrement dans la traversée d'une chaussée ou manifestant clairement l'intention de le faire ».
Cette disposition ne manquera pas de déresponsabiliser davantage les piétons, qui traversent déjà n'importe comment. Surtout, elle va à l'encontre de la pédagogie de prévention à l'égard des enfants, qui verront leurs parents traverser là où ils en ont envie.
Par quels moyens la distance de cinquante mètres prévue dans ce décret sera-t-elle contrôlée ? Il faudra bien éviter des contestations en cas d'accident. À cet effet, les mairies devront-elles munir leurs agents d'instruments de mesure ou même effectuer des marquages au sol délimitant les cinquante mètres par rapport à un passage protégé ?
Le piéton doit-il descendre sur la chaussée, lever le doigt ou la main pour faire comprendre au conducteur d'un véhicule qu'il souhaite traverser ?
Madame la ministre, il est indispensable que vous clarifiiez les termes « manifester de façon claire l'intention de traverser ».
Et qu'en sera-t-il dans les quartiers où les piétons sont très nombreux, comme c'est le cas aux abords des gares, et traversent déjà actuellement en forçant la circulation ?
J'en viens maintenant au « tourne-à-droite » aux feux tricolores pour les cyclistes, que les maires pourront autoriser. Comment devront-ils être matérialisés : par une flèche verte avec le dessin d'un vélo ? Le coût de la transformation de la signalisation a-t-il été évalué ? A-t-on pris en compte le fait que, en cas d'accident, le cycliste et l'automobiliste impliqués risquent de mettre en cause le maire devant la juridiction compétente, parfois même au pénal ?
Je m'étonne d'un tel assouplissement, qui va à l'encontre des actions de prévention, ainsi que de la faiblesse de l'amende – son montant, de 4 euros, est symbolique –, qui n'est ni dissuasive ni applicable, compte tenu du coût du recouvrement.
Par conséquent, j'aimerais connaître les raisons objectives qui ont conduit à cet assouplissement. Par ailleurs, une évaluation est-elle prévue ? Si oui, sur quelles bases ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Madame la sénatrice, vous interrogez M. le ministre de l'intérieur, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence aujourd'hui, sur les modifications apportées au code de la route par le décret du 12 novembre 2010, lesquelles autoriseraient désormais le piéton, pour peu qu'il en manifeste l'intention, à traverser où et quand il veut, sans être soumis au respect d'une quelconque règle.
Je tiens à vous rassurer pleinement, madame la sénatrice : non seulement le piéton ne peut pas traverser n'importe où, ni comme il le veut, mais il doit traverser aux mêmes endroits et dans les mêmes conditions que celles auxquelles il était soumis avant l'entrée en vigueur de ce décret.
La règle des cinquante mètres n'est pas nouvelle. Elle figure depuis longtemps dans le code de la route. Les règles de traversée d'une chaussée s'appliquant aux piétons restent inchangées.
Le décret dispose que : « Tout conducteur est tenu de céder le passage, au besoin en s'arrêtant, au piéton s'engageant régulièrement dans la traversée d'une chaussée ou manifestant clairement l'intention de le faire ou circulant dans une aire piétonne ou une zone de rencontre. » Le terme « régulièrement » figurait déjà dans le code de la route. Cela signifie que cette priorité n'est pas absolue et que le piéton avait, et continue d'avoir, des obligations inscrites dans le code.
La modification introduite dans le code de la route sur ce sujet concerne avant tout le conducteur, qui voit le champ de ses obligations élargi. En effet, si auparavant le conducteur devait déjà céder le passage à un piéton engagé dans la traversée d'une chaussée, il doit désormais prendre en compte la situation du piéton qui attend sur le trottoir et qui a manifesté l'intention de traverser. C'est là un progrès qui renforce sa sécurité.
Le décret offre ainsi un « plus » pour la sécurité du piéton en déclinant le principe de prudence du plus fort par rapport au plus faible, introduit dans le code de la route en 2008, et qui impose à tout usager un devoir de prise en compte accrue des usagers plus vulnérables que lui.
De la même façon, le décret du 12 novembre 2010 n'autorise pas les cyclistes à tourner à droite aux feux rouges, toujours et en toutes circonstances. C'est le maire qui décidera des carrefours auxquels cette disposition pourra s'appliquer.
En outre, une signalisation spécifique, en cours de définition, doit être mise en place. Cette mesure fait suite à des expérimentations positives menées à Strasbourg et à Bordeaux sur des « tourne-à-droite » aux feux tricolores réservés aux cyclistes.
Le décret du 12 novembre 2010 tire donc les conséquences de cette expérimentation, qui n'a pas conduit à un accroissement du nombre d'accidents, et élargit le champ des possibilités offertes aux maires dans l'organisation des déplacements et de la circulation dans leurs communes.
Madame la sénatrice, j'espère que ces précisions vous auront rassurée quant à la volonté intacte du Gouvernement de poursuivre la prévention et la lutte contre l'insécurité routière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, votre réponse est rassurante. Elle témoigne de la volonté intacte du Gouvernement de poursuivre dans la voie de la prévention et de maintenir les règles de sécurité.
Toutefois, je déplore la communication faite sur ce décret, qui met en avant les nouveaux droits des piétons. Nous le savons tous, les piétons font dorénavant n'importe quoi, en particulier en ville. La publication d'un nouveau décret ne me paraît donc pas très utile, d'autant que le code de la route fournit déjà les indications nécessaires.
Par ailleurs, les dispositions introduites par le décret relèvent-elles bien du domaine réglementaire ? Ne sont-elles pas plutôt du domaine de la loi ?
Je regrette que le Gouvernement ait préféré durcir la répression à l'égard des automobilistes plutôt que de tirer les conséquences des dysfonctionnements concernant les piétons.
Enfin, il me semble quelque peu léger de vouloir étendre à l'ensemble de la France l'expérimentation du « tourne-à-droite » aux feux tricolores pour les cyclistes alors qu'elle n'a eu lieu que dans deux grandes villes. C'est d'autant plus dangereux que, nous le savons tous, l'accès au centre-ville de Strasbourg est depuis longtemps très restreint aux automobilistes.
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