M. Roland Ries appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur les problèmes relatifs à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale dans les cas de divorce dans les familles franco-allemandes.
Le droit allemand privilégie, en matière de conflit parental, le principe de « sauvegarde de l'enfant ». L'application de ce principe conduit au maintien de l'enfant dans le lieu où il a été socialisé et attribue systématiquement l'autorité parentale au parent allemand résidant sur le territoire national. Les parents non allemands se voient donc retirer leur droit de garde et restreints dans leur droit de visite (l'usage de la langue allemande est par exemple rendu obligatoire dans l'échange avec l'enfant), sans réelle possibilité de se défendre et contester juridiquement cette décision.
La Cour européenne des droits de l'homme a condamné à plusieurs reprises la juridiction familiale allemande (plus particulièrement le Jugendamt) pour ses violations des droits fondamentaux et les discriminations dont font l'objet les parents non allemands. En l'espèce, il apparaît que le droit allemand en matière de séparation familiale et de droit de l'enfant entre en contradiction avec le droit communautaire.
En conséquence, il lui demande quelles dispositions le Gouvernement est prêt à envisager pour défendre le droit et l'équité procédurale de ses ressortissants face aux administrations allemandes et assurer aux enfants de familles binationales le droit de grandir au contact de leurs deux parents.
. Roland Ries. Madame la secrétaire d'État, voilà un certain nombre d'années que les familles franco-allemandes en cours de séparation - ou non séparés, mais souhaitant s'établir hors du territoire allemand - rencontrent de grandes difficultés pour conserver la garde de leurs enfants. J'ai personnellement été interpellé à plusieurs reprises dans ma ville par certaines de ces familles qui ont décidé de vivre en France - c'est leur choix !
Il semble que le droit de la famille allemand privilégie, prétendument au nom de l'intérêt de l'enfant, le maintien de ce dernier dans le pays où il a été socialisé, c'est-à-dire l'Allemagne. Tel est en tout cas le principe défendu par le Jugendamt, service allemand d'aide sociale à l'enfance. Dans les faits, en cas de séparation d'un couple franco-allemand, les juridictions allemandes attribuent quasi systématiquement l'autorité parentale au parent allemand résidant sur le territoire allemand. Pour les couples non séparés mais souhaitant s'établir à l'étranger, les enfants sont également parfois retenus sur le sol allemand.
Un document de travail de la commission des pétitions du Parlement européen du 28 janvier 2009 fait d'ailleurs état d'un très grand nombre de pétitions venant de toute l'Europe sur cette question. Pour le président de cette commission, le député européen polonais Marcin Libicki, s'il est « déplacé de critiquer ou de condamner le système d'administration d'un État membre, [...] il serait cependant parfaitement inapproprié de ne pas reconnaître le nombre très élevé de violations de droits de parents qui semblent avoir eu lieu [...] ».
En outre, la Cour européenne des droits de l'homme a déjà eu l'occasion de se prononcer sur un certain nombre de cas. Dans l'arrêt Görgülü c. Allemagnedu 26 mai 2004, ainsi que dans l'arrêt Haase c. Allemagnedu 8 avril 2004, la Cour a jugé qu'il y avait eu violation de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. En effet, dans les deux cas, les tribunaux allemands, sous l'impulsion du Jugendamt, ont retiré les droits parentaux de façon disproportionnée et sans même procéder préalablement à une audition des parents.
Au regard du nombre de pétitions reçues par le Parlement européen, des arrêts prononcés par la Cour européenne des droits de l'homme condamnant l'Allemagne et des sollicitations que reçoivent les parlementaires, il importe à mon avis que le Gouvernement français se saisisse sérieusement de la question et agisse. Je souhaiterais donc savoir, madame la secrétaire d'État, quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour aider ses ressortissants face aux administrations allemandes.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le sénateur Roland Ries, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de M. le garde des sceaux.
Votre question porte sur la coopération familiale franco-allemande en matière de déplacement illicite d'enfants. Cette coopération avec l'Allemagne, mais aussi avec les autres pays de l'Union européenne, est centrée sur l'intérêt de l'enfant.
Afin de permettre de surmonter les difficultés susceptibles d'être rencontrées lors de séparations familiales à dimension internationale, les États ont élaboré des instruments internationaux définissant des règles communes, dont le premier objectif est de prendre en compte, comme je viens de l'indiquer, l'intérêt des enfants concernés.
Sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants trouvent à s'appliquer divers accords bilatéraux et des conventions multilatérales telles que la convention de La Haye du 25 octobre 1980, dont la France et l'Allemagne sont signataires. Ces instruments organisent une coopération entre États afin d'assurer le retour immédiat de l'enfant au lieu de sa résidence habituelle ou de protéger et d'organiser le droit de visite d'un parent.
Cette convention a été complétée pour l'Union européenne par le règlement communautaire 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit « Bruxelles II bis ». Ce texte établit des règles de compétence des juridictions en matière de droit familial. En outre, cet instrument fixe une véritable norme juridique commune qui s'impose à tous les États de l'Union européenne et qui permet tant de prévenir les risques de décisions contradictoires que de garantir la circulation facilitée des décisions de justice émanant des juridictions compétentes.
Par ailleurs, la convention de La Haye de 1996 sur la responsabilité parentale et la protection des enfants est entrée en vigueur en France le 1er février 2011 et en Allemagne le 1er janvier 2011. Dans son application, tout sera mis en œuvre pour que l'intérêt de l'enfant soit pris en compte et que les droits de visite soient respectés.
En outre, depuis 1998, ont été affectés en Allemagne des magistrats de l'ordre judiciaire français, chargés de renforcer et de simplifier la coopération entre nos pays en matière d'entraide judiciaire.
Pour parfaire ce dispositif, il convient de souligner que, dès 2001, le ministère de la justice a mis en place un système spécifique d'aide à la médiation familiale internationale qui s'inscrit pleinement dans le dispositif communautaire et s'applique aussi à d'autres situations, en particulier à celles qui ne sont pas couvertes par des mesures internationales. Au 1er mars 2011, vingt-trois situations étaient traitées dans ce cadre, aucun dossier concernant l'Allemagne n'étant ouvert.
Il faut enfin souligner que la coopération entre les autorités centrales française et allemande est de grande qualité et qu'elle aboutit régulièrement au retour d'enfants, aussi bien en Allemagne depuis la France qu'en France depuis l'Allemagne.
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de ces explications, même si ces dernières ne me satisfont pas complètement. Elles avaient d'ailleurs été déjà données en réponse aux interpellations de Richard Yung le 20 mars 2008 et, plus récemment, d'André Reichardt, le 7 juillet 2011.
Nous rencontrons un problème spécifique avec l'Allemagne, compte tenu de l'existence du Jugendamt, que j'ai évoqué dans ma question. Le Gouvernement, à partir d'exemples précis que je pourrais lui fournir - j'ai en effet été sollicité par plusieurs personnes directement concernées -, pourrait se pencher plus spécifiquement sur le fonctionnement du Jugendamt.Certes, nous ne pouvons pas intervenir directement dans un État qui n'est pas le nôtre ; mais il y a là, me semble-t-il, une interprétation restrictive des textes, peut-être liée aux problèmes démographiques de l'Allemagne - je dis bien « peut-être » -, qu'il conviendrait de regarder de plus près. Il me paraîtrait donc souhaitable, madame la secrétaire d'État, que les services du garde des sceaux étudient plus spécifiquement cet aspect de la question, ce qui permettrait éventuellement de faire avancer les choses.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.