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Marie-France Beaufils
Question orale sans débat N° 1410 au Secrétariat d'État du commerce extérieur


Situation des salariés de Boulanger Tours Nord

Question soumise le 6 octobre 2011

Mme Marie-France Beaufils attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation du magasin Boulanger de Tours Nord suite à la décision de l'Autorité de la concurrence d'autoriser l'enseigne Boulanger à racheter Planet Saturn. Elle pense que les conséquences sont dramatiques pour les trente-trois salariés. Elle constate que les salariés sont inclus dans l'offre de cession de l'entreprise, comme s'ils étaient à l'actif du bilan comptable, principe interdit depuis l'abolition de l'esclavage. Elle rappelle que le principe de liberté du travail n'est donc pas respecté. Elle demande la mise en conformité avec le droit communautaire et les droits fondamentaux du travailleur « qui doit être libre de choisir librement son employeur et ne peut pas être obligé de travailler pour un employeur qu'il n'a pas librement choisi ». Elle demande que la société Boulanger ait pour obligation de reclasser son personnel et non pas de le vendre.

Réponse émise le 26 octobre 2011

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les conséquences du rachat de Planet Saturn par Boulanger acté par la décision de l'Autorité de la concurrence sont catastrophiques pour les salariés des six sites sur le plan national et très bénéfiques pour le groupe et ses actionnaires. Sur Tours, en particulier, on ne peut imaginer, à moins d'être naïf, que le groupe Mulliez, en décidant de racheter Planet Saturn, ignorait la situation de quasi-monopole qu'il créait, de fait, et l'avantage qu'il pouvait en tirer en se débarrassant du magasin de Tours Nord dont les résultats étaient en baisse et qu'il laissait plus ou moins à l'abandon depuis un certain temps. Que de cynisme !

Dans les magasins, l'ambiance est lourde aujourd'hui et le personnel est fragilisé. Alors que le groupe Mulliez conforte sa place dans le secteur de l'électrodomestique sur Tours, on imagine mal, avec cette restructuration, des concurrents venir se confronter à ce mastodonte.

Dans une situation de crise et sur un site dégradé, « les salariés sont angoissés », comme le souligne le délégué CFDT du personnel et secrétaire du comité d'entreprise du magasin. Selon lui, « il y a des gens qui travaillent depuis de nombreuses années pour Boulanger et n'envisagent en aucun cas de quitter l'enseigne », d'autant que celle-ci a les moyens économiques et financiers d'intégrer ses personnels dans d'autres magasins, comme en attestent les derniers résultats du groupe. La société de M. Mulliez a fait le choix de les abandonner. C'est inhumain !

Comment sont menées les négociations dans cette entreprise ? Chez Boulanger les procédures ne sont pas respectées ou traînent en longueur. Plusieurs rappels à l'ordre ont été signifiés à l'employeur par l'administration du travail pour non-respect de la procédure. Le 7 juillet 2011, une réunion extraordinaire était demandée par le secrétaire du comité central d'entreprise ; elle n'a eu lieu que trois mois après. Dans un courrier du 3 octobre dernier, l'accent était mis sur les difficultés dans les négociations en cours en raison de la communication tardive des documents nécessaires à une négociation loyale. Il était noté, également, que la situation était alarmante dans les établissements Boulanger et que 2 000 salariés se trouvaient dans l'incertitude. Enfin, le suicide, le 3 août dernier, d'un salarié, à qui je tiens à rendre hommage dans cet hémicycle, est la conséquence de cette situation et montre que le groupe fait peu de cas des risques psychosociaux liés à la restructuration. L'intérêt financier immédiat des actionnaires est placé au-dessus de l'intérêt collectif de l'ensemble des salariés de ces entreprises. C'est inacceptable !

Chez Boulanger, la direction a choisi de traiter les salariés comme une chose, faisant partie de l'actif de l'entreprise et dont il faudrait se débarrasser. Comment pourrait-on obliger les employés à changer d'employeur sans même qu'ils donnent leur avis, sans même qu'ils le choisissent eux-mêmes ? C'est là une entorse grave à la liberté du travail, principe pourtant inscrit dans la Constitution.

La Déclaration universelle des droits de l'homme dispose très clairement que « toute personne a droit [...] au libre choix de son travail ». De nombreux textes internationaux confirment cette orientation : je pense à l'Organisation internationale du travail, à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, adoptée à Nice en 2000, et à bien d'autres textes encore. Comme le dit fort judicieusement Alain Supiot, juriste spécialiste en droit du travail, « attacher les hommes à l'entité économique transférée, ce serait revenir à l'institution romaine du colonat ». Il ajoute très justement : « on comprend qu'à notre époque, marquée par la restructuration permanente des entreprises et l'instabilité du pôle patronal qui en résulte, le colonat puisse présenter un certain attrait pour les investisseurs, qui comptent sur le travail des salariés attachés au fonds qu'ils reprennent, pour en tirer profit ».

Je demande à M. le ministre d'intervenir auprès du groupe Mulliez pour qu'il respecte les droits de ses salariés et qu'il ait l'obligation de les reclasser dans l'enseigne Boulanger, au lieu de les vendre.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Madame la sénatrice Marie-France Beaufils, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui ne peut pas être présent ce matin et vous prie de bien vouloir l'excuser, m'a chargé de répondre à votre question.

Par une décision n° 11-DCC-87 du 10 juin 2011, l'Autorité de la concurrence a autorisé la société Boulanger SA appartenant au groupe HTM, spécialisée dans le commerce de détail de produits électrodomestiques - TV, Hifi, électroménager, matériel informatique et électronique, etc. -, exploitant des magasins à l'enseigne Boulanger, à prendre le contrôle des magasins sous enseigne Saturn ou Planet Saturn dont le propriétaire est la société Media Concorde SNC.

Cette décision a été assortie d'un certain nombre d'engagements qui sont autant de mesures correctives ayant pour effet de remédier aux risques d'atteinte à la concurrence que comportait le cumul des parts de marché des parties à la concentration. Afin de remédier aux différents risques soulevés, des mesures structurelles ont été proposées consistant en la cession de six magasins.

Madame la sénatrice, vous interrogez le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences de cette décision. Vos inquiétudes portent plus particulièrement sur la situation du magasin Boulanger de Tours Nord au sujet duquel vous constatez que les trente-trois salariés sont inclus dans la cession de l'entreprise. Vous estimez que la société Boulanger aurait dû avoir pour obligation de reclasser son personnel et non de le « vendre ».

La situation des salariés dans le cadre de cette opération de rachat est conforme au droit et protectrice de leurs intérêts. En effet, à l'occasion d'une telle opération de concentration, les contrats de travail en cours sont transférés automatiquement au repreneur en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail : « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. »

Il résulte d'une jurisprudence constante en la matière que la pérennité de ces contrats n'est pas subordonnée à l'existence d'un lien de droit entre les employeurs successifs - Cour de cassation, Assemblée plénière, 16 mars 1990, nos 89-45 730 et 86-40 686, Bulletin civil Assemblée plénière n° 4.

Par ailleurs, ces dispositions, qui sont d'ordre public - Cour de cassation, chambre sociale, 26 septembre 1990, Bulletin Civil n° 392 -, s'imposent tant aux salariés qu'aux employeurs et s'appliquent à tous les contrats en cours au jour de la modification.

Il appartiendra ainsi au mandataire, dont la désignation est prévue dans la décision de l'Autorité de la concurrence, de s'assurer de la bonne exécution des engagements, notamment de trouver des acquéreurs pour les magasins cédés et de négocier avec eux les conditions de la cession.

Dans cette attente, le mandataire devra veiller à ce que ces magasins soient gérés en bon père de famille, de manière à préserver l'intégrité de leurs actifs et de leurs valeurs marchandes. Cette mission inclut bien évidemment la préservation de l'emploi.

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le secrétaire d'État, j'ai bien entendu votre réponse, mais la situation est très particulière. Comme je l'ai dit, si Boulanger a repris l'activité en question, c'est parce que ce rachat renforce considérablement le poids et la présence de ce groupe sur l'ensemble de notre pays et que, face à un tel groupe, aucune entreprise n'envisagera de reprendre l'activité concernée.

Les salariés ne peuvent même pas espérer être embauchés dans d'autres enseignes du groupe Mulliez puisqu'il leur a été répondu qu'ils ne pourront pas aller dans les unités du groupe Mulliez directement concernées par l'enseigne Boulanger. Ils sont donc dans une situation de totale incertitude au regard de la reprise du magasin et ne peuvent être réembauchés en tant que tels par le groupe.

Face à cette situation très particulière, vous avez cité des articles de loi généraux qui s'appliquent à une multitude de situations. Les salariés de Boulanger, comme ils le disent eux-mêmes, ont participé à l'amélioration de la qualité de cette enseigne, en permettant qu'elle occupe aujourd'hui une place reconnue dans son secteur d'activité. Or, tout en reconnaissant d'une certaine manière qu'ils ont rendu des services à l'entreprise, on leur dit qu'on ne veut plus d'eux et qu'il n'y aura pas de perspective de reprise dans ce même magasin dans leur domaine de compétences.

Je regrette que leur situation ne puisse faire l'objet d'une étude particulière. Il y a quand même des cas spécifiques qui peuvent déroger à la loi générale. En tout cas, il existe d'autres textes sur lesquels on pourrait peut-être s'appuyer pour étudier la situation de ces salariés.

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