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Nicole Borvo Cohen-Seat
Question écrite N° 14455 au Ministère de la culture


Réutilisation commerciale des archives publiques

Question soumise le 15 juillet 2010

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur la réutilisation commerciale des archives publiques.

La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, qui avait été créée afin de permettre au citoyen l'accès aux documents administratifs se voit adjoindre en 2005 un chapitre II concernant la « réutilisation des données publiques ». La réutilisation des informations publiques y est définie comme toute utilisation « à d'autres fins que celle de la mission de service public en vue de laquelle les documents ont été élaborés ou sont détenus ». La loi autorise désormais toute forme de réutilisation, y compris à des fins commerciales.

En juillet 2008, la loi sur les archives parfait l'accessibilité des sociétés commerciales aux archives publiques. L'article L. 213-1 du code du patrimoine prévoit que toute archive publique aura les mêmes modalités d'accès qu'un document administratif : sous réserve que le document d'archives publiques ait été clairement identifié par le demandeur, que son contenu soit communicable sans restriction et que son état matériel en permette la prise de copie par un procédé technique, tout demandeur peut exiger, à prix coûtant, une reproduction de ce document.

Pourtant même la directive européenne 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 sur la « réutilisation des données publiques » a exclu du droit commun de la réutilisation des données publiques certains domaines, comme les archives, et stipule clairement, dans son article 1er, alinéa 2, qu'elle ne s'applique pas « aux documents détenus par des établissements d'enseignement et de recherche, et notamment par des écoles, des universités, des archives, des bibliothèques, des instituts de recherche… ».

L'état de la législation française en la matière est-il de nature à pérenniser un service public gratuit et accessible à tous ? Contribue-t-il à garantir les libertés publiques ? Ne faudrait-il pas au contraire, modifier la loi de 1978, afin d'interdire la réutilisation des données publiques à titre commercial, au moins pour les archives, ainsi que le permet la directive européenne de 2003 ? Ne faudrait-il pas non plus que le Gouvernement dote les archives publiques d'un statut particulier qui les préserve de toute exploitation commerciale, contraire au principe de service public gratuit, et de toute exploitation contraire aux intérêts et aux libertés des citoyens ?

Réponse émise le 26 août 2010

La réutilisation des informations publiques soulève de délicates questions d'ordre juridique, économique et éthique. Sur le plan juridique, la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public a ouvert, pour chaque État membre, la possibilité de créer un marché de la réutilisation des informations publiques, tout en excluant de ce marché les établissements culturels, au nombre desquels figurent les services d'archives publics. L'ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 transposant cette directive a ouvert ce marché pour notre pays et l'a encadré par les dispositions des articles 10 à 19 de la loi du 17 juillet 1978, qui fixent le droit applicable à la réutilisation des informations publiques. L'article 11 de cette loi prévoit cependant un régime dérogatoire pour les services d'archives publics, lesquels peuvent fixer des conditions spécifiques de réutilisation. Mais aucun texte ne précise dans quelle mesure et dans quelles limites ces conditions spécifiques peuvent déroger au droit commun de la réutilisation et à d'autres règles de droit applicables à ce domaine, notamment la protection des données personnelles, le droit de la concurrence et le principe d'égalité. Les services d'archives publics sont en train de se doter de licences encadrant leur relation avec les réutilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers, d'associations ou de sociétés commerciales. Ces licences fixent notamment les limites de la réutilisation et les redevances qui peuvent, le cas échéant, en constituer la contrepartie. Elles seront déterminées, s'agissant des services territoriaux d'archives, par la collectivité territoriale dont elles dépendent, en application du principe de libre administration. Le service interministériel des archives de France a diffusé auprès de ces services une note visant à harmoniser les pratiques, dans le respect de ce principe. Sur le plan économique, différentes sociétés privées souhaitent procéder à la réutilisation des documents d'archives publics. L'application d'une redevance à une réutilisation commerciale de ces documents est justifiée et acceptée par la plupart des acteurs économiques souhaitant intervenir sur ce marché. Elle constitue en effet la contrepartie des investissements réalisés par l'État et les collectivités territoriales pour microfilmer ou numériser les documents conservés dans les services d'archives publics. Le montant de cette redevance fait en revanche débat, les acteurs économiques souhaitant que celui-ci soit le moins élevé possible. Le ministère de la culture et de la communication estime néanmoins que le prix de la réutilisation doit refléter la part déterminante que le service public a prise pour rendre possible, par les opérations de microfilmage et de numérisation des documents qu'il a financées, le développement d'une activité économique fondée sur la réutilisation de ceux-ci. Sur le plan éthique enfin, de nombreux élus de toute tendance et acteurs de la société civile, notamment l'association des archivistes français, se sont émus de la constitution par certaines sociétés engagées dans le marché de la réutilisation de bases de données nominatives indexant les documents d'archives réutilisés et interrogeables par toute personne sur Internet. Le croisement des informations figurant dans ces documents, qui peuvent être extrêmement sensibles, pourrait permettre de constituer de véritables profils individuels, sans que le consentement des personnes concernées n'ait été recueilli. Se pose donc la question de l'exclusion du champ de la réutilisation des documents d'archives publiques comprenant des données personnelles sensibles, tels que les actes d'état civils, les recensements de population, ou encore les fichiers de police, alors que ces documents font fréquemment l'objet de demandes de réutilisation en vue d'une indexation nominative diffusée sur des sites commerciaux payants. Dans ce contexte, le ministère de la culture et de la communication, sans refuser le principe d'une réutilisation commerciale des documents d'archives publiques, a recommandé aux services d'archives publics la plus grande prudence vis-à-vis des demandes dont il est saisi, notamment lorsque des données personnelles sont en jeu, et incite ces services à se doter de licences sécurisant toutes les formes de réutilisation. Seule une intervention du législateur pourrait poser un cadre plus contraignant pour la réutilisation de données sensibles au travers d'une modification de l'ordonnance de 2005.

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